Brancher un Africain sur trois

Déjà 100 millions d’adeptes du téléphone mobile sur le continent. Objectif 2010 : 300 millions. Voici comment les opérateurs s’y préparent.

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

« C’est une révolution, Sire », avait-on signifié au roi de France pour qu’il réalise l’importance de la prise de la Bastille. Deux siècles plus tard, l’invention d’un bout de plastique de quelques millimètres de côté a eu des conséquences aussi étonnantes. Dotée d’une puce électronique, cette carte nommée SIM, pour Subscriber Identity Module, s’insère dans un équipement approprié et le transforme en un téléphone que l’on peut utiliser où que l’on soit. Dans la rue ou en voiture, dans son appartement et même en Afrique. De ce continent, les mauvais esprits retenaient à l’époque qu’il comptait autant de lignes téléphoniques que Manhattan ou Tokyo, ce qu’ils ne jugeaient pas glorieux. Il y en a maintenant au moins quatre fois plus (dont 100 millions de possesseurs de cartes SIM fin 2005), même si le terme « ligne » est peu approprié pour qualifier un outil de communication sans fil.
Bon nombre d’observateurs ont sous-estimé l’avenir africain du téléphone cellulaire. À l’image de cette banque d’affaires européenne sollicitée pour investir dans le développement d’un opérateur qui n’était présent qu’en Afrique subsaharienne. Jugeant le retour sur investissement trop mince dans des pays aussi pauvres, la haute direction a divisé par dix le montant qui lui était recommandé par ses hommes de terrain. Ce qui n’a pas empêché Celtel de trouver d’autres bailleurs et de continuer sa progression. Jusqu’à ce qu’un groupe koweïtien décide, l’année dernière, d’en prendre le contrôle pour compléter sa présence internationale. Mobile Telecommunications Corp. (MTC) a déboursé le montant record de 3,3 milliards de dollars pour réaliser cette acquisition – la plus forte transaction en Afrique hors pétrole -, rémunérant d’une confortable plus-value les anciens actionnaires, ceux qui avaient eu confiance dans le développement du marché africain.
Depuis cinq ans, la croissance du téléphone mobile est plus forte en Afrique que partout ailleurs dans le monde, comme en témoigne Devine Kofiloto, d’Informa Telecoms & Media (voir interview page suivante). Grâce à quoi plusieurs opérateurs de télécommunications figurent au premier rang des groupes les plus dynamiques du continent. Pour la plupart, ils appartiennent à une nouvelle race d’entreprises, souvent caractérisées par leurs origines africaines et leur présence dans plusieurs pays. L’année dernière, les six premières de ces « multinationales panafricaines » (voir cartes) ne sont pas restées immobiles tandis que leurs marchés se développaient. Avec le soutien de MTC, Celtel s’est déployé à Madagascar et a pris le contrôle à 100 % de sa filiale au Soudan. Vodacom, numéro un en Afrique du Sud, a resserré ses liens avec son partenaire britannique Vodafone, qui a déboursé 2,5 milliards de dollars pour porter de 35 % à 50 % sa part dans le capital. Quant à son compatriote MTN, il a ajouté la Côte d’Ivoire, la Zambie, le Botswana et le Congo à son portefeuille.
Vodafone, qui est également présent en Égypte et détient 40 % du capital de Safaricom, au Kenya, et France Télécom sont les seuls européens à se maintenir dans le mobile en Afrique. Sous la marque Orange, le français est présent au Cameroun, en Côte d’Ivoire et à Madagascar. Via sa filiale sénégalaise Sonatel, il est également actif au Mali (Ikatel) et au Sénégal (Alizé). L’égyptien Orascom Telecom s’est pour sa part concentré sur les marchés plus rémunérateurs de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le groupe totalise 30 millions de clients dans des pays comme l’Algérie, l’Égypte, la Tunisie ou encore l’Irak, le Pakistan, le Bangladesh. Ensemble, les cinq opérateurs que nous venons de citer représentent plus de 80 % du marché africain. Leurs concurrents, de taille plus modeste, n’en sont pas moins des acteurs importants. À l’instar d’Atlantique Télécom, titulaire des marques Télécel en Afrique francophone (Bénin, Burkina, Gabon, Niger et Togo) ou encore de Millicom International Cellular (MIC), groupe luxembourgeois qui s’est spécialisé dans les marchés émergents d’Amérique latine (Bolivie, Guatemala, Paraguay), d’Asie (Cambodge, Laos) et d’Afrique.
Reste à savoir ce qu’il va advenir de ces positions bien établies à l’heure où les marchés africains sont tous, à de rares exceptions près, identifiés et en plein essor. L’Égypte est le dernier grand pays à mettre en vente une nouvelle licence de téléphonie mobile. Les perspectives sont d’autant plus grandes que le taux de pénétration du GSM dans le pays, de 15 % de la population (12 millions d’abonnés), est très faible en regard des scores atteints par la Tunisie (60 %), l’Algérie ou le Maroc (40 % chacun). Ailleurs en Afrique, le secteur vit désormais au rythme de la mise en vente de nouvelles licences de réseau fixe (téléphone et Internet), mettant fin aux monopoles jusque-là exercés par les opérateurs historiques. Le Sénégal est assez avancé dans ce domaine, et devrait bientôt émettre l’appel d’offres pour la désignation d’un second opérateur national (SNO, Second National Operator). C’est chose faite en Algérie, où le SNO est un attelage comprenant Egypt Telecom et Orascom Telecom.
La mutation est encore plus importante au Maroc, où deux licences ont été mises en vente l’année dernière. L’une est allée à Médi Télécom, déjà opérateur de mobile dans le pays, et l’autre à une société locale, Maroc Connect, fournisseur d’accès à Internet. De même que l’aventure du mobile en Afrique a conduit à des regroupements entre les différents acteurs, il est probable que cette nouvelle phase de développement des télécoms africaines va aussi conduire à une redistribution des cartes. Il est encore beaucoup trop tôt pour en jauger l’importance et même prédire combien des multinationales panafricaines, et lesquelles, tireront leur épingle du jeu. D’autant plus que la partie qui se joue est mondiale. Début mars, l’américain ATT rachetait l’un de ses confrères, ce qui lui permettait de distancer largement ses grands concurrents, Comcast et Verizon. Les chiffres donnent le vertige : ATT dispose désormais de 124 millions de clients (dont 54 millions dans le mobile), un portefeuille supérieur à celui des deux autres réunis ! Pour faire face à une telle force de frappe dans les négociations commerciales avec les fournisseurs, le mouvement de concentration est en train de contaminer ces derniers. Fin mars, le français Alcatel et l’américain Lucent ont annoncé un projet de fusion. S’il aboutit, il donnera naissance au numéro deux mondial des équipements de réseaux pour le téléphone et l’Internet, presque ex aequo avec le premier, Cisco Systems.
De tous ces bouleversements, qui traduisent la concurrence acharnée que se livrent tous les acteurs pour améliorer leur rentabilité, c’est le client final qui sort gagnant. Il se voit offrir toujours plus de services et de technologie, voire, de temps à autre, des prix en baisse. Fait rare dans l’histoire économique, le continent n’est pas à l’écart du tourbillon. Ses opérateurs, s’ils veulent maintenir les performances qu’ils ont réalisées jusqu’à présent, vont devoir faire preuve d’inventivité.

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