France Monde, pour quoi faire ?

Après qu’on a longtemps dénoncé le morcellement de ses structures, l’audiovisuel extérieur français est bouleversé par la création d’un holding regroupant France 24, RFI et TV5 Monde. Une réforme qui ne va pas sans provoquer de nombreuses inquiétudes.

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

En quoi consiste l’action internationale des opérateurs audiovisuels français ? Il s’agit d’aller chercher (avec les yeux et les oreilles cette fois, pas avec les dents) des auditeurs, ou des téléspectateurs, hors des frontières de l’Hexagone, voire au-delà de la zone linguistique du français, mais sans se contenter de répondre à leur demande de consommation – d’images, d’idées, de programmes – puisque la consigne est avant tout de valoriser un contenu national. De faire très attention, aussi, à ne pas piétiner les héritages multiples qui constituent le passé récent des différents publics – ex-colonisés africains, combattants de guerres qui ne sont pas encore toutes froides, acteurs d’économies en gestation, etc. – tout en épousant résolument les techniques de production et de diffusion les plus avancées, du numérique à Internet en passant par la téléphonie mobile.
Il s’agit aussi de réaliser des économies – d’échelle, de gestion, de réseau – dans un contexte budgétaire défavorable et, à cet effet, de ne pas hésiter à restructurer et à opérer des concentrations et des mutualisations d’entreprises sans sacrifier pour autant la nécessaire souplesse qui doit permettre une approche différenciée de chaque groupe d’auditeurs ou de téléspectateurs ! De donner à la puissance publique les moyens de déployer cette « mission de souveraineté médiatique », qui est un élément décisif de la diplomatie culturelle, sans aller jusqu’à afficher le visage repoussant du diktat politique ou des méthodes bureaucratiques. D’avoir une ambition mondiale sans oublier de donner la priorité aux zones où l’influence française a encore quelque importance.

Sans cohérence réelle
Et last but not least, il s’agit de propager les intérêts et les valeurs, la vraie culture, les vertus de la création et de l’information « à la française » pour exalter la francophilie aux quatre coins de la planète, en un temps où le doute l’emporte chez soi et où l’on serait bien en peine de définir d’une manière autre que rhétorique ces fameux « contenus » dont Bernard Kouchner fait l’enjeu, décisif, de « la bataille de la narration du monde »
Comme l’a dit le ministre, « le système audiovisuel extérieur français est aujourd’hui une juxtaposition de médias sans cohérence réelle ». Il était donc urgent qu’un pilote prenne les commandes, sinon de l’avion, du moins de l’escadrille ! Depuis des lustres, les rapports d’experts se succèdent pour tenter de résorber l’inévitable dispersion des moyens qui font lorgner avec envie les responsables de chaînes françaises sur les performances des CNN et autres BBC World, Al-Jazira (toujours en anglais) ou Tele Sur. Le dernier épisode s’est déroulé en deux temps, sans préjuger d’un avenir dont on ne doute pas qu’il se montrera riche en péripéties.
Acte 1 : pour mieux coordonner, on crée une nouvelle marque de plus, France 24. Toujours ce vieux fantasme de profiter du beurre et de l’argent du beurre, lequel manque cruellement ! En effet, la nouvelle chaîne convoite le réseau de diffusion satellitaire de TV5 Monde d’une part, et, de l’autre, l’exceptionnel vivier des correspondants de RFI. Mais, soit parce que les « cultures d’entreprises » sont différentes, soit parce qu’on s’accroche de-ci de-là à ses spécificités et à son patrimoine, soit parce que le président de France 24, Alain de Pouzilhac, qui vient de Havas, veut jouer une « politique de marque » qui lui interdit de trop fricoter avec ses voisins, la « synergie » lourdement invoquée tarde à se manifester. La « carte de la complémentarité » fait « flop » ! Jamais d’émissions communes, tout au plus un pigiste débauché ici, et là un « journaliste expert » de RFI invité par France 24 dans une émission de plateau.
L’hyperactif président français doit donc franchir un degré de plus pour obtenir la « recomposition » de l’audiovisuel extérieur. Il passe à l’acte 2 : la création du holding France Monde, le 20 février dernier. C’est le même Pouzilhac, dont le nom a été soufflé par Bouygues (actionnaire de France 24, via TF1) à Nicolas Sarkozy, qui remporte la timbale. Dans ses bagages, une grenade non encore dégoupillée qui, pour l’heure, ne laisse échapper que quelques protestations et un peu de fumée : Christine Ockrent, nommée directrice générale de France Monde, dont on sait assez qu’elle est la compagne du réel ministre de tutelle, qu’elle a partagé quelques semaines auparavant les vacances de son hyperconvivial président et dont la morgue satisfaite laisse subsister bien des questions.

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Abdou Diouf indigné
Celle de savoir, notamment, quel sera le véritable rôle de ce holding. Une coordination purement financière des trois principaux partenaires de l’audiovisuel extérieur, à la manière de la Sofirad d’hier, n’aurait sans doute pas justifié un tel déploiement politico-médiatique, « star du 20 heures » à l’appui. La mise en place d’une coordination plus étroite – cumulant administration, commercialisation, distribution et surtout production, avec la création de cette news factory, qui semble jouir des faveurs de l’omniprésent président – n’irait pas sans provoquer des frottements sociaux (comment aligner les statuts des journalistes en sabrant leurs différentes conventions collectives ?), professionnels (liés à la sauvegarde des indépendances éditoriales), voire politiques (ce sont des pays souverains sur le corps desquels on passe en manipulant TV5 Monde comme s’il s’agissait d’une « filiale de la France », selon les termes indignés du secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf).
Fidèle à ses méthodes, l’hyperprésident de la République semble désireux de déborder par la vitesse la complexité des problèmes auxquels il est confronté. On sait d’ores et déjà que des trois sites Internet existants (RFI, TV5 Monde et France 24), il n’en restera bientôt plus qu’un. Le rapport sur la réforme demandé par l’Élysée prévoit la suppression de 180 emplois, dont 115 postes de journalistes, sur l’ensemble des salariés du holding. Ce que conteste jusqu’ici Alain de Pouzilhac. La concentration est l’un des péchés mignons de l’économie libérale, à l’instar de la réforme, désormais inscrite sur toutes les bannières flottant sur l’Élysée. Reste seulement à prouver que la première peut être aussi le meilleur moteur du rayonnement culturel, de la diffusion des idées ou même de l’internationalisation des programmes, et que la seconde, la réforme de l’audiovisuel, ne servira pas à exporter une radiotélévision « aux ordres »

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