Sarkozy à la relance

De N’Djamena au Cap, le chef de l’État français a tenté de mettre à profit sa deuxième tournée subsaharienne pour faire oublier son désastreux discours de Dakar et donner un nouveau souffle à sa politique africaine. Non sans succès.

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 7 minutes.

Entre un très spartiate hangar militaire à N’Djamena et le très chic hôtel Westin, au Cap, Nicolas Sarkozy a fait le grand écart. Son deuxième voyage officiel en Afrique subsaharienne (si l’on exclut une visite éclair au Tchad, le 4 novembre 2007, lors de l’affaire de l’Arche de Zoé) l’aura mené d’un pays « ami », que la France se sent obligée de remettre debout après une énième tentative de coup d’État, à une puissance continentale qui ne lui doit rien. Et ne lui demande pas beaucoup plus. C’est dire qu’entre le 27 février au matin et le 29 en début d’après-midi, l’ambiance s’est peu à peu détendue dans les rangs de la délégation française, passée sans transition du délicat sauvetage d’Idriss Déby Itno à l’accueil chaleureux et dénué d’arrière-pensées de Thabo Mbeki. Carnet de route d’un président français qui, entre vieux réflexes françafricains et realpolitik, tente de tracer son propre chemin sur le continent.

Mercredi 27 février, 17 h 45
L’Airbus présidentiel atterrit à N’Djamena. Accompagné de trois ministres – Bernard Kouchner (Affaires étrangères), Hervé Morin (Défense), Jean-Marie Bockel (Développement) – et de Carla, son épouse (voir page suivante), Sarkozy en descend. Sans doute songe-t-il aux trois objectifs qu’il s’est fixés pour que cette étape tchadienne soit un succès et qu’on ne puisse l’accuser de se faire « l’avocat d’un chef d’État particulier », comme le disait un diplomate français avant le départ. Il faudra, d’abord, qu’Idriss Déby Itno (IDI) accepte le principe d’une commission d’enquête internationale chargée de faire la lumière sur la disparition de deux opposants. Il faudra, ensuite, qu’il se prononce clairement en faveur de la reprise du dialogue politique. Il faudra, enfin, que son alter ego français soit autorisé à rencontrer des représentants de l’opposition.
La chaleur étouffante dans laquelle baigne, pendant la journée, la capitale tchadienne se dissipe peu à peu. Il est 18 h 30 et le soleil est en train de se coucher. Le couvre-feu imposé dans le cadre de l’état d’urgence ne prend effet qu’à minuit, mais, déjà, les rues se vident. Sarkozy arrive au palais présidentiel, suivi d’une forte délégation. Conscient que sa rencontre avec IDI risque de décrédibiliser sa volonté affichée de donner un nouvel élan aux relations entre la France et l’Afrique, il a demandé à Louis Michel, le commissaire européen au Développement, et à Abdou Diouf, le président de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), de se joindre à lui. Le fait d’inscrire ce déplacement dans un cadre international ne présente pour lui que des avantages. Quant à Louis Michel, il a bien compris l’intérêt d’une forte médiatisation (une quarantaine de journalistes accompagnent le président français) pour mettre la pression sur Déby Itno.
L’entretien dure une bonne heure. Il est tendu, houleux. Dans un hall adjacent où sont servis en-cas et rafraîchissements, les conseillers attendent patiemment le retour de leurs patrons respectifs pour gagner le siège de la Ceni, la Commission électorale nationale indépendante, où se réunit le comité de suivi de l’accord du 13 août 2007. On sait que ledit accord a été signé par ceux-là mêmes qui ont disparu après les « événements » des 2 et 3 février
« Les opposants jouent une mauvaise carte, explique un diplomate européen. Ils ne veulent pas venir et nous laissent en tête à tête avec les partis de la mouvance présidentielle. Ils manquent ainsi une belle occasion de présenter leurs réclamations. » Mais les intéressés se refusent à participer à ce qu’ils considèrent comme une mascarade, tant qu’on restera sans nouvelles d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, leur porte-parole, et de Ngarlejy Yorongar. C’est donc dans les bureaux de la représentation européenne qu’ils rencontreront les médiateurs, après le départ de Sarkozy.

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Mercredi 27 février, 21 heures
Sarkozy arrive à la base militaire française de Kossei, près de l’aéroport. Six Mirage, un Antonov et plusieurs hélicoptères sont stationnés sur le tarmac. Deux cents soldats et officiers l’attendent dans un vaste hangar pour partager avec lui un modeste repas (avocat sauce crevette, tomate farcie, cuisse de poulet froid et taboulé). Le chef de l’État, qui est aussi celui des armées, félicite ses troupes de n’avoir pas tiré une seule balle pendant la tentative de coup d’État. Quelques chansons paillardes retentissent. Les hommes d’un bataillon polynésien réalisent un haka impressionnant sous les yeux ébaubis de Carla. L’ambiance est bon enfant. Mais plusieurs soldats racontent avoir vu les rebelles de près, aux portes du palais présidentiel. À les en croire, les combats ont été « chauds ». Ce qui, indirectement, confirme leur engagement sans équivoque en faveur de Déby Itno.
Au bout du compte, ce dernier finira par accepter le principe d’une commission d’enquête, à laquelle Louis Michel, Abdou Diouf et la Croix-Rouge seront associés. Le premier objectif, au moins, est atteint. Le deuxième, on l’a vu, ne l’a été que très partiellement. Quant au troisième Carla Bruni-Sarkozy a été autorisée à rencontrer la femme d’Ibni, l’un des disparus. Plus tard dans la nuit, Louis Michel a pu s’entretenir avec Lol Mahamat Choua, le troisième opposant, pour sa part assigné à résidence, et dont il a d’ailleurs obtenu la libération, le lendemain.

Jeudi 28 février, 14 h 15
La courte nuit passée dans l’avion a laissé des traces sur les visages des membres de la délégation. Arrivé au Cap, Sarkozy tousse un peu et a les yeux cernés. Heureusement, la matinée se passe bien. Il est vrai que les relations avec Thabo Mbeki sont au beau fixe : les deux hommes s’apprécient. Quatre accords sont signés entre les deux gouvernements. La société Alstom remporte un contrat de 1,4 milliard d’euros pour la construction d’une centrale de charbon, un projet d’éoliennes est lancé, et les Français promettent d’envoyer des experts pour aider l’Afrique du Sud à résoudre sa crise énergétique. Business is back. Les pistes poussiéreuses du Tchad sont loin.
C’est donc en pleine confiance que Sarkozy se présente, sous les applaudissements, devant le Parlement. Le discours qu’il doit y prononcer est annoncé depuis plusieurs semaines par l’Élysée comme marquant une véritable rupture dans les relations France-Afrique. Il est vrai que la dernière fois qu’il a pris la parole sur le continent, ça s’est franchement mal passé, le tristement fameux « discours de Dakar » ayant suscité de fâcheuses accusations de néocolonialisme. Cette fois, ni Henri Guaino, son conseiller spécial, au centre de la polémique, ni Claude Guéant, son directeur de cabinet, ne sont du voyage. La cellule Afrique (Bruno Joubert et Rémi Maréchaux) semble avoir repris la main. « Le discours de Dakar portait moins sur la méthode que sur l’esprit », commente Joubert. Bref, place au concret.
Pourtant, Sarkozy commence par rappeler les souffrances subies par l’Afrique, « ce continent souvent humilié et bafoué ». « Il ne faut pas oublier, dit-il, ce que la France doit à l’Afrique. » Les quelques références au discours de Dakar figurant dans la version initiale de son texte ont disparu. Sarkozy rappelle au contraire que « les Africains en ont assez de recevoir des leçons de morale ». Qu’il faut donner « un nouvel élan » à une relation franco-africaine « décomplexée » et « pleine d’avenir ».
Pour lui, la nouveauté passe certes par l’affirmation de la voix de l’Afrique dans le monde (une antienne souvent entonnée par son prédécesseur), mais, surtout, par la remise à plat d’accords de défense désormais « obsolètes ». Prudemment, il appelle donc à leur renégociation (les pays concernés ont été préalablement informés du contenu du discours). La politique africaine de la France devra, à l’avenir, être élaborée en toute transparence, de concert avec le Parlement français.
En attendant leur retrait complet, Sarkozy souhaite que les troupes françaises soient mises au service des forces africaines censées être mobilisées d’ici à 2012, en y associant l’Europe. Tout cela manque sans doute de précision (quel sera le contenu des futurs accords de défense ? La France pourra-t-elle continuer d’intervenir à la demande d’un chef d’État africain ?), mais a au moins le mérite de la nouveauté. D’autant que le président français a clairement pris parti pour l’attribution à l’Afrique d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU (« Il ne nous appartient pas de décider qui la représentera, mais je constate que l’Afrique du Sud marche à l’avant-garde. »). On comprend que les députés sud-africains l’aient longuement applaudi.
Le Cap fera-t-il oublier Dakar ? Les Sud-Africains seraient-ils meilleur public que les Sénégalais ? Moins concernés, à l’évidence. Et désireux avant tout que la France concède peu à peu à l’Afrique le soin de résoudre ses propres crises – c’est un slogan de Thabo Mbeki. Que Sarkozy n’ait fait mention ni de la bonne gouvernance ni des réseaux « d’un autre âge », récemment dénoncés par son secrétaire d’État au Développement, leur importe peu.

Vendredi 29 février, 14 h 15
Après un entretien avec Jacob Zuma, président du Congrès national africain, Sarkozy gagne Johannesburg, où il s’entretient brièvement avec Nelson Mandela. La veille, lors d’une visite dans un centre de traitement du sida, Desmond Tutu, l’ancien archevêque du Cap, lui a fait l’honneur de sa présence. Bref, sa tournée dans la nation Arc-en-Ciel ressemble à un sans-faute. Le succès du Forum économique du Cap, auquel ont participé de nombreux chefs d’entreprise français, confirme d’ailleurs l’excellence des relations bilatérales, même si le niveau des échanges est encore faible.

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