La justice selon Yar’Adua

Depuis l’arrivée au pouvoir du successeur d’Olusegun Obasanjo il y a presque un an, les juges bénéficient de plus d’autonomie. Mais de là à accepter la demande d’annulation du scrutin présidentiel…

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 2 minutes.

Ce « D-Day », les Nigérians l’ont attendu avec une pointe d’incertitude. Le tribunal électoral allait-il donner raison à Atiku Abubakar et Muhammadu Buhari ? Au lendemain de la présidentielle d’avril 2007, les deux candidats défaits (qui se présentaient respectivement sous les bannières de l’Action Congress et du All Nigeria People’s Party) ont déposé une plainte conjointe réclamant, compte tenu de la falsification des bulletins et des résultats, l’annulation du scrutin et l’organisation d’une autre élection. Le 26 février dans la matinée, les cinq magistrats ont finalement rendu leur jugement : le dossier des plaignants n’est pas assez probant, Umaru Yar’Adua est bel et bien le président élu par les Nigérians. Mais la bataille ne s’arrêtera pas là : les deux adversaires du successeur d’Olusegun Obasanjo sont déterminés à porter l’affaire devant la Cour suprême.
Dans un pays où la justice est traditionnellement aux ordres du chef de l’État, l’issue de la procédure n’était pas entièrement acquise à l’avance. Certes, il était peu probable que les juges décident de la tenue d’une nouvelle consultation. L’annonce aurait pu entraîner des manifestations de violence, et le vote, au Nigeria, est une opération systématiquement fastidieuse et sanglante (au moins 200 morts ont été dénombrés lors des élections générales d’avril dernier). Néanmoins, la certaine autonomie dont jouit le pouvoir judiciaire depuis l’arrivée de Yar’Adua au palais d’Aso Rock pouvait laisser envisager quelque surprise.
Le 23 février, un tribunal électoral dans l’État de Benue (Sud-Est) a fait annuler l’élection au poste de sénateur, en avril dernier, de David Mark, arguant du fait que près de 140 000 électeurs n’ont pu voter. Membre du People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir), cet ancien ministre de la Communication, réputé proche d’Obasanjo, n’est rien moins que le président du Sénat et donc le troisième personnage de l’État, après le vice-président Jonathan Goodluck. Nommé le 5 juin 2007, il sera contraint de démissionner si la cour d’appel – devant laquelle il s’est empressé de porter l’affaire – ordonne la tenue d’un nouveau scrutin. Sur la Toile, les internautes nigérians se réjouissent de voir que la situation de cet ancien général à la réputation sulfureuse (on lui prête un important patrimoine immobilier à Londres), connu pour une phrase malheureuse prononcée alors qu’il était ministre (« les téléphones ne sont pas faits pour les Nigérians pauvres »), est compromise. « La voix du peuple compte, c’est de plus en plus clair », se réjouit Tony. « Encore une victoire de notre démocratie ! » se félicite Emmanuel.

Nouvelle image
Le cas David Mark n’est pas isolé. Au total, huit gouverneurs ont vu leur élection, en avril 2007, annulée à la suite de plaintes. Notamment ceux des États d’Abia et d’Enugu, dans le Sud-Est. « Depuis la fin du régime d’Obasanjo, la justice essaie de se façonner une nouvelle image », commente un journaliste nigérian, à Lagos. Dépourvu de la légitimité des urnes ostensiblement truquées, Yar’Adua souhaite redorer son blason en laissant les magistrats faire leur travail. À l’approche du « D-Day », il se montrait serein, déclarant sans animosité qu’il se plierait au jugement. De quoi faire oublier que, moins d’une semaine auparavant, il accordait une belle promotion au président du tribunal électoral, James Ogebe, le nommant juge à la Cour suprême.

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