Deux voisins, un dilemme

Condamné à s’entendre avec Alger et Rabat, Nouakchott fait tout pour se maintenir à égale distance des frères ennemis. Un exercice d’équilibrisme délicat.

Publié le 3 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

À la mi-janvier, il se murmurait à Rabat et à Nouakchott que le roi Mohammed VI allait se rendre en Mauritanie en février – sa première visite depuis l’élection de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, en mars 2007. Un voyage symbolique, preuve de la confiance que le royaume veut témoigner à ce voisin immédiat, qui partage aussi ses frontières septentrionales avec le frère ennemi algérien. Une visite prévue de longue date, attendue et commentée, mais qui n’a toujours pas eu lieu. Simple report pour des questions de calendrier, soutiennent officiellement les deux parties. Irritation du Maroc en raison de la « proximité » entre le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine, et le Front Polisario, croit savoir le site d’information mauritanien SaharaMedia.
Démentie par Nouakchott et Rabat, cette « explication » est néanmoins révélatrice : le dossier du Sahara occidental parasite les relations entre les deux capitales. Plus de vingt ans après le rétablissement de leurs liens diplomatiques, la Mauritanie est toujours soupçonnée par le royaume de sympathie envers la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Inversement, tout rapprochement avec le Maroc est perçu par Alger comme une trahison de la cause sahraouie. La situation est d’autant plus inextricable que, avec une classe politique divisée entre pro-Marocains et pro-Algériens et un pouvoir central de tout temps fragile (trois coups d’État et au moins cinq tentatives depuis l’indépendance), Nouakchott est condamné à s’entendre avec ses deux voisins.
À Rabat et à Alger, on guette, on analyse, on fantasme chaque geste de Nouakchott envers le voisin. N’ayant jamais clairement choisi son camp – pour ou contre le Polisario -, la Mauritanie suscite toujours la méfiance chez les deux parties adverses. Certes, en 1979, le chef de l’État d’alors, le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla, a mis un terme au conflit qui oppose son pays aux combattants sahraouis, signé un traité de paix avec la RASD et renoncé à ses prétentions sur le Sahara. Deux ans plus tard, l’Alliance pour une Mauritanie démocratique (AMD), un groupe d’officiers, est à l’origine d’une tentative sanglante de coup d’État à Nouakchott. Certains ont alors affirmé que les putschistes étaient soutenus par le Maroc. La réaction mauritanienne est radicale : condamnés à mort, les comploteurs sont fusillés et les relations diplomatiques avec Rabat rompues. La Mauritanie ira jusqu’à interdire à ses ressortissants de se rendre au Maroc, par solidarité avec les « frères sahraouis ». En février 1984, elle reconnaît la RASD. Ses relations avec Alger sont au beau fixe. Mais cet engagement explicitement pro-Polisario prend fin avec la chute du régime de Ould Haidalla, renversé en décembre 1984 par Maaouiya Ould Taya. En juin 1985, ce dernier renoue diplomatiquement avec Rabat. Mais les divisions de la classe politique et les liens entre Sahraouis et Mauritaniens – la tribu des Rguibet, notamment, est présente au Sahara comme en Mauritanie – l’empêchent d’aller jusqu’à geler les relations avec la RASD. Depuis, et par-delà les changements à la tête de l’État – renversement de Ould Taya par Ely Ould Mohamed Vall en août 2005, élection de Sidi Ould Cheikh Adballahi -, un statu quo ambigu demeure.

Neutralité officielle
La Mauritanie joue les équilibristes. Elle reconnaît la RASD et entretient des relations diplomatiques normales avec le Maroc et l’Algérie. Et, dans le même temps, préconise une solution consensuelle au conflit dans le cadre des négociations conduites sous l’égide de l’ONU, où elle tient le rôle d’observateur, et ne prône pas l’autodétermination que réclament le Polisario et Alger. En clair, ni favoritisme ni exclusion. « Nous disons à Rabat et à Alger : nous reconnaissons tout ce que vous reconnaissez », commente un observateur mauritanien. Concrètement, cette « neutralité », selon la terminologie diplomatique officielle, se traduit par des visites de courtoisie des émissaires du président de la RASD, Mohamed Abdelaziz, à Nouakchott (la dernière en date remonte au 28 janvier). Sans plus : les chefs d’État mauritaniens ne rendent pas la politesse à ce dernier et la RASD ne dispose pas de représentation en Mauritanie. Avec Rabat et Alger, les relations sont quasiment symétriques, encadrées d’un côté par une Haute Commission maroco-mauritanienne et de l’autre par une Grande Commission mixte algéro-mauritanienne. Le séjour d’Ely Ould Mohamed Vall au Palais ocre est symptomatique : en dix-neuf mois de pouvoir, il a maintenu l’équidistance, effectuant un seul voyage au Maroc et en Algérie, respectivement en novembre 2005 et mai 2006. En dix mois de présidence, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, lui, n’a pas encore fait le déplacement d’Alger et de Rabat, mais, enclin au consensus, il préconise la même neutralité. « C’est la position la plus compliquée qui soit, analyse un conseiller ministériel à Nouakchott. Parce qu’elle maintient une relation que chacun des deux peut considérer comme une duplicité. » Nouakchott a-t-il vraiment le choix ?

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« Comme un mari entre deux coépouses »
Pour autant, les hommes politiques mauritaniens, y compris ceux de la majorité, ne respectent pas tous la neutralité officielle. À Tifariti, en décembre, certains ont assisté au 12e congrès du Polisario, perçu par Rabat comme un affront orchestré par l’Algérie. Parmi eux, Ladji Traoré, secrétaire général de l’Alliance populaire progressiste (APP), dirigée par l’ex-opposant Messaoud Ould Boulkheir, également président de l’Assemblée nationale et dont le parti compte trois ministres dans le gouvernement. Des représentants du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) – dont le président, Ahmed Ould Daddah, est le chef de l’opposition – et de l’Union des forces de Progrès (UFP) étaient aussi de la partie.
La réalité économique, elle non plus, n’est pas l’exact reflet du discours officiel. Inaugurée en octobre 2005, la route Nouakchott-Nouadhibou a rapproché la Mauritanie du royaume chérifien et a contribué au renforcement de leurs échanges commerciaux, qui sont passés de 32,4 millions de dollars en 2002 à 40 millions en 2006 (contre 16,2 millions et 15,2 millions de dollars avec l’Algérie). Les enseignes marocaines – notamment Attijariwafa Bank, Royal Air Maroc, Maroc Télécom – sont plus implantées que leurs concurrentes algériennes. Toutefois, le juteux domaine pétrolier est, prime à l’expérience, réservé à l’Algérie : en novembre 2007, Sonatrach a signé un contrat d’exploration portant sur quatre blocs du bassin mauritanien du Taoudenni. Et, comme pour rétablir l’équilibre, un projet de route entre Tindouf, dans le Sud-Ouest algérien, et Choum, au nord de la Mauritanie, a été lancé en 2006. « Il faut toujours donner à l’un ce que nous donnons à l’autre. Nous sommes comme un mari entre deux coépouses », ironise un Mauritanien.

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