Une année riche en défis pour la Bourse de Tunis

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Nombre d’investisseurs suivront de près la Bourse de Tunis cette année. Quatre opérations d’envergure sont prévues. Elles devraient marquer un tournant très attendu par les investisseurs, les professionnels et l’ensemble de l’économie du pays. Quatre entreprises significatives sont d’ores et déjà candidates, et il est probable que la liste s’étoffera au fur et à mesure du déroulement – et du succès – des opérations.
Première concernée, la société Artes, concessionnaire automobile Renault et Nissan appartenant au groupe Mzabi. Son introduction, qui porte sur 39,6 % du capital, devra se clôturer avant la fin du premier trimestre. Viendra ensuite Médis, spécialisée dans la production de médicaments génériques. Contrôlée par la famille Boujbel, l’entreprise a été accompagnée, depuis sa création en 1995, par l’investisseur en capital Tuninvest. Son introduction en Bourse lui permettra de poursuivre son développement en Tunisie et à l’international, notamment en Algérie (lire page suivante).
Puis ce sera au tour de la SFBT de faire son entrée sur la place boursière. Elle en est déjà l’une des valeurs vedettes, mais projette de restructurer ses activités pour les loger dans un holding qui fera l’objet de la nouvelle introduction. Cette initiative permet de bénéficier d’un avantage fiscal de taille, décrété par la loi de finances de 2007, qui permet aux groupes de défiscaliser toutes les plus-values dégagées par les restructurations en vue d’une introduction en Bourse. Après SFBT, Poulina, le premier groupe privé tunisien, envisage de faire de même avant d’introduire en Bourse le holding ainsi constitué. Cette opération sera certainement la plus importante de toute l’histoire de la place de Tunis.

La dimension des quatre sociétés constitue aussi un symbole fort. Elles devraient totaliser plus de 1,7 milliard de dinars de capitalisation (1,4 milliard de dollars), soit près de 25 % du marché tunisien aujourd’hui. Sur les dix dernières années, les introductions sur la place de Tunis représentent un total de 700 millions de dinars, le record étant détenu depuis août 2007 par TPR, à 125 millions de dinars.
De l’avis de tous les professionnels, les big caps 2008 devraient donner une autre dimension au marché boursier tunisien, longtemps boudé par les investisseurs étrangers pour son exiguïté. Il est vrai que sa taille est réduite au regard d’autres marchés émergents voisins. Tunis affiche une capitalisation boursière de 5,4 milliards de dollars (environ 15 % du PIB du pays), soit 15 fois moins que Casablanca et 25 fois moins que Le Caire (100 % du PIB dans les deux cas), et ne compte que 51 sociétés cotées (73 au Maroc et 430 en Égypte). Pourtant, Tunis dispose d’une infrastructure juridique et technique de premier ordre (conseil du marché financier, fonds de garantie, cotation électronique), ses niveaux de valorisation sont attrayants, les avantages fiscaux sont séduisants (exonération totale des plus-values et des dividendes, abattement du taux d’impôt sur les sociétés si au moins 30 % du capital est placé en Bourse) et l’économie tunisienne est en pleine forme (croissance de 6 % prévue en 2008, comme en 2007).
Le poids des habitudes explique en grande partie ce retard. Le tissu industriel tunisien est encore dominé par des entreprises familiales. Pour la plupart, leurs dirigeants n’ont pas encore perçu à sa juste valeur l’intérêt du recours au marché pour assurer le financement de leur développement. Ils répugnent d’autant plus à partager leurs informations stratégiques avec les acteurs du marché que les banques sont historiquement leurs principaux partenaires. Jusqu’à une date récente, la Tunisie ne comptait aucun entrepreneur ayant émergé grâce à la Bourse alors qu’ils sont plusieurs centaines à avoir fondé des géants économiques grâce au crédit bancaire Établie au long de deux générations, une telle culture d’endettement ne peut évoluer que très lentement. De plus, et contrairement aux marchés voisins, la Bourse de Tunis n’a pas bénéficié de grandes privatisations, à la différence de ce qui s’est passé au Caire (avec Ahram Beverages en 1997) ou à Casablanca, qui doit son décollage à la privatisation de Maroc Télécom, à la fin de 2004.
La donne est en train de changer. L’engouement naissant des groupes tunisiens pour la Bourse illustre un profond changement de mentalité. Dans un monde où libéralisation et globalisation sont devenues les maîtres mots de l’économie, nos entreprises sont conscientes qu’elles doivent être, plus que jamais, réactives et performantes. Pour résister à l’ouverture du marché tunisien et continuer à jouer un rôle important en Tunisie ou à l’échelle régionale, la question de la croissance externe est de plus en plus d’actualité, avec tous les préalables qui l’accompagnent, notamment la solidité des fonds propres et la gouvernance. Le marché financier peut jouer un rôle fondamental par rapport à cette évolution – c’est d’ailleurs l’un de ses principaux rôles – et permettre aux entreprises de lever les ressources utiles à leur développement.

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Pour accompagner ce nouvel élan, il est nécessaire de susciter une nouvelle dynamique, tant au niveau de l’offre (davantage d’actions) qu’à celui de la demande (davantage d’investisseurs). Le lancement d’une ou de deux grandes privatisations nous semble la meilleure solution pour satisfaire la première condition. L’ouverture du capital de Tunisie Télécom, dont la réussite sur le plan financier est indéniable, aurait constitué une occasion en or pour propulser la place tunisienne au plus haut, si une partie du capital avait été mise sur le marché boursier.
En ce qui concerne l’accroissement de la demande, il est important de capitaliser sur le succès des comptes épargne en actions (CEA) et de créer de véritables fonds de pension « à la tunisienne » sur la même base, en y ajoutant l’abondement de l’épargne et son prolongement jusqu’à la retraite. Au plan général, cela permettrait d’initier la création d’un système d’épargne salariale dans le pays en attendant une plus grande contribution des investisseurs institutionnels comme les compagnies d’assurance, la Caisse nationale de Sécurité sociale et les sicav. Jusqu’à présent, leur intérêt était centré sur les obligations publiques et ils n’ont encore pas joué leur rôle de catalyseur du marché boursier.
Il faut tirer le meilleur parti de la période favorable qui s’annonce. La prise de conscience de l’importance du marché boursier est forte, aussi bien du côté des dirigeants d’entreprise qu’au niveau des pouvoirs publics. L’État multiplie les initiatives pour l’asseoir davantage. La création d’un marché alternatif, l’objectif de 100 entreprises cotées d’ici à 2009, celui d’une contribution de la Bourse à hauteur de 20 % de l’investissement privé dans le même délai, contre 8 % aujourd’hui, sont autant d’indicateurs que la nécessaire dynamique se met en place.

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