Faut-il faire confiance aux islamistes ?

Les Marocains se sont convaincus que le Parti de la justice et du développement (PJD) remportera les élections de 2007 et qu’il sera appelé au gouvernement. Mais est-il prêt à exercer le pouvoir, et qu’en fera-t-il ? Son secrétaire général s’explique.

Publié le 4 avril 2006 Lecture : 21 minutes.

Mektoub, c’est écrit : aux élections législatives de 2007, le Parti de la justice et du développement (PJD) sera porté triomphalement au pouvoir. Les arguments qui militent en faveur de cette hypothèse sont nombreux. En premier lieu, la future consultation devrait être transparente. En septembre 2002, déjà, la formation islamiste avait raflé 42 sièges, talonnant l’Istiqlal et l’USFP, alors qu’elle s’était délibérément abstenue de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions. Depuis, elle a consolidé ses positions, uvrant habilement sur deux registres : elle multiplie les interventions caritatives et sociales auprès du petit peuple et, parallèlement, les opérations de séduction en direction des nantis. Partout, ou peu s’en faut, les réticences et les préventions sont tombées. Au Maroc, les islamistes ne font plus peur, ils sont devenus fréquentables. On dit même que la route Médiouna, ce haut lieu de la bourgeoisie fassie à Casablanca, leur accorde ses largesses. Telle star de la société civile s’affiche avec eux en compagnon de route empressé
Dans les salons de Rabat et de Casa, l’arrivée annoncée au pouvoir du PJD est au cur de toutes les conversations. Un hebdomadaire divise équitablement sa couverture entre Mohammed VI et le Dr Saad Eddine el-Othmani, le leader islamiste. Son titre – « Vers un partage du pouvoir ? » – reste prudemment interrogatif, mais il est clair qu’une telle perspective lui paraît dans l’ordre des choses. Dans les discussions, aucune inquiétude, aucune angoisse apparente. À peine quelques voix, généralement féminines, expriment-elles, timidement, quelques préoccupations. Résignation ? Même pas. La date de l’arrivée au pouvoir du PJD en 2007 paraît avoir pris place dans le calendrier. Au même titre que le ramadan ou la fête du mouton.
Cette fatalité insidieuse, molle, rampante, n’ôte pas à l’événement sa charge politique, voire historique. Avec les islamistes au pouvoir, le Maroc ne sera plus le même. Il sera perçu différemment, au dehors et au dedans. C’est que le PJD n’est pas un parti comme les autres. L’islamisme, fût-il édulcoré, véhicule une vision du monde et un projet de société qui ne répondent pas exactement aux exigences de la modernité, grand dessein du règne de Mohammed VI. S’agissant des murs, de l’exercice des libertés quotidiennes ou de la gestion de l’économie touristique, les islamistes cultivent des mentalités et des positions enfouies dans l’archaïsme et la tyrannie. Ils montrent aujourd’hui patte blanche et cherchent sans cesse à rassurer, mais, à la première occasion, tsunami ou sortie du film Marock, leur idéologie refait surface, inchangée, avec une bonne dose de bêtise et de fanatisme.
Faut-il, malgré tout, faire confiance au PJD, comme le font semble-t-il les Marocains – aujourd’hui par jeu, distraitement, inconsciemment ; et demain, à leurs risques et périls ? Que penser de ce parti caméléon dont les talents d’adaptation et de séduction sont réels, mais qui ne possède visiblement pas les aptitudes et les compétences pour diriger un État moderne ? Et d’abord, est-il vraiment résolu à prendre le pouvoir ? S’est-il vraiment préparé à en assumer les responsabilités ?
À ces questions, le Dr Saad Eddine el-Othmani est bien placé pour répondre. Le secrétaire général du PJD reçoit volontiers les journalistes, se plie avec bonhomie à leurs demandes et va jusqu’à s’allonger sur un divan de psychanalyste pour laisser percer les profondeurs de son âme. Et afficher au passage ses excellentes intentions.
Notre rencontre a eu lieu fin février. Othmani m’a obligeamment rejoint à Casablanca et est arrivé à l’heure dite, accompagné de son seul chauffeur. Sans la meute qui escorte habituellement les leaders politiques dans leurs déplacements. Notre entretien a duré de 11 heures à 17 heures, seulement interrompu pour un rapide repas – une assiette de paella. Othmani médite sur chaque question et prend le temps d’élaborer – de composer plutôt – ses répliques en mobilisant les nuances de l’arabe et du français. Il s’efforce de trouver l’expression juste mais aussi d’arrondir les angles, de gommer les aspérités, d’escamoter les contradictions. À l’entendre, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
Mais il ne rassure pas pour autant. Tout au long de l’entretien, une interrogation a affleuré, surtout lorsque le chef islamiste a tenté d’éluder certaines questions essentielles à coup d’esquives commodes et presque puériles. Qui est au juste le Dr Saad Eddine el-Othmani ? Cache-t-il systématiquement son jeu ou n’a-t-il simplement rien à dire ? Bien entendu, il faut ici faire la part de la taqiya, cette stratégie de la dissimulation qui donne aux fidèles dans l’adversité le droit de recourir à toutes les ruses, de s’octroyer toutes les libertés, y compris celle d’embrasser la religion de l’ennemi pour mieux l’abattre. En outre, il semble bien que l’ascension du Dr Othmani s’explique moins par sa volonté propre que par les jeux de pouvoir au sommet du PJD. Comme il le suggère lui-même, il n’a pas conquis le poste de secrétaire général de haute lutte, il y a été propulsé à son corps défendant. Plus exactement, « désigner » le brave docteur a permis de renvoyer dos à dos Abdelilah Benkirane et Mostafa Ramid, deux islamistes purs et durs autrement plus redoutables. Coup double : on écarte deux rivaux et on montre l’islamisme sous son meilleur jour. Avec le Dr Saad Eddine el-Othmani à sa tête, le PJD a tout pour plaire. Il rassure, séduit et ratisse large. On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Mais le pouvoir, mais le gouvernement du Maroc ?

Jeune Afrique : Rêvons un peu. Nous sommes en 2007, les élections législatives se sont déroulées convenablement et vous les avez remportées haut la main, rééditant l’exploit du Hamas en Palestine. Cette fois, le roi respecte la « méthodologie démocratique » et vous invite à former le gouvernement. Soit un gouvernement monocolore PJD, soit un gouvernement de coalition avec l’Istiqlal, l’USFP ou la Mouvance populaire. Tout se passe bien, et le Dr Saad Eddine el-Othmani devient Premier ministre du royaume. Que faites-vous pendant vos cent premiers jours au pouvoir, qui, à en croire Pierre Mendès France, sont toujours décisifs ?
Saad Eddine el-Othmani : Il n’y a pas de miracle, je ne crois pas à ces cent jours miraculeux. Les réformes doivent être préparées et, plutôt que de marquer une rupture, elles participent d’un processus. L’essentiel est de garder le cap sur nos priorités : améliorer la gouvernance, combattre la corruption, réformer l’administration
Mais quelles décisions prenez-vous pour que les Marocains se rendent compte que le PJD est au gouvernement et, si possible, s’en réjouissent ?
Nous continuons d’être ce que nous sommes, c’est-à-dire proches des gens. Comme par le passé, nous entretenons un dialogue fructueux avec nos concitoyens pour connaître leurs préoccupations. Et, puisque nous sommes désormais au gouvernement, nous veillons à mieux les informer de la réalité des problèmes
Donnez-moi une mesure, une seule, importante, symbolique qui montre que le nouveau Maroc est, avec les islamistes au pouvoir, différent du Maroc sans eux
D’abord, la forme de gouvernement : ce sera un cabinet de travail, une trentaine de ministres, pas davantage. Je ne peux pas dire aujourd’hui ce qu’il fera en 2007, mais son action s’inscrira certainement dans la moralisation de la vie publique.
Vous prenez donc des mesures draconiennes contre la corruption
Des mesures, oui ; draconiennes, non.
Oublions les cent jours. Vous êtes Premier ministre et vous vous apprêtez à présenter devant le Parlement votre programme pour la législature. Quelles en sont les grandes lignes en matière économique, par exemple ?
Nous poursuivons la politique d’ouverture sur le monde et nous maintenons les accords conclus. À vrai dire, le Maroc possède déjà un bon programme économique, mais il n’a pas été appliqué de façon efficace par les gouvernements qui se sont succédé. Ces derniers n’ont pas engagé les réformes nécessaires dans les domaines de l’administration, de la justice, de l’enseignement, etc. Un investisseur potentiel, qu’il soit marocain ou étranger, se pose forcément des questions. L’administration est-elle efficace ou corrompue ? La justice est-elle transparente ? Existe-t-il une main-d’uvre qualifiée et performante ? Le nouveau gouvernement engage donc ces réformes. Ensuite, il s’attaque au système des rentes et des privilèges qui domine notre économie. Dans plusieurs secteurs, tels la pêche en haute mer ou les carrières de sable, on accorde des agréments à des gens qui n’ont pas les qualités requises. Il faut mettre fin à ces abus.
Et sur le plan social ?
Toute mesure économique a des répercussions sociales. Les changements touchant l’attribution des agréments permettront d’ouvrir les secteurs concernés aux classes moyennes, lesquelles sont de plus en plus paupérisées et frappées par le chômage. Il est possible de combattre le chômage grâce à une politique ciblée de coopération avec l’Europe. Celle-ci a besoin de main-d’uvre qualifiée : infirmières, informaticiens En répondant convenablement à cette demande, nous réduirons substantiellement le chômage.
À ce sujet, une politique d’émigration active et réfléchie est nécessaire. Je prends un exemple dans mon domaine : la santé. Il manque actuellement au Maroc neuf mille infirmières. L’Europe est également confrontée à des carences du même type. Si nous avions mené, depuis des années, une politique de formation adéquate, nous aurions été en mesure de donner du travail à des milliers de jeunes. Nous aurions couvert à la fois nos propres besoins et ceux de nos partenaires en Europe et même au Canada.
Souhaitez-vous une révision de la Constitution ?
Notre position est inchangée : nous sommes pour une réforme de la Constitution susceptible d’accroître les pouvoirs du Premier ministre, du gouvernement et du Parlement.
C’est dire, en bonne logique, que vous réduisez les pouvoirs du roi
Le changement à cet égard est souhaité par toute la classe politique, et le roi lui-même y adhère. De toute façon, une telle réforme devra être menée dans un climat d’entente et ne donner lieu en aucun cas à des affrontements.
On imagine mal le roi se délester d’une partie de ses prérogatives, d’autant qu’il apparaît comme l’acteur majeur de la vie nationale en raison de l’évidente faiblesse des autres protagonistes, partis ou Parlement
On exagère la faiblesse de la classe politique. La vie publique est plutôt animée, dynamique, surtout si on la compare à ce qui se passe dans certains pays équivalents. Depuis six ans, des réformes importantes ont été entreprises. Le changement illustre l’esprit du nouveau règne et il n’y a pas de raison qu’il ne concerne pas la Constitution. J’ai même le sentiment qu’en la matière les réticences ne viennent pas du roi lui-même. Quoi qu’il en soit, les réformes constitutionnelles sont inéluctables dès lors que nous nous engageons pleinement dans la modernité. D’ailleurs, les recommandations du « Rapport sur le cinquantenaire » diligenté par Abdelaziz Meziane Belfqih, le conseiller du roi, insistent sur la réforme de la Constitution. Celles de l’Instance Équité et Réconciliation (IER) aussi.
En matière de murs, quels changements souhaitez-vous introduire ?
Je voudrais d’abord rappeler un principe : les questions de murs ne doivent pas relever du gouvernement, mais de la société elle-même. Même lorsqu’il s’agit de fléaux sociaux comme la toxicomanie ou la prostitution, on peut légiférer, mais les solutions réelles dépendent de la dynamique sociale, de la sensibilisation, de l’information, de l’éducation
À vous entendre, une police des murs du genre de celle qui existe en Arabie saoudite n’a donc pas sa place au Maroc ?
Notre objectif est l’État de droit. Les autorités se doivent de respecter et de faire respecter la loi et rien que la loi.
Mais vous pourriez instituer une police des murs chargée de bastonner ceux qui ne s’empressent pas de répondre à l’appel du muezzin
C’est inconcevable : la prière, comme toutes les obligations, est l’affaire de chaque musulman, qui agit en conscience. « Point de contrainte en religion », dit le Coran. « Religion » signifie ici foi, credo. Comme on ne peut contraindre quelqu’un à croire, il est a fortiori impossible de le contraindre à prier.
Qu’en est-il du voile ?
Affaire de liberté individuelle. Nous n’obligeons personne à le porter ou à l’ôter.
En 2000, vous avez été à la pointe du combat contre la réforme du statut de la femme. Deux ans plus tard, vous avez été favorable à la Moudawana, qui entérine cette réforme
En 2000, il s’agissait d’un plan d’intégration de la femme au développement proposé par un secrétariat d’État, et non par le gouvernement. Nous l’avons combattu pour trois raisons. D’abord, son mode d’élaboration, qui excluait les acteurs politiques et sociaux, notamment les associations familiales. Ensuite, son absence de toute référence nationale, religieuse ou sociale. Enfin, son refus de considérer la famille comme une réalité fondamentale. Dans un premier temps, nous avions demandé une commission nationale pour examiner ce plan. N’ayant pas été écoutés, nous l’avons combattu et, finalement, notre position a été partagée par la majorité des Marocains.
Dans le cas de la Moudawana, une concertation élargie a eu lieu, qui a permis à tout le monde (partis, associations et autres) de donner son avis. Le texte comporte une référence nationale et islamique claire. Et il place la famille au centre de ses préoccupations, puisqu’il s’agit explicitement d’un « code de la famille ». Nous n’étions donc pas contre la réforme, mais contre la méthode utilisée.
Une loi sur l’héritage qui soit fondée sur l’égalité et tienne compte du fait que désormais beaucoup de femmes travaillent et exercent des responsabilités est-elle envisageable ?
Certes, mais en le faisant, on risque de perturber tout un système qui a sa logique et sa cohérence. Les évolutions sont nécessaires parce que les hommes et les femmes ne vivent plus dans les mêmes conditions, mais il faut veiller à ce que ces évolutions se fassent dans la concertation, de manière à tenir compte de notre culture et de notre religion.
Bref, si je vous comprends bien, le PJD au pouvoir ne provoque ni fracas ni rupture. La continuité l’emporte sur le changement. L’un des principaux objectifs de l’actuel gouvernement, c’est 10 millions de touristes en 2010. Maintenez-vous ce cap ?
Mieux, nous améliorons les conditions matérielles de sa future mise en uvre. Aujourd’hui, celles-ci sont loin d’être satisfaisantes. Nos hôpitaux, par exemple, sont dans un état déplorable. Le touriste n’a pas intérêt à tomber malade chez nous ! De même, la valorisation de notre patrimoine, aussi bien naturel que culturel, laisse à désirer : les infrastructures font défaut et de nombreuses zones touristiques restent enclavées. Nous devrions nous intéresser en priorité au tourisme du troisième âge, qui se développe en Europe, de manière à offrir des structures d’accueil et des services adaptés.
Le tourisme est inséparable des plaisirs de la vie que proposent les boîtes et les bars. Interdisez-vous la consommation d’alcool ?
Aucune restriction pour les touristes, encore qu’il ne me semble pas que ce soit ce qui les attire au Maroc.
Et pour les musulmans ?
La loi interdit la vente d’alcool aux musulmans.
Mais elle n’est pas appliquée…
Je vous ai déjà expliqué que les changements souhaitables dans les murs relèvent de la dynamique sociale.
Moshe Dayan disait que les Arabes prévoient toujours la victoire et jamais la défaite. Nous avons longuement évoqué l’hypothèse du triomphe du PJD aux législatives en 2007. Considérons, si vous le voulez bien, le scénario inverse : votre parti est battu à plate couture. Une telle hypothèse est-elle plausible ?
En politique, il ne faut jamais rien exclure.
Craignez-vous la constitution d’un front commun : tous contre le PJD ?
Dieu merci, on n’a jamais rien vu de tel au Maroc. Nos relations avec les autres partis, sans exception, n’ont jamais pris cette tournure. Aujourd’hui plus qu’hier, cette conjecture paraît improbable. Au sein du Parlement comme dans les autres espaces politiques, nous avons des rapports cordiaux avec tous. Même nos adversaires se montrent courtois.
Laissons de côté les scénarios miraculeux ou catastrophiques pour n’écouter que la voix du réalisme : comment allez-vous gagner les élections ?
En nous y préparant tous les jours.
De combien de militants votre parti dispose-t-il ?
Nous comptons plus de dix mille adhérents. Les sympathisants rassemblés dans diverses organisations satellites (jeunesse, femmes, avocats, médecins, ingénieurs, etc.) sont un peu plus nombreux. Mais, vous savez, en politique, le nombre n’est pas tout. Un militant aguerri en vaut cent
Vous semblez avoir le vent en poupe, vous devez recruter à tour de bras
Oui, oui. Le vent en poupe ? C’est davantage une brise qu’une tempête !
Le nerf de la guerre ?
Nos moyens sont modestes, mais nous ne sommes pas pauvres. Notre financement provient de deux sources : l’État, d’abord, qui nous alloue comme à tous les partis une subvention proportionnelle à notre représentation au Parlement (42 sièges), soit 1,2 million de DH (environ 120 000 euros) par an. Ensuite, les contributions de nos parlementaires. Sur les 30 000 DH qu’ils touchent chaque mois, ils en versent 6 000 au parti, qui sont ensuite équitablement répartis entre les instances nationale et provinciales. Au total, le montant de ces contributions avoisine 1,4 million de DH par an. Il faut encore mentionner les contributions des adhérents (200 DH par personne et par an), qui vont aux structures locales.
Combien comptez-vous de permanents ?
Moins de trente, mais la plupart de nos parlementaires sont en fait des permanents.
Les rapports entre le PJD et le Mouvement pour l’unicité et la réforme (MUR) ne semblent pas clairs. Qui fait quoi ?
Vous vous trompez, tout est clair : le MUR est une association proche du PJD dont l’objectif premier est l’éducation et la prédication (da’wa).
On a l’impression que vous vous êtes répartis les rôles : le MUR, c’est l’orthodoxie islamiste pure et dure, et le PJD, la « bolitique », comme on dit en Algérie, c’est-à-dire la politique politicienne et la séduction
Le MUR n’est pas le PJD et le PJD n’est pas le MUR.
Mais on trouve les mêmes dirigeants dans les deux organisations : Abdelilah Benkirane, Mohamed Yatim, Abdellah Baha
Le secrétariat général du PJD compte vingt-cinq membres, dont trois siègent à la direction du MUR. Au niveau des adhérents, 30 % des membres du MUR militent au PJD.
Quel est le statut exact du quotidien At-Tajdid, que dirige Benkirane ?
Il est l’organe du MUR et non du PJD, mais il a beaucoup de sympathie pour nous.
Quand il écrit que le tsunami est une punition divine qui ne devrait pas épargner le Maroc en raison de la débauche qui, selon lui, y a cours, il parle au nom de qui ?
C’est l’opinion de l’auteur de l’article. Elle ne nous engage en rien.
Et quand le même journal fustige les festivals de musique ?
Je vous signale que le PJD dirige ou participe à la gestion de quelque soixante-dix communes qui organisent de multiples festivals. On peut être contre un festival sans être contre tous les festivals.
Que pensez-vous du Festival Gnawas-musiques du monde d’Essaouira, qui attire quelque trois cent mille jeunes venus de tout le pays ?
Nous l’avons condamné en 2003 avec d’autres partis, dont l’Istiqlal. La décision, de plus, a été prise à l’échelon local.
Et la campagne contre Marock, le film de Laïla Marrakchi ?
Nous avons seulement relayé la position de certains cinéastes, mais ce n’est pas parce qu’on n’aime pas un film que l’on est partisan de la censure.
Avez-vous vu le film ?
Je ne l’ai pas vu et je n’ai exprimé aucune opinion.
Quelle est votre position sur certaines dispositions mutilantes de la charia telles que l’amputation des voleurs (houdoud) ?
Elles ne figurent pas dans notre programme. Le mot « charia » prête d’ailleurs à confusion. Étymologiquement, il signifie « chemin », « voie », celle que les musulmans se doivent d’emprunter pour créer une société juste. Aujourd’hui, il renvoie à un ensemble de lois pénales devenues inapplicables.
Que signifie exactement la loi, pour vous ? Est-ce celle que vote le Parlement issu du suffrage universel ou celle que prescrit le Coran ? Celle du peuple ou celle de Dieu ?
La loi est la loi votée par le Parlement, sans la moindre ambiguïté. Quelle qu’en soit l’inspiration, la loi est finalement l’uvre de l’assemblée des élus.
Pour en revenir à l’héritage, il est donc imaginable que le Parlement marocain, pour tenir compte de l’évolution de la société, vote une loi moins préjudiciable aux femmes
Dans l’absolu, oui. Mais étant donné la Constitution, la nature de l’État marocain et les croyances du peuple, une telle éventualité me paraît exclue.
Un parti a-t-il besoin de la bénédiction du Palais pour gagner les élections ? Ou peut-il l’emporter sans cette caution et même contre la volonté royale ?
Dans tous ses discours depuis six ans, Sa Majesté a affirmé sa volonté d’instaurer une démocratie où le meilleur gagne.
Il y a la position de principe et la réalité politique. Comme vous le savez, le Palais se réserve un rôle de régulation de la vie politique, voire du jeu électoral. Sous Hassan II, il l’exerçait de façon brutale : le ministère de l’Intérieur « faisait » les élections. Les choses ont beaucoup changé, mais la régulation n’a pas disparu, même si elle se manifeste de manière plus subtile. La « parole du Makhzen », l’influence, restent fortes
Nous militons précisément pour réduire toute influence qui ne relève pas de la volonté populaire. Quant à la régulation, nous l’avons faite nous-mêmes. Avant le scrutin de septembre 2002, on parlait d’un probable raz-de-marée, on cherchait à faire peur en agitant le « péril islamiste ». Un an auparavant, prévoyant une telle situation, nous avons choisi une stratégie d’autorégulation. Pour tenir compte du précédent algérien, de la fragilité du processus démocratique au Maroc et de la nécessité d’opérer les changements par étapes. Bref, pour rassurer tout le monde, à l’intérieur et à l’extérieur. Nous n’avons donc présenté des candidats que dans 60 % des circonscriptions.
Mohammed VI, dit-on, ne vous aime pas. Ceux qui craignent l’arrivée du PJD au pouvoir voient en lui le dernier rempart
Je ne sais pas sur quoi vous vous fondez pour prêter au roi de tels sentiments, mais j’ai tendance à croire exactement le contraire. Voici pourquoi : après les attentats du 16 mai 2003, certains – dont un ministre – ont publiquement réclamé notre dissolution, mais le roi s’y est refusé.
Au sein de la classe politique, écrit un journal, on se bouscule pour vous courtiser
Il ne faut rien exagérer. Nous avons des relations normales avec tous les partis. Certains, comme les Forces citoyennes (FC) d’Abderrahim Lahjouji, sont plus proches de nous que d’autres.
Une alliance avec l’Istiqlal est-elle possible ?
Ce n’est pas envisageable tant qu’il fait partie de la Koutla [Bloc démocratique regroupant l’Istiqlal, l’USFP et le Parti du progrès et du socialisme].
Votre séduction n’épargne pas les socialistes
Nous avons des amis partout.
Finalement, vos adversaires se comptent sur les doigts d’une seule main : le journaliste Jamal Berraoui, et deux titres, Al-Ahdath Al-Maghribiya et Tel Quel, qui vous sont très hostiles sur les questions de société.
Ces divergences sont normales et existent partout. Il faut seulement veiller à ce que les débats qu’elles suscitent ne dégénèrent pas en affrontements fanatiques et soient traités dans le respect de chacun.
On dit que vous avez bénéficié en 2002 des suffrages d’Al-Adl wal Ihsane, l’autre mouvement islamiste, qui, en boycottant le scrutin, vous a servi.
Je n’ai pas de raison de le croire.
Comptez-vous sur la réédition de cette situation en 2007 ?
Un parti a besoin de tous pour gagner.
Envisagez-vous des accords avec vos frères ennemis ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour.
Et demain ?
C’est peu probable, car je ne les vois pas changer de position sur les élections de 2007.
Que pensez-vous des « visions » du cheikh Abdessalam Yassine ?
Elles reflètent la dimension soufie d’Al-Adl On a affaire à un cheikh de confrérie (morchid, guide) qui accorde crédit à ces visions, les siennes comme celles de ses adeptes. Je n’ai pas à donner mon opinion, cela ne nous concerne pas.
Comment, en tant que psychiatre, interprétez-vous par exemple ce rêve où le Prophète glisse un cimeterre dans l’uvre maîtresse de Yassine ?
Le cheikh ressent peut-être un besoin de légitimité. Et, pour l’acquérir, recherche la bénédiction du Prophète.
Dans une autre vision, le Prophète désigne un palais et dit au cheikh : « C’est pour vous. »
Puisque vous insistez, je dirai que ces rêves dénotent une certaine angoisse et un sentiment d’échec : on exprime à travers le rêve ce qu’on n’a pu accomplir dans la réalité.
Avez-vous autour de vous des équipes d’experts qui préparent les réformes ?
Nous sommes en train de le faire. Notre secrétariat général anime trois commissions : politique, organisation et affaires sectorielles (santé, éducation, énergie). C’est cette dernière qui recherche des compétences et requiert leur concours.
On s’intéresse beaucoup à vous à l’extérieur, dit-on
En effet. Au cours de ces deux ans, je suis allé en Italie, invité par l’Institut des affaires internationales et par No Peace Without Justice, une ONG que préside Emma Bonino. En Belgique, j’ai été reçu par un institut qui porte le même nom que l’italien. J’ai séjourné trois fois en Turquie, je suis allé aussi en Jordanie, en Algérie, à l’invitation du Hamas, ou plutôt Hams puisqu’il a changé de nom. J’ai dirigé une délégation qui a passé six jours en Espagne, où elle a rencontré des représentants des partis, des hommes d’affaires et des émigrés. Enfin, je dois me rendre dans les prochaines semaines en France et aux États-Unis.
Qui a pris l’initiative de ces rencontres ?
Le PJD.
En Turquie, le parti au pouvoir porte le même nom que le vôtre (AKP signifie, en turc, « Parti de la justice et du développement »). Qui a « copié » ?
Nous avons choisi ce label en 1998, eux en 2001.
Hasard ou inspiration ?
Tout ce que je sais, c’est qu’une délégation du Fazilet, l’ancêtre de l’AKP, nous a rendu visite en 1999.
Avez-vous des relations organiques avec vos homonymes turcs ?
Nous sommes un produit purement local.
Quel regard portez-vous sur le 11 septembre 2001 ?
C’est un acte terroriste que nous avons été les premiers au Maroc à condamner.
Et la guerre de Bush contre le terrorisme ?
C’est une autre forme de terrorisme que les Américains eux-mêmes commencent à dénoncer.
Que faire en Irak ?
Mettre fin sans tarder à l’occupation américaine.
Comment avez-vous réagi à la victoire du Hamas palestinien ?
C’est un événement important qui marque à la fois la victoire de la démocratie et de la stratégie de résistance à l’occupation. Le Hamas au gouvernement sera différent du Hamas dans l’opposition, et je n’exclus pas qu’il évolue vers la recherche d’un règlement de paix.
Votre cursus universitaire est curieux et peut-être unique : vous avez parallèlement suivi des études de médecine et de droit musulman. Comment concilier les deux ?
Deux policiers qui m’avaient interpellé à Casablanca, en 1981, avaient été surpris en regardant mes papiers : « Étudiant en médecine et à la faculté de charia, comment est-ce possible ? » L’explication est simple : mon père était un alim (ouléma) et notre maison était le rendez-vous des disciples de Mokhtar Soussi, vénérable figure du nationalisme dans le Sud. J’ai donc, très jeune, été imprégné d’études religieuses et j’ai acquis les fondements en la matière. Quant à la médecine, dès le secondaire, ma voie était tracée. Je n’ai jamais ressenti la moindre incompatibilité entre les deux disciplines.
Vous n’exercez plus
J’ai achevé mes études de médecine en 1987. Entre 1988 et 1990, j’ai travaillé comme médecin généraliste à Oued Zem. Pendant cinq ans (1990-1995), j’ai suivi des études de psychiatrie à la faculté de Casablanca avant de travailler au Centre de Berrechid (1995-1998). J’ai cessé d’exercer quand j’ai été élu député, il y a cinq ans. Mais je compte reprendre du service dans une clinique privée, dès cette année.
Vous paraissez un peu perdu en politique
Voici comment j’y suis venu. J’appartenais au MUR, qui, en 1996, avait décidé de rejoindre le Mouvement populaire constitutionnel démocratique (MPCD), le parti du Dr Abdelkrim Khatib. Avec trois frères, j’ai alors été désigné pour siéger à la direction de cette formation. L’année suivante, j’assistais à un colloque à Istanbul sur le thème « ramadan et santé » lorsque j’ai été nommé directeur du parti. En 1999, ce fut secrétaire général adjoint et, en 2004, le congrès m’a élu secrétaire général.
Vous avez 50 ans, l’âge des premiers bilans, et vous êtes entré en politique il y a dix ans : avez-vous fait le bon choix ?
La politique n’est pas tout. En m’y adonnant exclusivement, je me sentirais frustré de mes autres passions. Or j’ai très envie de contribuer à la réforme de la pensée musulmane et d’exercer mon métier de psychiatre.
Si le PJD remporte les élections en 2007, vous vous retirez ?
Au contraire, je serai obligé d’assumer mes responsabilités !

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