Ce qu’en pensent les Français d’origine africaine
Sondage exclusif Ifop/J.A. Action, représentativité, impact… Jeune Afrique a interrogé les Français d’origine africaine sur leur perception des trois ministres issues de la diversité. Mais aussi sur la politique « d’immigration choisie » de Nicolas Sa
Elles furent, lors de leur première apparition sur les marches de l’Élysée un certain jour de juin 2007, les « trois Grâces » radieuses de la diversité française. Le symbole d’une vraie rupture après des décennies de gouvernements quasi monocolores et surtout monoculturels. Trois femmes aux parcours différents mais aussi très semblables de par les obstacles qu’elles durent affronter – racisme, exclusion, sexisme -, de par leur ambition individuelle, aussi, de réussir à la force du poignet. Rachida Dati, 42 ans, ministre de la Justice (d’origines marocaine et algérienne), Fadela Amara, 43 ans, secrétaire d’État à la Politique de la ville (d’origine algérienne), et Rama Yade, 31 ans, secrétaire d’État aux Affaires étrangères et aux Droits de l’homme (d’origine sénégalaise), la lycéenne de Chalon-sur-Saône, la militante des banlieues et l’étudiante de Colombes, toutes trois réunies sur décision d’un homme, Nicolas Sarkozy. Huit mois plus tard et à la veille d’élections municipales auxquelles deux d’entre elles sont candidates (Rachida Dati dans le VIIe arrondissement de Paris, Rama Yade à Colombes), J.A. a voulu savoir comment ces trois membres du gouvernement de François Fillon, issues de la discrimination positive, étaient perçues par ces Français à la fois à part entière et encore trop souvent à part, qui partagent avec elles une matrice commune : l’Afrique. Comment leur nomination a-t-elle été accueillie ? Quelle est leur représentativité ? Comment est jugée leur action ? Quel impact a leur présence sur le niveau des discriminations ? Telles sont les principales questions de ce sondage réalisé à la mi-février par l’Ifop auprès d’un échantillon représentatif des Français d’origine africaine (Nord- et Sud-Sahara) – un panel auquel J.A. a déjà eu recours à la veille de l’élection présidentielle de 2007 (lire p. 32). Un second volet, complémentaire, de cette enquête d’opinion s’intéresse plus extensivement à la politique d’immigration et à la politique africaine (Maghreb compris) de Nicolas Sarkozy : vous en lirez les résultats et l’analyse p. 34.
Fadela, la plus fédératrice
L’effet d’annonce a, comme souvent avec Nicolas Sarkozy, été une réussite. 79 % des Français d’origine africaine considèrent comme une bonne nouvelle l’entrée de Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade au sein du gouvernement. Un signe fort d’espoir et d’ouverture même si, comme on le verra, les effets se font toujours attendre.
La représentativité, ou qui représente le mieux les Français d’origine africaine ? Cette question peut paraître politiquement incorrecte dans la mesure où il s’agit de ministres de la République et non de représentants d’une communauté. Mais, outre le fait que ces trois personnalités ont été nommées certes pour leurs compétences a priori, mais aussi pour des raisons symboliques, il est utile de savoir ce qu’en pensent celles et ceux dont elles sont censées véhiculer la sensibilité. Or force est de reconnaître que cette représentativité n’est ni évidente (un quart des sondés ne se reconnaît dans aucune des trois) ni unanime. La plus fédératrice est Fadela Amara, jugée la plus représentative des Français d’origine africaine par 31 % des personnes interrogées, avec un score quasiment égal chez les électeurs de droite et de gauche, originaires du nord comme du sud du Sahara. Rachida Dati (23 %) pointe en seconde position grâce au soutien massif des sympathisants de l’UMP. Rama Yade ne recueille que 16 % de taux de représentativité, et c’est avec elle que le réflexe communautariste, manifestement vivace, est le plus fort. Les originaires d’Afrique subsaharienne sont quatre fois plus nombreux (tout en restant en deçà de 45 %) à se reconnaître en elle que les originaires du Maghreb.
La performance, ou comment leur action au gouvernement est-elle jugée ? À nouveau, c’est Fadela Amara qui l’emporte et, cette fois, avec un taux largement positif : 60 % de satisfaits. Un score qui transcende l’origine géographique des sondés et surtout leur sensibilité politique : 64 % des sympathisants socialistes, 56 % de ceux du Modem de François Bayrou, 57 % de ceux de l’extrême gauche et des Verts, et 80 % des pro-UMP plébiscitent la cofondatrice de Ni putes ni soumises. Plus sans doute qu’un « Plan banlieues » revu et corrigé a minima, c’est la personnalité, la proximité, la franchise décapante et la simplicité de Fadela qui recueillent l’adhésion – une performance d’autant plus remarquable que la majorité des Français d’origine africaine se situe, comme l’a démontré notre sondage Ifop de mars 2007, plutôt à gauche. Avec 51 % de satisfaits, Rama Yade est ici mieux considérée que sur le chapitre de la représentativité. Ils sont 79 % des partisans de la majorité et 53 % de ceux de l’opposition (56 % au Parti socialiste) à estimer que la secrétaire d’État chargée des Droits de l’homme fait bien son travail. Plus, ici, que sa prise de position contre la visite de Mouammar Kadhafi en France – dont rien ne prouve qu’elle ait été partagée par la majorité des originaires d’Afrique -, c’est son côté électron libre, son autonomie et sa fierté qui séduisent, tout particulièrement parmi les Français issus de l’immigration subsaharienne (63 % de satisfaits, contre 48 % d’originaires du Maghreb). Toujours le réflexe (et le clivage) communautaire. Reste Rachida Dati. La ministre de la Justice est la seule des trois à enregistrer plus d’opinions défavorables que favorables quant à son action : 50 %, contre 44 %. La garde des Sceaux ne passe la barre que chez les plus de 50 ans, les inactifs et les électeurs de droite. Sa forte proximité avec Nicolas Sarkozy, dont la politique d’immigration est désapprouvée par 69 % de nos sondés, les débats et polémiques qui ont accompagné beaucoup de ses mesures ainsi qu’un certain malaise – justifié ou non – dû à une prise de distance supposée vis-à-vis de ses racines algéro-marocaines posent problème. Même parmi les Français venus d’Afrique du Nord, Rachida Dati enregistre plus de mécontents que de satisfaits. S’en souciera-t-elle ? Ce n’est pas sûr. Sa cote de popularité demeure en effet positive au niveau national, et c’est l’essentiel.
De la ferveur à la persistance du sentiment d’exclusion
L’impact, en d’autres termes : la présence de ces trois personnalités phares du gouvernement a-t-elle contribué en France à une meilleure acceptation de la diversité, à une réduction des discriminations, bref, à une diminution du racisme ? La réponse est cinglante : 63 % des Français d’origine africaine, principales victimes de ces phénomènes de rejet, estiment que rien n’a changé sur ce point. Un sentiment majoritairement partagé par tous nos sondés, mais plus vif encore chez les hommes et les originaires d’Afrique subsaharienne. Seuls les électeurs de droite, minoritaires au sein de cette population, sont d’un avis contraire – mais de justesse (53 %). C’est là l’un des principaux enseignements de ce sondage. La ferveur avec laquelle les Français d’origine africaine avaient accueilli l’accession au gouvernement de trois des leurs est occultée par la persistance du sentiment d’exclusion vécu quotidiennement par beaucoup d’entre eux. On dira que ce type d’évolution se juge sur le long terme, que trois hirondelles ne peuvent à elles seules faire le printemps de la diversité à la française et que réduire le choix de Fadela, Rachida et Rama à cette unique fonction serait à la fois injuste et désobligeant. C’est exact. Mais on aurait aimé tout de même que l’effet d’annonce en couleurs de juin 2007 serve d’électrochoc à une partie de la société française, plutôt que de paravent à une politique toujours plus restrictive à l’égard des migrants.
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