La guerre d’Algérie n’est pas finie

Le film de Jean-Pierre Lledo suscite la polémique. Parce qu’il évoque des meurtres de civils attribués au FLN. Mais aussi parce qu’il emprunte le genre documentaire pour offrir un regard délibérément subjectif.

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

À en juger par les polémiques qu’il suscite, le dernier film du documentariste Jean-Pierre Lledo, Algérie, histoires à ne pas dire, méritait à coup sûr son titre. Même s’il n’est visible par le grand public que depuis le 27 février, du moins en France, ce (très) long-métrage (près de trois heures) consacré à la guerre d’indépendance est précédé d’une réputation de film sulfureux. Les annulations de plusieurs avant-premières en Algérie il y a quelques mois, dénoncées avec vigueur par l’auteur, d’une famille pied-noir restée dans le pays après 1962 et qui a la nationalité algérienne, n’ont pas peu fait pour établir cette réputation.
Le film, bien que financé en bonne partie par l’Algérie, notamment la télévision et le ministère de la Culture, a il est vrai toutes les raisons de déplaire aux autorités. Il « revisite », en s’appuyant sur des témoignages recueillis ces dernières années, quatre épisodes de la guerre : l’insurrection d’août 1955 dans le Constantinois, les attentats à la bombe dans des lieux publics avant et pendant la bataille d’Alger en 1956 et 1957, l’assassinat du chanteur de musique arabo-andalouse Cheikh Raymond à Constantine en juin 1961, et les massacres d’Européens à Oran au moment même de l’indépendance. Le point commun entre ces événements est qu’ils évoquent tous des meurtres de civils attribués au Front de libération nationale (FLN).
L’intérêt incontestable du travail de Lledo réside surtout dans les témoignages précis recueillis. Son film, cependant, ne soulève pas des polémiques uniquement parce qu’il s’attaque à des thèmes tabous ou pour le moins délicats – l’éventuelle nécessité du terrorisme, son rôle dans l’exode des Européens d’Algérie au moment de l’indépendance, etc. – face à l’histoire « officielle » que continuent de transmettre les autorités d’Alger, qui se présentent aujourd’hui encore comme les héritières directes du mouvement de libération. Le réalisateur a choisi des angles d’attaque de son sujet et une façon de réaliser son film pour le moins discutables. Son but principal, déjà revendiqué d’ailleurs dans des uvres précédentes, est en effet de démontrer que de graves « bavures » imputables au FLN ont empêché que puisse se maintenir après l’indépendance une Algérie multiculturelle et multiconfessionnelle.

Témoins utiles
Une « thèse » qu’il n’est pas le seul à défendre mais que l’on peut trouver à la fois quelque peu naïve et faisant fi des réalités profondes du pays, surtout au sortir d’une histoire coloniale très violente et d’une guerre sans merci des deux côtés. De plus, il a choisi, sans le dire explicitement, de faire un travail « subjectif » à l’aide des témoins qui lui sont utiles. Comme le regrette par exemple l’historien Benjamin Stora, « il ne restitue donc pas les événements relatés dans leur contexte et leur moment historique » et par là même n’aide guère à leur compréhension : comment, ainsi, peut-on donner une signification aux massacres d’Européens d’août 1955, suivis d’ailleurs de représailles beaucoup plus meurtrières et objet de débat au sein du FLN dès 1956, sans revenir aux massacres d’Algériens simplement coupables de réclamer l’indépendance par des civils également européens dans la même région, à Sétif et Guelma, dix ans auparavant ? D’où, sans doute, la révolte de plusieurs des témoins qui ont dit ne pas se reconnaître dans ce qu’on leur fait soutenir à l’écran, même s’ils ne démentent pas – comment le pourraient-ils ? – avoir prononcé les mots qui sortent de leur bouche.
D’une manière plus générale, ce film pose une question que soulèvent nombre de documentaires à succès récemment sortis, comme ceux de Michael Moore ou Le Cauchemar de Darwin. Il appartient à ce nouveau courant qui utilise ce genre cinématographique non plus, comme on le faisait auparavant, pour tenter de rendre compte simplement de la réalité, mais pour proposer, à partir de matériaux documentaires, une uvre subjective, comme un essai ou un pamphlet en matière de littérature. Faut-il s’en réjouir au nom de la liberté d’expression ou s’inquiéter de la méthode que la plupart des spectateurs ne sauraient décrypter ? Le débat est loin d’être clos.

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