Diagnostic nuancé

Un rapport de l’ICG tord le cou à plusieurs idées reçues. Et propose des solutions au mal-être des jeunes musulmans.

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

« La France a un problème avec ses musulmans, mais ce n’est pas celui qu’elle croit ! » C’est la conclusion du rapport que vient de publier l’International Crisis Group (ICG), une organisation non gouvernementale spécialisée dans les études de terrain en vue de la prévention et la résolution des conflits.
Le principal intérêt de ce document est qu’il tord le cou à nombre d’idées reçues. Florilège.
– Les Français pensent que le retour de l’islam dans l’actualité, nationale ou internationale, est le signe de la résurgence de l’islamisme ou de sa radicalisation. Or il n’en est rien. C’est, au contraire, à l’essoufflement de l’islamisme politique qu’on assiste actuellement en France.
– On avance que l’islamisme est en passe de devenir l’idéologie des jeunes musulmans. Faux. La formule islamiste ne fait plus recette, et les jeunes sont à court d’idéologie.
– On prétend que l’imam a remplacé l’assistante sociale dans les cités. Inexact. Les barbus ne jouent plus un rôle de contrôle social.
– On a laissé entendre que l’embrasement des banlieues en novembre 2005 était le résultat d’une manipulation des islamistes. Intox. Cette révolte « s’est faite sans acteurs religieux et a confirmé que les islamistes ne tiennent pas les quartiers ».
– On parle de la « communautarisation » des musulmans alors qu’il faudrait parler plutôt de leur « individualisation ». Car ces populations échappent aux réseaux associatifs et résistent aux tentatives de fédération.
– On affirme qu’« il y a des tensions entre l’ordre communautaire supposé réguler les populations musulmanes et l’individualisme républicain ». C’est l’inverse qui est vrai : « Il y a un communautarisme républicain qui s’inscrit dans la tradition française de ghettoïsation sociale et d’instrumentalisation clientéliste des élites religieuses. »
De fait, affirment les auteurs du rapport, l’organisation politique des populations musulmanes a échoué, et l’islamisme n’a pas réussi à encadrer les mouvements associatifs. L’Union des organisations islamiques de France (UOIF) a renoncé à son action de contestation pour s’engager dans une « stratégie de reconnaissance et de clientélisme vis-à-vis des autorités ». Le Mouvement des jeunes musulmans (MJM) est en décalage par rapport aux préoccupations nationales et aux revendications concrètes. Et les grandes instances de l’islam de France, comme le Conseil français du culte musulman (CFCM), ont montré leur impuissance à peser sur les événements et « affaires » ayant trait à l’immigration musulmane.
Selon le rapport, c’est le salafisme qui aurait succédé au militantisme politique. Or, plus qu’une idéologie, ce courant se définit comme une pratique rigoureuse de l’islam, un retranchement dans une éthique et un mode de vie conformes au modèle du Prophète, ce qui équivaut à une démission du combat social.
Reste le djihadisme, mais il est affaire de politique transnationale et dépasse le simple problème du rapport entre l’islam et la France, pour se définir comme un engagement anti-impérialiste, en réaction notamment à la guerre d’Irak et à l’occupation de la Palestine.
Conclusion : les jeunes musulmans vivent un grand vide. À ne pas confondre avec le vide repu des années 1960. Il s’agit plutôt d’un vide nourri de l’angoisse des lendemains qui ne chantent plus et d’une société qui stigmatise l’islam et maintient les jeunes musulmans dans des conditions sociales précaires. L’absence de relais médiatiques laïcs, l’essoufflement des organisations de jeunesse et la crise de la représentation politique des cités font le reste.
Quelles solutions ? Certainement pas les méthodes au Kärcher, ni la création d’instances supplémentaires de contrôle de l’islam français. Un « islam tranquille » ne fera pas l’économie d’émeutes sociales si elles sont nécessaires. La solution est plutôt « la diminution des pratiques répressives dans les cités, de nouvelles formes de représentation politique crédibles pour les jeunes musulmans, y compris à travers les grands partis politiques et, enfin, un effort sérieux de la part du monde occidental en général à l’égard des grands dossiers qui alimentent les courants djihadistes, la question palestinienne et celle de l’Irak en particulier.

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