Nouveaux amis

Après avoir longtemps courtisé les États-Unis, Dakar s’est tourné peu à peu vers les pays musulmans. Les pétromonarchies du Golfe et l’Iran en tête.

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

Sortir du tête-à-tête politique, mais aussi économique, avec l’ancienne puissance coloniale, la France. Diversifier les partenariats. S’ouvrir aux nouveaux investisseurs. L’air est connu. On le fredonne partout sur le continent, de Djibouti à Libreville. Et Dakar ne fait pas exception. Au lendemain de son accession à la magistrature suprême en 2000, le président Abdoulaye Wade avait annoncé la couleur, visant implicitement Paris : plus question de « se comporter en tirailleur », l’époque du pré carré est terminée ! Son discours avait alimenté les rumeurs sur son incompréhension avec Jacques Chirac, son homologue français d’alors, qu’il soupçonnait de pencher un peu trop fortement en faveur de son prédécesseur, Abdou Diouf. Les deux hommes ont fini par se réconcilier à l’occasion de la venue du président français à Dakar en février 2005. Et le Sénégal, s’il a « rééquilibré » ses rapports avec la France, n’a pas tourné le dos à Paris. Au contraire. Mais il compte aussi aujourd’hui nombre de nouveaux partenaires et amis : l’Inde, la Chine populaire (avec laquelle le Sénégal a établi des relations diplomatiques en octobre 2005, dans la foulée de sa rupture avec Taiwan), le Brésil, l’Iran, et surtout les pays du Golfe.
« Nos relations politiques et de co-opération avec les royaumes et émirats de la péninsule arabique sont anciennes, note un diplomate. Ces nations ont toujours eu un rayonnement culturel important grâce aux fondations islamiques et ont toujours mené des actions de coopération. La nouveauté, c’est que, désormais, ils constituent des partenaires économiques stratégiques. » L’explication est simple. La flambée des cours du baril aidant, l’Arabie saoudite, et plus encore la Fédération des Émirats arabes unis, croulent sous les pétrodollars et sont à l’affût d’opportunités d’investissement.
Après s’être intéressés à l’Afrique orientale et au Maghreb, ils commencent à se tourner maintenant vers l’Afrique de l’Ouest. Dubai Ports World (DPW) s’est ainsi vu attribuer la concession du terminal à conteneurs du port de Dakar. La Jebel Ali Free Zone Authority (Jafza), l’un des bras financiers de la famille régnante de l’émirat, les Al Maktoum, s’est, elle, vu confier la réalisation d’une zone franche de 10 000 hectares, à Diass, à une quarantaine de kilomètres de Dakar. La société du Saoudien Tarek Ben Laden, le demi-frère d’Oussama, s’est vu attribuer le marché de la construction du nouvel aéroport de Diass, qui jouxtera la future zone franche. Quant aux Émiratis de Dubaï, ils se sont engagés, via Damag et Limitless, à édifier la nouvelle capitale administrative, rêvée par Abdoulaye Wade, qui sera située à mi-chemin entre Dakar et Saint-Louis. Des chiffres astronomiques – 30 milliards de dollars – circulent autour de ce projet grandiose, baptisé provisoirement « Dubaï Atlantique ».
Enfin, signe de l’engouement arabe pour le Sénégal, le soudanais Sudatel s’est porté acquéreur de la troisième licence de téléphonie mobile. « La présidence sénégalaise de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), et la tenue, à Dakar, du 11e sommet de cette institution, seront l’occasion de renforcer encore la coopération entre le Sénégal et les pays islamiques », explique Abdoulaye Baldé, directeur exécutif de l’Agence nationale de l’OCI (Anoci). Les liens tissés par Karim Wade, le fils du chef de l’État, dans les monarchies du Golfe, ont d’ailleurs été mis à profit pour attirer les investisseurs privés arabes, comme le milliardaire koweïtien Al Kharafi, détenteur de la vingt-neuvième fortune mondiale.

Amour déçu et lune de miel
« En un sens, analyse le directeur d’un influent hebdomadaire de la place, on peut dire que l’arabophilie actuelle des autorités, nettement perceptible depuis deux à trois ans, constitue un peu le pendant de l’américanophilie qui avait marqué les débuts du premier mandat d’Abdoulaye Wade. Il faut se souvenir qu’à l’époque tout le monde ne jurait que par Washington. » Le président sénégalais s’était entiché de George W. Bush, qui était devenu « son ami », et avec lequel il conversait régulièrement au téléphone. Il avait apporté son soutien à la guerre d’Afghanistan, tenté une vaine médiation entre les États-Unis et l’Irak, puis témoigné d’une neutralité bienveillante pendant la guerre d’Irak. Mais la passion s’est étiolée et a laissé place au dépit amoureux. Wade estime qu’il n’a pas été payé en retour.
Certes, Dakar fut la seule étape francophone du premier périple africain de Bush, en 2004, mais elle n’a duré que quelques heures, et a surtout laissé le souvenir de gardes du corps américains rudoyant des officiels sénégalais. Certes, la coopération militaire a été renforcée, et les produits du pays de la Teranga ont eu accès à des conditions préférentielles au marché américain, via le mécanisme de l’Agoa (Africa Growth and Opportunity Act). Mais c’est tout. Et c’est peu. « Wade a été déçu de son flirt avec l’Amérique, poursuit le patron de presse. Au retour d’un sommet, il a convoqué les journalistes qui l’accompagnaient pour leur annoncer que des centaines de milliards de francs CFA d’aide allaient se déverser sur le Sénégal et lui permettre de financer la ville nouvelle de Diamniadio. Nous avons finalement compris qu’il faisait référence au Compte du millénaire. Sauf que ces milliards se font toujours attendre » De guerre lasse, Dakar a fini par jeter l’éponge et se tourner vers les Arabes, qui ont su se montrer autrement plus réactifs. Aujourd’hui, c’est la lune de miel. Et, à la vérité, personne ou presque ne trouve à y redire, le Sénégal manquant cruellement de capitaux pour financer son développement. « Attention cependant à ne pas braquer nos partenaires historiques, prévient un chef d’entreprise. Nous avons manqué de doigté dans l’affaire du port. Ne pouvait-on pas trouver un compromis avec Bolloré, un groupe présent depuis presque un siècle dans notre pays, qui est aussi un des tout premiers employeurs privés, et un des meilleurs contribuables, au lieu de le chasser pour satisfaire les appétits de Dubaï ? Diversifier les partenariats, c’est bien. Mais il est préférable de procéder par addition plutôt que par soustraction »

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