Six ans après, Vincent Toh Bi raconte l’attentat de Grand-Bassam

Le 13 mars 2016, Vincent Toh Bi était le directeur de cabinet d’Hamed Bakayoko, alors ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. À ce titre, il a coordonné la riposte le jour de l’attaque qui a endeuillé Grand-Bassam en faisant 19 morts.

Manifestation de la population, le 20 mars 2016 à Grand-Bassam. © SIA KAMBOU/AFP

Aïssatou Diallo.

Publié le 13 mars 2022 Lecture : 7 minutes.

C’était un dimanche et je rendais visite à des amis dans la commune de Cocody. Vers 13h15, je reçois un coup de fil d’Amani Ipou Félicien, le directeur général de l’Administration du territoire. Il m’appelle pour me faire part d’un rapport urgent du préfet de Grand-Bassam : il y a des tirs et un mouvement de panique sur la plage principale de la ville balnéaire. Il s’agirait d’un braquage, ajoute-t-il. Deux minutes plus tard, je reçois des appels paniqués de plusieurs de mes sources. Je ne me fais plus aucune illusion : « ils » nous attaquent. Ce que nous redoutions depuis plusieurs mois est en train d’arriver.

Ce 13 mars 2016, la Côte d’Ivoire subit la première attaque jihadiste de son histoire. Quelques heures plus tôt, comme à l’accoutumée, j’avais accompagné Hamed Bakayoko à l’aéroport. En sa qualité de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, c’est lui qui coordonne tout un ensemble d’opérations et d’exercices de simulation. Mon rôle à moi, en tant que directeur de cabinet, est d’alerter les ministres, une fois que lui-même a obtenu les instructions du chef de l’État. Ce jour-là, nous avons mis en pratique toutes les leçons que nous avions apprises.

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« Théoriquement prêts »

Conformément au protocole en vigueur, j’essaie de le joindre sur son téléphone, puis sur celui des agents de sécurité qui l’accompagnent. Sans succès. Mais il me rappelle quelques minutes plus tard. Il est déjà au courant : il vient d’échanger avec le président et a reçu toutes les consignes. Il se trouve à Kumasi au Ghana et a déjà annulé sa mission. Il est en route pour l’aéroport pour revenir à Abidjan. À son tour, il me transmet les instructions nécessaires.

Cinq jours avant cet assaut, nous avions procédé à une énième simulation d’attaque. Alassane Ouattara lui-même y avait participé – les conditions d’organisation de cet exercice avaient d’ailleurs été délibérément corsées. Nous étions théoriquement prêts.

J’envoie les messages convenus aux différentes personnes qui doivent gérer cette crise. Le premier à arriver au poste de commandement est Fidèle Sarassoro. Il est aujourd’hui le directeur de cabinet du chef de l’État, mais à l’époque c’était son assistant personnel. Il est rapidement suivi par Goudou Raymonde, la ministre de la Santé. En trente minutes, tous les ministres sont présents, à l’exception de ceux qui sont en déplacement hors d’Abidjan. Comme prévu par le protocole, tous les directeurs de cabinet desdits ministres sont également là. La crise peut être longue.

Les appels téléphoniques ont du mal à aboutir, tout le monde cherche à savoir ce qui se passe

En l’absence de Hamed Bakayoko, c’est le ministre des Affaires étrangères, Mabri Toikeusse, qui coordonne les opérations. Il a le rang de ministre d’État et arrive en deuxième position dans l’ordre protocolaire gouvernemental. Je lui transmets au fur et à mesure tous les éléments que je reçois du terrain, qu’ils émanent de chancelleries, de sources officielles et même informelles.

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Chaos dans les villes

C’est le branle-bas de combat. France 24 a déjà mis en une qu’une attaque terroriste est en cours à Grand-Bassam. On est dimanche, il n’y a pas grand monde dans les rues. Les véhicules roulent à vive allure. Mais des rapports envoyés de l’intérieur du pays indiquent que c’est le chaos dans certaines villes. Comme il fallait s’y attendre, les appels téléphoniques ont du mal à aboutir. Tout le monde cherche à savoir ce qui se passe et appelle en même temps. Les rumeurs sont nombreuses, certains disent qu’il y a plus de 100 morts. C’est la panique, mais c’est une situation à laquelle nous avions appris à nous préparer.

Bientôt, Marcel Amon-Tanoh, le directeur de cabinet du chef de l’État, fait son apparition dans la salle. « Le président de la République arrive », annonce-t-il. Quelques minutes plus tard, Alassane Ouattara entre dans la salle de commandement, l’air grave. Il est le commandant en chef des forces armées et prend donc la tête des opérations en ces instants difficiles. Il n’y a plus aucun bruit dans la salle. Mabri Toikeusse lui remet des documents qu’il consulte avec un calme étrange. Sa lecture achevée, il pose des questions. Seul le ministre des Affaires étrangères est habilité à lui répondre.

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Pendant ce temps, mon téléphone sonne avec insistance. C’est Hamed Bakayoko. Son avion vient d’atterrir. Je l’informe de la présence du président. Si mes souvenirs sont bons, moins de vingt minutes plus tard, il nous a rejoints.

Il y a un incessant ballet d’ambulances et de sirènes, tout le monde est en alerte maximale

Je sors de la salle, le briefe rapidement, puis il entre et prend place à côté d’Alassane Ouattara. Celui-ci valide avec l’équipe un certain nombre d’éléments, donne ses instructions et nous dit qu’il s’apprête à se rendre sur le théâtre des opérations. Un directeur de cabinet assis derrière moi me souffle à l’oreille : « Est-ce prudent actuellement ? » J’aurais aimé qu’il pose cette question au président.

Le chef de l’État sort de la salle. Je l’entends dire : « Hamed, allons dans ton bureau. » Le ministre suit le président qui monte les marches, et moi je suis le ministre. Ils s’isolent, ressortent cinq minutes plus tard. Le président parle ensuite brièvement à la presse – c’est peut-être la plus courte adresse qu’il ait jamais faite. Puis il monte dans sa voiture et file vers Grand-Bassam.

Hôpitaux débordés

Du poste de commandement, nous suivons l’incessant ballet des ambulances et des sirènes. Tout le monde est en alerte maximale. Raymonde Goudou secoue tout le système de santé parce que les hôpitaux de Grand-Bassam sont débordés. Tous les CHU ou grands hôpitaux publics ou privés sont « réquisitionnés ». La ministre et ses équipes venaient de gérer avec succès la crise Ebola, de 2014 à 2016. Donc le système est pleinement opérationnel.

En plus de la prise en charge des blessés, tous les autres aspects de la crise sont à gérer : la réponse tactique ; la communication avec les ambassades qui ont perdu des ressortissants ; la prise en charge psychologique des témoins ; le début de l’enquête. Sans oublier l’organisation de la solidarité internationale, la coopération avec des agences spécialisées, la sécurisation de l’ensemble du territoire afin qu’un deuxième coup ne soit pas porté ailleurs…  Il y a beaucoup à faire.

Armés de kalachnikov, les jihadistes ont pris d’assaut la plage et trois complexes hôteliers

Pendant ce temps, sur le terrain, les policiers et gendarmes de Grand-Bassam, qui sont les premiers à être arrivés sur les lieux, ont délimité un périmètre de sécurité. Le centre opérationnel interarmées coordonne la riposte. Tous les chefs des unités combattantes sont sur place. Quelques temps après le début de l’attaque, les forces spéciales ivoiriennes affrontent les jihadistes sur la plage. Armés de kalachnikov, ceux-ci ont pris d’assaut la plage et trois complexes hôteliers à proximité. L’affrontement est bref. Trois assaillants sont tués.

Les premières heures sont cruciales pour l’enquête. La collecte des indices et la collaboration avec des services de sécurité étrangers, permettent d’obtenir très rapidement des réponses et de retracer le parcours de ces hommes, venus du Mali quelques semaines plus tôt. Nous découvrirons, quelques jours après, la villa qu’ils avaient louée en périphérie d’Abidjan, les repérages qu’ils avaient faits dans d’autres lieux, leur cachette d’armes, etc. Des informations précieuses qui nous ont permis de comprendre ce qui s’était passé et de retracer le film des événements.

Une dizaine de jours après l’attentat, lors d’une conférence de presse, les autorités feront le point de l’enquête. « Nous avons interpellé quinze personnes suspectes en lien direct ou indirect avec les attentats. Nous avons identifié le cerveau de l’attaque qui répond au nom de Kounta Dallah et qui est activement recherché », fera savoir Richard Adou, le procureur du parquet d’Abidjan Plateau.

Nuit de terreur et d’horreur

En fin d’après-midi, Alassane Ouattara arrive à Grand-Bassam. Il exprime sa solidarité aux victimes et à leurs familles, et fait le point de la situation. Au total, 19 personnes ont perdu la vie et 33 autres ont été blessées. Il y restera jusqu’aux alentours de 18 heures. Dans la soirée, le groupe jihadiste Al-Qaïda au Maghreb islamique publie un communiqué dans lequel il revendique l’attentat. Celui-ci est analysé dans les moindres détails par les services de renseignements ivoiriens.

Parmi les instructions laissées par le président avant de se rendre sur place, il y avait la question de la communication. Il demande à Hamed Bakayoko d’aller sur le plateau du journal télévisé de 20 heures pour expliquer les circonstances des événements et rassurer les populations. Cette intervention, nous la préparons soigneusement parce que les journalistes du monde entier ont les yeux rivés sur nous. Il ne doit donc y avoir aucune erreur dans les chiffres et dans le langage. Tout doit être précis.

À 19h45, j’accompagne Hamed Bakayoko à la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI), toujours mes dossiers en main. Nous y sommes rejoints par Affoussiata Bamba, alors ministre de la Communication. Hamed Bakayoko est concentré. Il a géré plusieurs situations sécuritaires délicates depuis sa nomination, mais une attaque terroriste, c’est très particulier.

Il entre sur le plateau, s’assoit, fait sa déclaration et répond aux questions du présentateur. Plus tard, nous retournerons dans la salle de commandement. Il nous faut préparer la réunion du Conseil national de sécurité prévue le lendemain à 09 heures. Déjà, l’enquête avance à grands pas.

Ce dimanche 13 mars 2016, il faisait beau. La journée aurait dû être radieuse. Au lieu de cela, la Côte d’Ivoire a subi la première attaque jihadiste de son histoire. Ce ne fut pas une belle journée, mais une nuit de terreur et d’horreur. Les forces de l’ombre ont chassé la lumière.

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