Zapatero, vent debout

Grogne de l’Église catholique, essoufflement de l’économie, rupture de la trêve avec l’ETA… Avant les législatives du 9 mars, le temps se gâte pour le chef du gouvernement socialiste. Et la droite se sent soudain pousser des ailes.

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Malgré son inébranlable confiance en lui, José Luis Rodriguez Zapatero peut se faire du souci : les élections législatives espagnoles du 9 mars ne s’annoncent pas pour lui comme une promenade de santé. Il est vrai qu’il a jusqu’ici remporté tous ses combats politiques décisifs, mais toujours dans la position d’un outsider quasi inconnu.
Rien de tel, cette fois. Président du gouvernement sortant, il est donné vainqueur par les instituts de sondage, mais de fort peu : son avance sur Mariano Rajoy, son rival du Parti populaire (PP), oscille entre 1,5 % et 3,5 % des intentions de vote. Sera-ce suffisant pour résister au mécontentement croissant de ses compatriotes en matière économique, et au durcissement des débats sur l’immigration et sur la question basque ? Son atout majeur ? Il a la baraka.
José Luis naît le 4 août 1960 à Valladolid (Castille-León) d’un père avocat. En 1976, il entre en politique après avoir écouté une harangue du socialiste Felipe González, dont, aujourd’hui encore, il copie les gestes et les tics de langage. Très vite, il s’impose comme secrétaire des Jeunesses socialistes du León.
En 1986, il est élu député, renonce à son poste de professeur de droit constitutionnel à l’université du León et choisit définitivement la politique. Pendant des années, il ne se fait guère remarquer, mais, dans l’ombre, tisse patiemment des liens avec les jeunes socialistes, impatients, comme lui, de supplanter en douceur les « mammouths » du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), regroupés autour de González. C’est la Nueva Via, la nouvelle voie.
En juillet 2000, cette patience et cette modération paient : à la stupéfaction générale, il bat de neuf voix José Bono, le « patron » de la Castille, pour la direction du PSOE. Quatre ans durant, il pratique une opposition « utile » au gouvernement de José María Aznar, avec lequel il conclut des « pactes d’État » dans les domaines de la lutte antiterroriste et de la justice.

Fossettes et yeux bleus
Cette opposition peu vigoureuse lui vaut des critiques assassines. On le surnomme « Bambi », comme le gentil faon de Disney, pour l’innocence de ses yeux bleus et son large sourire à fossettes, ou « Sosoman », qu’on pourrait traduire pas « monsieur Fadasse », en raison de ses discours lénifiants appelant à un « changement tranquille ». Autant dire qu’on ne le prend guère au sérieux et que les augures lui promettent une lourde défaite aux législatives de 2004.
C’était compter sans la gestion catastrophique des attentats du 11 mars, à Madrid, par le gouvernement Aznar et le Parti populaire. En s’obstinant, contre toute raison, à imputer aux terroristes basques de l’ETA la responsabilité de la sanglante opération (191 morts, 1 900 blessés), perpétrée en réalité par des salafistes marocains, la droite exaspère l’opinion et se retrouve défaite, le 14 mars.
Et c’est la révélation. On le croyait trop bien élevé, pour ne pas dire effacé ? Zapatero a le culot de prendre les aspirations des Espagnols au pied de la lettre. Sa première décision de président du gouvernement est de rapatrier les 1 600 soldats déployés en Irak par son prédécesseur. Il replace ensuite l’Espagne « au centre de l’Europe » et fait adopter le traité constitutionnel européen par 76 % des voix. Il se rapproche du Maroc et fait oublier les absurdes accrochages militaires de 2002 à propos de l’îlot Persil (Leila, pour les Marocains), non loin de Ceuta.
Certains le jugent « plus tacticien que stratège » en raison de son goût prononcé pour les positions médianes. Peut-être, mais il sent comme personne les attentes de la société espagnole – ou d’une partie d’entre elle – et enchaîne les réformes : mariage homosexuel, lutte contre la violence conjugale, amélioration de la législation sur le divorce, suppression des cours de religion obligatoires, renforcement de l’autonomie des régions, régularisation de 500 000 sans-papiers, ouverture d’un dialogue avec l’ETA, indemnisation des familles des républicains fusillés pendant la guerre civile, déboulonnage des statues du général Franco, etc.
En matière économique, il poursuit sur la lancée de son prédécesseur et laisse son ministre Pedro Solbes pratiquer une orthodoxie à toute épreuve. Le budget devient excédentaire de 23 milliards d’euros, le taux de chômage passe de 11,5 % à 8 %, et l’Espagne construit annuellement 700 000 logements, soit autant que la France et l’Allemagne réunies. Quant à la croissance, elle dépasse de 1 point la moyenne de l’Union européenne.
Pourtant, depuis un peu plus d’un an, Zapatero affronte des vents contraires. C’est d’abord la puissante Église catholique qui est entrée en opposition, en raison des atteintes portées, selon elle, à la famille, mais aussi de la remise en cause de l’instruction religieuse et des crédits alloués au clergé. En décembre 2006, les indépendantistes basques ont rompu la trêve conclue avec les autorités et adopté des positions maximalistes. Enfin, depuis l’automne 2007, l’économie s’essouffle : le chômage est remonté à 8,5 %, 33 700 emplois ont été perdus au quatrième trimestre, et l’inflation continue d’être excessive. Bref, les Espagnols broient du noir.
Convaincu que l’heure de la revanche a sonné, Mariano Rajoy attaque tous azimuts et sans ménagement le chef du gouvernement, aimablement qualifié de « niais solennel ». Furieusement hostile au développement des autonomies régionales, il dénonce le « détricotage de l’Espagne » et assimile le dialogue esquissé avec l’ETA à une « trahison ». Surtout, il reprend à son compte le thème sarkozyste de l’immigration « choisie » et propose, par exemple, d’instaurer un visa à points afin de n’accueillir en Espagne que les « meilleurs » immigrés. Son projet de « contrat d’intégration », qui durcit les obligations imposées à ces derniers, rencontre l’assentiment de 56 % des personnes interrogées, notamment chez les électeurs socialistes. Enfin, le chef du PP prend la défense de « ceux qui se lèvent à 7 heures » et propose de porter le seuil d’imposition de 9 000 à 16 000 euros, version ibérique du « travailler plus pour gagner plus ».
Mais Rajoy manque de charisme et Zapatero, qui n’a plus rien d’un « Bambi », pare les coups avec maestria, comme l’a démontré sa bonne prestation lors du débat télévisé du 25 février – le premier depuis quinze ans. Il a, par exemple, renoncé à imposer des quotas d’immigrés dans les écoles privées et à faire annuler les jugements des tribunaux militaires qui, pendant la guerre civile, condamnèrent les républicains à la peine capitale. De même, il a rompu avec l’ETA et annoncé qu’en cas de victoire du PSOE, tous les foyers espagnols se verront rembourser 400 euros d’impôts et que l’impôt sur la fortune sera supprimé.
Mais plus que cette « carotte » électorale, sa carte maîtresse est d’avoir clos le chapitre du postfranquisme et débarrassé ses compatriotes de leurs derniers complexes économiques et culturels. Lui en seront-ils reconnaissants ou bien lui feront-ils payer un certain déficit d’ordre et de pouvoir d’achat ?

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