Trois chaînes et la quadrature du globe

Quatre pays impliqués, plus de 300 millions d’euros de budget annuel, près d’un millier de journalistes disposant de statuts totalement hétéroclites, des programmes dans plus d’une vingtaine de langues et la couverture affichée de la totalité de la planèt

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

Radio France internationale
Société nationale créée par la loi du 30 septembre 1986 et héritière du Poste colonial des années 1930, RFI est censée exprimer, en français ou en langue étrangère, une « vision française de la France et du monde » contribuant « à la diffusion de la culture française » par la programmation d’émissions spécifiques en direction d’auditoires étrangers ou des Français résidant à l’étranger.
Depuis des lustres, l’histoire de cette radio incarne donc un combat fécond entre la mission institutionnelle qui lui est dévolue – concrétisée par une subvention annuelle de 65 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 56 millions, fruit de la redevance audiovisuelle, et un peu moins de 5 millions d’euros de ressources propres – et les exigences de l’information incarnées par ses 1 000 collaborateurs (dont 400 journalistes et 350 correspondants). Ce défi n’a été relevé qu’au prix de tensions très vives et parfois de drames, tel l’assassinat, il y a plus de quatre ans, du correspondant de RFI en Côte d’Ivoire Jean Hélène, sans compter les incarcérations de journalistes (comme au Niger) et autres expulsions.
Malgré toutes les mesures entreprises concernant tant les moyens de diffusion (150 relais sont installés de par le monde et une présence sur la FM assurée dans plus d’une centaine de pays) que la rationalisation des productions (Radio Paris-Lisbonne et RMC Moyen-Orient ont été absorbées, certaines langues ont été rayées des programmes) ou des coopérations (par des alliances avec des radios ou des agences privées), la première radio d’Afrique (25 millions d’auditeurs) s’est installée dans la crise. Le déficit perdure pour de bonnes – les productions originales, le déploiement journalistique – et de moins bonnes raisons – de mauvais choix techniques, le vieillissement des hommes et des structures.
Marquée à la culotte par ses rivales de la BBC ou de la Deutsche Welle allemande, concurrencée par Internet et les révolutions de l’image, RFI voit dès lors son indépendance éditoriale, réelle jusqu’ici, menacée (ainsi que ses emplois) par les projets de « mutualisation » des gestionnaires.

TV5 Monde
C’est l’actuelle dénomination de la chaîne née en 1984 et qui est le fruit de la coopération entre une dizaine de partenaires, français (France Télévisions, Arte France et l’INA, pour 66 % du capital) et francophones (RTBF pour les Belges de la communauté française, Radio Canada – en réalité une chaîne de télévision, comme son nom ne l’indique pas ! -, la Télévision suisse romande, Télé Québec, RFO, etc.).
TV5 Monde est aujourd’hui la première chaîne mondiale généraliste de télévision en français, « congénitalement » attachée à faire partager la diversité des cultures et des points de vue dans les 160 millions de foyers qui la reçoivent par le câble ou le satellite dans plus de 200 pays et territoires Une performance technique qui fait monter TV5 sur le podium des trois plus grands réseaux de télévision mondiaux, aux côtés de MTV et de CNN, malgré son budget plus modeste de 70 millions d’euros en 2007, tandis que le site Internet TV5.org connaît un réel succès. En 1998, Hubert Védrine, alors ministre des Affaires étrangères, a institué une présidence commune de TV5 avec la banque de programmes CFI (Canal France International) tout en mettant fin, par l’arrêt des activités de diffusion de ce dernier, aux effets pervers de la concurrence interne.
Des mesures qui n’ont pas suffi, non plus que les tentatives du président François Bonnemain, désavoué par le personnel en décembre 2006, de réduire sensiblement la part de l’information dans la grille des programmes de TV5. Subissant de plein fouet la contrainte d’une langue unique, qui lui rend difficile l’accès aux marchés les plus dynamiques, TV5 Monde, certes encore à la tête d’un formidable réseau de diffusion, est parfois perçue comme une chaîne victime de la trop grande complexité des mécanismes de prise de décision (bien que la France lui procure 84 % de ses ressources), qui ronronne passivement dans la niche francophone. Bref, une « voix de la France » qui semble bien être en quête de la partition que lui donnerait une stratégie nouvelle

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France 24
La (pas si) petite (toute) dernière, première chaîne française d’information internationale gratuite, en clair et en continu (24 h./24, 7 j./7), est née le 6 décembre 2006. Ô combien désirée par le président Chirac, mais aussi après de nombreuses interruptions de grossesse qui auraient pu faire croire à des malformations Apparemment, il n’en est rien. La nouvelle chaîne est une société anonyme de droit privé (détenue à parité par TF1 et France Télévisions, sous la tutelle du Premier ministre) qui se veut « soucieuse de respecter les diversités grâce à une stratégie multilingue – français, anglais, arabe et espagnol forte et ambitieuse ».
Dès son lancement, la chaîne s’est positionnée dans l’univers du numérique et a ouvert un site Internet trilingue qui lui a permis de se faire connaître de la population de « jeunes décideurs » friands d’informations, qu’elle vise en priorité et semble d’ores et déjà séduire. Avec 80 millions d’euros de budget, elle se situe modestement au milieu du peloton de ses compagnes, à ceci près que, grâce à une « convention de subvention pluriannuelle » qui lui est propre, France 24 échappe aux fameux « gels » affectant régulièrement les crédits du ministère des Affaires étrangères ou à la baisse brutale de moyens ayant, par exemple, affecté TV5 en 2006.
Une différence de traitement qui en dit long sur les ambitions dont elle est dépositaire ! Pour autant, la chaîne n’a pas l’intention de se replier sur ses privilèges, ainsi que l’indique toute une série d’accords de partenariats signés d’emblée avec l’AFP, RFI, CFI, Euronews, TV5, LCP (La Chaîne parlementaire) concernant des échanges d’images, de communication ou d’informations. Un appétit qui tend à l’excès de voracité à l’égard des différentes entités dorénavant coiffées par le holding.

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