Une autre solution que la guerre

Une intervention militaire américaine est-elle inévitable ? Non, explique un éditorial du quotidien Newsday(*), tous les moyens de désarmer Saddam Hussein doivent d’abord être essayés.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Au fur et à mesure que les troupes américaines se déploient dans le Golfe, la perspective d’une invasion de l’Irak revêt un sinistre caractère d’inévitabilité. Mais une guerre n’est pas et ne devrait pas être inévitable. Le président George W. Bush a commencé de développer son argumentation guerrière dans son message sur l’état de l’Union, le 28 janvier : un discours plus remarquable par sa rhétorique que par sa logique. Il s’est efforcé de diaboliser Saddam Hussein, mais s’est bien gardé d’expliquer pourquoi une telle guerre devrait être engagée maintenant, plutôt que de laisser aux inspecteurs des Nations unies le temps de déterminer si l’Irak a désarmé ou peut être contraint de le faire.
Pour Bush, il serait irresponsable, arrogant et politiquement stupide de se ruer dans une guerre sans avoir expliqué précisément pourquoi Saddam Hussein représente aujourd’hui une menace immédiate pour les États-Unis, voire pour la sécurité de leur approvisionnement en pétrole venu du Golfe, et pourquoi il importe de lui faire la guerre plutôt que de recourir à un rigoureux endiguement. S’il est capable de convaincre, il doit le faire. S’il est prêt à engager le combat, il doit expliquer pourquoi le coût d’une guerre – en vies et en biens – serait moindre que celui de la poursuite d’un régime d’inspections appuyé par la menace crédible d’une intervention militaire.
En cas d’attaque contre son pays, Saddam Hussein, le dos au mur, pourrait répliquer par une attaque biologique ou chimique contre l’Amérique. L’administration a-t-elle pris la mesure du risque ? Il ne suffit pas d’arguer que le raïs irakien devrait désarmer volontairement, comme le fit naguère l’Afrique du Sud. Évidemment, ce serait préférable, mais le déclenchement d’une guerre ne devrait intervenir qu’en dernier ressort ; s’il y a d’autres moyens de désarmer l’Irak, il faut d’abord les essayer. Bush joue un jeu dangereux. Il a fait le pari que, face à l’énorme déploiement militaire américain, Saddam s’inclinera ou, à défaut, que les alliés réticents de l’Amérique se rallieront à la guerre. Mais ce pari peut provoquer un retour de flamme politique et stratégique.
Pour Bush, la seule manière de remporter une victoire politique décisive serait, hypothèse improbable, que Saddam Hussein capitule à la dernière minute, sous l’impitoyable pression militaire à laquelle il est soumis. Mais cette pression est à double sens. Si l’Irak ne cède pas, une pression non moins insupportable s’exercera sur Bush pour qu’il utilise les troupes déployées à si grands frais. Un président qui a mis en branle des centaines de milliers de soldats est un peu dans la situation de l’homme qui brandit un marteau : tout se met à ressembler à un clou.
L’hostilité à la guerre ne cesse de se renforcer, et l’administration a fini par le reconnaître, à contrecoeur. Le 24 janvier, la possibilité d’un compromis a semblé se dessiner quand la Grande-Bretagne et les États-Unis ont envisagé de permettre aux inspections onusiennes de se poursuivre pendant quelques semaines supplémentaires. Grâce à ce délai, Bush et son équipe espéraient être en mesure de renforcer leur argumentation en faveur d’une action militaire si Saddam continue d’ergoter sur le détail des inspections. Trois jours plus tard, Hans Blix, le chef des inspecteurs onusiens, a conforté cette hypothèse d’un compromis en déclarant que l’Irak ne s’était pas encore résolu à révéler l’existence de tous ses armements en vue de les éliminer, mais qu’il n’était pas exclu qu’il le fasse à l’avenir. Mais, même dans ces conditions, Bush doit expliquer pourquoi Saddam ne peut être dissuadé par l’énorme arsenal militaire américain, qui comprend même des armes atomiques.
Une autre solution a été formulée dans un rapport publié à la mi-janvier par le Carnegie Endowment for International Peace. Elle comprend deux volets : prolongation des inspections « agressives » aussi longtemps que nécessaire – un an, ou même plus – et maintien de la menace d’un usage imminent de la force dans l’hypothèse où le raïs irakien continuerait à se soustraire à ses obligations. Pour que cette menace reste crédible, il faudrait conserver dans le Golfe un important déploiement militaire tant que les inspections se poursuivraient. Cela coûterait cher – il faut 1 milliard de dollars par semaine pour entretenir 150 000 soldats dans le Golfe -, mais beaucoup moins qu’une invasion massive de l’Irak : entre 100 milliards et 200 milliards de dollars, sans compter les inévitables pertes humaines.
À cette solution de rechange, il y aurait d’autres inconvénients. Bush devrait s’astreindre à quelques acrobaties rhétoriques pour justifier un tel changement de cap, qui risquerait de lui aliéner les durs de son parti. Le Congrès, pour sa part, ne manquerait pas de renâcler devant le coût de l’opération. Et le recours à des unités de réserve créerait de sérieuses tensions dans les familles des appelés. Mais les gains politiques seraient également appréciables. Bush en acquerrait une nouvelle stature, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Il pourrait légitimement arguer que l’intense pression militaire exercée sur l’Irak assurerait un meilleur déroulement des inspections. En gardant en réserve la menace de guerre, le président consoliderait d’autre part la fragile unité des membres permanents du Conseil de sécurité, dont la coopération lui serait nécessaire si l’Irak se dérobait finalement aux exigences de désarmement.
En alliant ainsi détermination et patience, Bush écarterait la plupart des critiques suscitées par son bellicisme. Plus important encore : il garantirait que, durant la poursuite des inspections, appuyées par le corps expéditionnaire américain, l’Irak serait effectivement contenu, incapable de se doter d’armes nucléaires ou d’utiliser les armes chimiques et biologiques qu’il pourrait encore détenir.
Si l’objectif était de dissiper la menace irakienne sur la région, il aurait été atteint. Et si Saddam continuait à se dérober, rendant finalement la guerre inévitable, alors la communauté internationale se rangerait aux côtés des États-Unis au lieu de s’opposer à eux.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires