À travers l’écran

Jacques Gautrand explore le monde des webcams, des CD-Roms et des cristaux liquides. Plongée derrière le cybermiroir de la modernité.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Quand on ouvre le livre de Jacques Gautrand, on est tout d’abord un peu frustré. Son sujet nous est en effet familier depuis belle lurette : Orwell, Mac Luhan, Abraham Moles, Régis Debray et Baudrillard (que l’auteur, curieusement, ne cite pas), pour ne parler que de ceux-là, n’avaient-ils pas déjà tout dit du système des médias et du nouveau monde de l’image, qui plante le décor des sociétés bénéficiant des technologies contemporaines ? Notre ancien collaborateur ne prétend d’ailleurs pas avoir fait une découverte. Il signale lui-même, à juste titre, qu’Internet sera bientôt aussi banal que la télévision : les « autoroutes de l’information » desservent d’ores et déjà jusqu’aux cybercafés des villages les plus reculés. Cet « homme nouveau » qui préfère draguer sur le réseau plutôt que dans la rue, cet enfant qui passe plus de temps devant la télévision qu’à l’école, cet adolescent que les CD-Roms de « jeux de rôles » déconnectent de la réalité ne nous surprennent plus : ils font partie de l’ordinaire du monde occidental depuis des lustres.
Certes, les techniques évoluent : on miniaturise les écrans (dans les voitures, sur les téléphones portables et jusque sur les verres de lunettes noires où l’on peut désormais se faire projeter un film…), les tubes cathodiques, jadis volumineux, s’aplatissent, les nouveaux panneaux à cristaux liquides ou à plasma s’imposent dans les hôpitaux, les boutiques, les night-clubs et les… cuisines, les images de synthèse et les clones virtuels s’affinent au point de porter le client à l’incandescence tout en le laissant perplexe devant certaines hôtesses aux formes trop parfaites pour être réelles, les simulateurs – réservés à l’origine aux cosmonautes et aux futurs pilotes – sont utilisés dans des circonstances de plus en plus variées (qu’il s’agisse de conduite automobile, de police ou de chirurgie), les webcams s’approprient la totalité de l’espace public et, bien souvent, les recoins les plus secrets de la vie intime. Bref, la planète devient « accro de l’écran », et ce dernier, en expansion constante, « étend comme une résille son emprise subtile sur l’ensemble de la société ».
Jusque-là, pas de « scoop ». Mais c’est précisément parce que cette métamorphose a déjà « pris de la bouteille » et qu’on dispose du recul nécessaire aux premiers bilans que Jacques Gautrand peut élargir le champ de ses observations. Il s’attache moins à décrire le fonctionnement des appareils électroniques de communication et de télétransmission qu’à analyser les transformations déjà provoquées par ces derniers sur les hommes, dans les principaux domaines de leur activité : l’économie, l’éducation, les loisirs, l’érotisme, et dans tout ce qui compose cette « société spéculaire » où des « anthropophages » d’un type nouveau se goinfrent d’images et de pixels.
Dans ce supermarché de l’image qu’est devenu le monde du « tout voir », on est vite convaincu que l’écran ne joue pas seulement un rôle de miroir de la modernité, mais qu’il constitue bel et bien le creuset d’une ère nouvelle dans laquelle rien ne sera plus jamais comme avant. Ni le corps, réduit à ses mensurations idéales, lisse et bronzé pour l’exhibition, ni l’acquisition des connaissances rendue ludique grâce aux nouvelles techniques audiovisuelles, ni la mémoire qui déserte les monuments traditionnels pour être stockée sur des supports de plus en plus réduits – les minidisques optiques -, ni l’impudeur médiatique du cybersexe, qui diffuse dans des millions de foyers son obscénité glacée.
Les images nous ont envahis. « Elles ne nous quitteront plus. Elles nous fascinent et elles nous hantent. » Et l’on ne sera pas étonné si ce livre s’achève sur l’évocation d’un « spectacle » dont les images, « passées en boucle, répétées sous tous les angles, sur tous les écrans de la planète », sont aujourd’hui encore à l’oeuvre pour changer la face du monde : « Jamais, conclut Gautrand, depuis l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 sur New York, la notion d’hallucination n’avait encore pris une telle dimension… »

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