Exécution d’Ali Bhutto

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

La vie politique au Pakistan n’est pas un long fleuve tranquille. Le destin de l’homme d’État le plus prestigieux et le plus controversé de l’histoire pakistanaise, Zulfikar Ali Bhutto, illustre les déchirements d’un pays qui tient dans le monde actuel l’un des tout premiers rôles. Le Pakistan est à présent une puissance nucléaire qui s’est fait reconnaître bon gré mal gré et dont la rivalité avec l’Inde à propos du Cachemire pourrait encore déclencher un conflit majeur (elle est heureusement depuis quelque temps en sourdine). Et c’est probablement dans les profondeurs de la zone tribale qui s’étend le long de sa frontière avec l’Afghanistan que se cache depuis quatre ans Oussama Ben Laden. Le passé, pourtant, pèse encore.
Zulfikar Ali Bhutto a été pendu à l’aube du 4 avril 1979, les mains attachées dans le dos, le visage couvert d’une cagoule, dans la prison de Rawalpindi, près d’Islamabad (capitale du pays depuis 1967). « L’opinion est scandalisée parce qu’une vedette de la scène internationale [a été] suppliciée, a écrit Amin Maalouf dans Jeune Afrique du 11 avril suivant. On a l’impression que l’ancien Premier ministre a été pendu sur la place publique du monde. »

Ali Bhutto était accusé d’avoir ordonné, en novembre 1974, l’assassinat de l’un de ses adversaires politiques. L’affaire avait été classée sans suite en 1975, mais le chef de l’État, le général Zia Ul-Haq, fit rouvrir l’enquête et organisa ce que Me Robert Badinter, futur garde des Sceaux français et l’un des avocats étrangers choisis par Ali Bhutto (mais récusés par les autorités pakistanaises), devait appeler « un assassinat judiciaire ».
La condamnation à mort fut prononcée en mars 1978. Elle ne viendra en appel qu’un an plus tard. Entre-temps, une série de Livres blancs avaient accusé Ali Bhutto d’à peu près tous les maux. Le dernier, publié en janvier 1979, affirmait qu’il avait fait des renseignements généraux du pays sa « Gestapo personnelle » et eu recours à l’assassinat, à la torture, aux enlèvements et à l’intimidation pour éliminer l’opposition politique. Le 6 février, par quatre voix contre trois et avec une recommandation de commuer la peine, les juges de la Cour suprême confirmèrent la sentence. Les appels à la clémence se multiplièrent : Jean-Paul II, Jimmy Carter, Giscard d’Estaing, à l’Ouest ; Indira Gandhi elle-même, mais aussi Brejnev, Tito, Hua Guofeng ; et les dirigeants de la plupart des pays arabes. Le roi Khaled d’Arabie saoudite ira jusqu’à faire remettre par son ambassadeur une lettre au général-président Zia. Mais celui-ci, qui tenait au pouvoir, n’exerça pas son droit de grâce.
Il n’est pas douteux que les élections organisées par Ali Bhutto n’ont pas toutes été « libres et honnêtes ». Descendant d’une famille de grands propriétaires terriens, après des études à Berkeley et à Oxford (ses admirateurs l’appelaient le « gentleman d’Oxford »), il a été ministre des Affaires étrangères de 1963 à 1965, a fondé le Parti du peuple pakistanais (PPP) en 1967 et a été élu Premier ministre en août 1973. Mais c’est en 1971 que « le plus grand fils du Pakistan » (comme l’appellera Zia lui-même avant de le faire un peu plus tard condamner à mort !) a donné sa mesure.

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Le Pakistan est né en 1947 de la partition de l’ancien Empire britannique des Indes, mais en deux morceaux : l’un situé à l’ouest du continent indien, l’autre à l’est. En 1971, une nouvelle guerre entre l’Inde et le Pakistan (après celle de 1965) favorise la sécession du morceau de l’Est, qui devient le Bangladesh. Paniqués par la disparition de ce qui représente le quart du pays, le général Yahya Khan et sa « bande de psychopathes illettrés », disait Ali Bhutto, lui remettent le pouvoir. Bhutto redresse la situation et signe l’accord de Simla, qui libère les prisonniers de la guerre de 1971 et normalise au moins provisoirement les relations avec l’Inde.
Zulfikar Ali Bhutto aura cependant sa revanche posthume. Son épouse, Begum Nousrat, et sa fille Benazir, assignées à résidence en mars 1978, seront relâchées en mai 1979. La première sera nommée présidente à vie du PPP. La seconde, élue Premier ministre en 1988, limogée en 1990, sera réélue Premier ministre en 1993, avant de s’exiler à Londres en 1999, ayant été accusée de corruption.

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