Saddam Hussein, partie 1

L’homme que les Américains s’apprêtent à éliminer est certes l’incarnation du despote moyen-oriental. Mais ses méthodes comme son action doivent beaucoup au « Petit Père des peuples », le seul modèle historique qu’il se reconnaisse.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 15 minutes.

Lui qui s’inventa une parenté directe avec le Prophète Mohammed et fit graver son nom à l’infini sur les remparts restaurés des citadelles mésopotamiennes a d’ores et déjà rempli son contrat. Quelle que soit l’issue de cette année 2003, Saddam Hussein entrera dans l’Histoire. Cette sorte de demi-dieu autoproclamé devant qui tout visiteur est prié de ne pas croiser les jambes et de sortir à reculons n’est déjà plus, à proprement parler, un être humain, mais une sorte de monstre institutionnel. Aux yeux des Occidentaux, il est l’archétype de l’axe du Mal. Pour quelques autres, c’est un héros mythique, à l’image de l’unique modèle historique qu’il se reconnaisse, dont il a lu tous les livres et toutes les biographies : Joseph Staline.
Bien sûr, Saddam Hussein est avant tout un Irakien. Ses instincts bédouins, ses ruses parfois grossières et ses méthodes expéditives viennent de là, de cette terre qui est la sienne. Tout au long de son histoire tourmentée, le pays du Tigre et de l’Euphrate a vu défiler autant d’assassins et de despotes que d’intellectuels et d’artistes. Mais ce qui fait la différence entre Saddam et les tyrans qui l’ont précédé, c’est au « Petit Père des peuples » et à ses méthodes qu’on le doit. Son absence totale de retenue dans l’utilisation de la violence, le quadrillage systématique et planifié du pays par les services de sécurité, sa profonde méfiance à l’égard de l’armée, mais aussi ses incontestables réalisations dans les domaines de la santé, de l’éducation et des infrastructures viennent en droite ligne du « modèle » soviétique. C’est ce mélange de bédouinisme et de communisme qui a longtemps rendu si difficilement lisibles les réactions et les intentions du raïs irakien.
Au plus profond d’un homme, quels que soient son lieu de naissance et les influences qu’il a pu subir, rien n’est plus déterminant que l’enfance. Celle de Saddam Hussein fut pauvre, chaotique, amère. Jamais il n’est parvenu à l’exorciser et, moins encore, à l’oublier. Indiscutablement, c’est l’une des clés de son comportement ultérieur.
Selon sa biographie officielle, il est né le 28 avril 1937 (selon d’autres sources, il aurait vu le jour le 1er juillet 1939, mais se serait vieilli de deux ans afin de pouvoir épouser sans honte Sajida, sa première femme, née elle aussi en 1937) dans le petit village sunnite d’el-Awja, à l’est de Tikrit (à 160 km au nord de Bagdad). Tikrit, où naquit le héros kurde Saladin, au temps des croisades, est alors une cité ruinée, mais prestigieuse – d’où la volonté de Saddam, trois décennies plus tard, de se faire appeler el-Tikriti et d’effacer à jamais de sa biographie le nom d’el-Awja.
Comme Staline, il n’a jamais connu son père, Hussein el-Majid, mort avant sa naissance. Nul ne sait où celui-ci a été inhumé, et Saddam n’a jamais prononcé publiquement son nom. En revanche, Subha, sa mère, décédée en 1982, a été élevée au rang de mythe révéré. À Tikrit, le tombeau de la « Mère des militants » est, depuis vingt ans, un lieu de pèlerinage officiel. Subha, qui gagnait sa vie comme domestique (à l’instar de celle de Staline), était une maîtresse femme. Très proche de ses enfants – elle en eut une demi-douzaine -, elle était en revanche peu encline à supporter les maris abusifs. En secondes noces, elle épousa l’un de ses cousins, Hassan Ibrahim, connu dans la région sous le sobriquet d’Hassan le Menteur, à cause d’un titre de hadj usurpé.
Saddam fait ses premiers pas sous la férule de cet homme illettré et violent, qui n’hésite pas à le battre dès son plus jeune âge. La famille, qui appartient à l’une des branches les plus pauvres de la tribu des Abou Nasser, n’est pas épargnée par la maladie – malaria, bilharziose, ver solitaire – et souffre parfois de la faim. Le jour, Subha cultive des melons pendant que ses enfants gardent les moutons. Le soir, tout le monde s’entasse dans l’unique pièce de la maison pour manger du riz sans viande, avec les mains, dans un plat commun. Comme les autres gamins du village, le jeune Saddam court pieds nus dans les rues poussiéreuses, avec sa bande et ses demi-frères, Barazan, Sabawi et Watban. Il vole des oeufs et des poulets pour nourrir sa famille, s’amuse à lapider des chiens sauvages et vend des melons en gare de Tikrit aux passagers du train Bagdad-Mossoul. Son beau-père l’a pris en grippe et le frappe de plus en plus souvent. Craignant le pire, Subha décide de mettre son fils à l’abri chez son frère, Khairallah Tulfah. Saddam a 10 ans, sa vie prend un nouveau cours.
Ancien lieutenant exclu de l’armée en 1941 pour activités nationalistes et antibritanniques, Khairallah s’est reconverti dans l’enseignement : il est instituteur non loin de Tikrit. C’est un homme « moderne », politisé, habillé à l’occidentale. Il aura sur l’éveil et l’évolution du jeune garçon une influence considérable. Reconnaissant, Saddam le nommera, bien des années plus tard, général et maire de Bagdad.
À l’école, où son oncle s’est empressé de l’inscrire, Saddam n’est pas un élève très studieux. Il y développe néanmoins des qualités qui se révéleront déterminantes pour son avenir : une mémoire exceptionnelle (il n’oublie jamais rien, ni une insulte, ni une trahison, ni un service rendu), un esprit calculateur et un sens inné de l’organisation.
En 1950, Khairallah déménage pour s’installer à Bagdad, dans le quartier populaire d’el-Kharkh, où les chiites sont majoritaires. Comme son oncle, Saddam est convaincu que les chiites ne sont pas de vrais Arabes, mais des Perses déguisés. Dès lors qu’ils constituent plus de la moitié de la population, instaurer la démocratie en Irak reviendrait à institutionnaliser leur domination sur les sunnites, ce qui est totalement inacceptable. Telle est la première leçon politique que Khairallah inculque à son neveu.
Tout en poursuivant ses études, le jeune Saddam multiplie les « petits boulots » : il vend des cigarettes et des journaux, sert dans des cafés, joue les rabatteurs pour les taxis collectifs. Il rêve de devenir officier ou instituteur, comme son oncle. En 1952, il participe à sa première manifestation antigouvernementale et lance quelques pierres contre la police. L’année suivante, il se présente, sans succès, à l’examen d’entrée au collège militaire de Bagdad. Sa famille s’empresse d’expliquer cet échec par le passé politique de Khairallah. Quoi qu’il en soit, le souvenir de cette humiliation poursuivra Saddam toute sa vie. Jamais il ne cessera de se méfier des généraux et, en 1979, comme par compensation, il s’attribuera le titre de maréchal.
En ces années de formation, le jeune homme s’imprègne de certitudes élémentaires qui lui viennent soit de son oncle, soit des officiers originaires de Tikrit qui, le soir, lui rendent discrètement visite. Parmi eux, un certain Ahmed Hassan el-Bakr, futur chef de l’État et tuteur politique de Saddam. Tous détestent le régime probritannique du Premier ministre Nouri Saïd, rejettent la bourgeoisie sunnite insensible au sort des pauvres et se méfient de la majorité chiite. Tous adoptent pour modèle l’Égyptien Gamal Abdel Nasser, au pouvoir depuis 1952.
Saddam a 16 ans. C’est désormais une figure connue dans la capitale, dûment fiché comme émeutier par la police. Il est armé – un petit revolver offert par son oncle ne quitte jamais sa poche – et participe à toutes les manifestations. Contre le Pacte de Bagdad, cette alliance anticommuniste constituée, en 1955, entre l’Irak, la Grande-Bretagne, l’Iran, la Turquie et le Pakistan, ou contre l’intervention francobritannique de Suez, en 1956. À la fin de cette année-là, il devient sympathisant du Baas, le parti favorable à l’unité arabe, fondé une décennie plus tôt, en Syrie – il ne sera coopté comme membre à part entière qu’en 1959. Organisateur-né, il regroupe autour de lui une bande de jeunes gens violents, certains à la limite de la délinquance, qui servent de nervis aux cadres.
Minée de l’intérieur, discréditée, la monarchie irakienne finit par s’effondrer. Le 14 juillet 1958, un comité d’officiers libres dirigé par le général Abdel Karim Kassem et le colonel Abdel Salam Aref prend le palais d’assaut. Le roi Fayçal II et sa famille sont massacrés. Deux jours plus tard, le Premier ministre Nouri Saïd est à son tour littéralement découpé en morceaux. Plusieurs centaines de royalistes périssent dans l’insurrection. Le pays le plus violent du monde arabe est à la hauteur de sa réputation…
Mais Kassem, en qui Khairallah et ses amis avaient placé tous leurs espoirs (le jeune Saddam aussi, par mimétisme), les déçoit rapidement. À la différence d’Aref, le nouveau président est un nationaliste pur et dur, hostile à Nasser et au panarabisme. Il se montre, de surcroît, soucieux de ménager les intérêts pétroliers britanniques et préfère s’appuyer sur le puissant Parti communiste irakien plutôt que sur le Baas.
Dès la fin de 1958, Saddam et son groupe de casseurs sont impliqués dans des combats de rue contre la Résistance populaire, la milice communiste. En novembre, il est arrêté en compagnie de son oncle pour le meurtre d’un certain Hajji Saadoun, un instituteur pro-Kassem originaire de Tikrit. Faute de preuves, ils seront l’un et l’autre relâchés après six mois d’emprisonnement. Dans les cercles baasistes de la capitale, le nom de Saddam Hussein commence à circuler. Il deviendra célèbre après le 7 octobre 1959.
Ce jour-là, rue el-Rachid, en plein coeur de Bagdad, Saddam fait partie du commando qui tente d’assassiner le général Kassem. Mal préparée, mal dirigée et mal menée, l’opération est un échec. Kassem est blessé au bras, mais son escorte abat l’un des membres du commando et oblige les autres à prendre la fuite. Effleuré par une balle probablement tirée, dans la confusion, par l’un de ses compagnons, le jeune terroriste gagne Tikrit, puis traverse le désert jusqu’en Syrie. En 1983, pour commémorer cet épisode crucial de sa vie, Saddam commandera la réalisation d’une série télévisée de six heures, puis d’un film, dont le Britannique Terence Young, le metteur en scène des premiers James Bond, acceptera, moyennant un fort cachet, de se charger. Le héros de l’histoire – considérablement enjolivée – sera joué par Saddam Kamel, le propre beau-fils du raïs. Quelques années plus tard, Kamel ayant trahi son beau-père avant d’être assassiné, toutes les copies du feuilleton et du film seront détruites.
À son arrivée à Damas, Saddam est pris en charge par le Baas et rencontre Michel Aflak, le cofondateur et théoricien du parti. Favorablement impressionné, celui-ci l’envoie poursuivre ses études au Caire, en compagnie de cinq cents jeunes recrues irakiennes. Inscrit au collège Qasr el-Nil, puis à la faculté de droit de l’Université, grâce à une bourse du gouvernement égyptien, il se consacre entièrement à la politique à partir de 1961. Condamné à mort par contumace pour l’attentat manqué contre Kassem, Saddam Hussein est alors un élégant jeune homme de 25 ans, client assidu des cafés à la mode, qui fait du tourisme et ne s’évade guère du cercle des exilés irakiens. Au début de 1962, il épouse par correspondance sa cousine Sajida, fille de Khairallah, sa promise depuis des années, à qui il expédie son alliance par la poste.
La police égyptienne commence à s’intéresser à lui. Avec son groupe, il entretient en effet des relations suivies avec l’ambassade américaine au Caire et, en particulier, avec l’antenne locale de la CIA. C’est que les intérêts des baasistes irakiens et ceux d’Alan Dulles, le patron de la centrale américaine, convergent : le général Kassem est entre les mains du Parti communiste, il s’est rapproché de Moscou et parle de nationaliser l’industrie pétrolière. Il est l’homme à abattre. Cette conjonction est certes momentanée (« Vous pouvez louer un Arabe, mais vous ne pouvez pas l’acheter », disait Nouri Saïd), mais elle est bien réelle et vaut à Saddam d’être arrêté et interrogé par les agents de Nasser. Surtout, elle va se révéler très efficace.
Le 8 février 1963, le général Kassem est renversé par un groupe d’officiers baasistes, au sein duquel figurent Ahmed Hassan el-Bakr et Khairallah Tulfah, puis fusillé. À travers tout le pays, les communistes sont pourchassés, emprisonnés et exécutés, sur la base de listes obligeamment fournies par la CIA (après avoir soutenu la rébellion des Kurdes contre Kassem, celle-ci livre des armes au nouveau régime pour mieux les écraser). Coauteur du coup d’État de 1958 contre la monarchie, Abdel Salam Aref sort du placard où Kassem l’avait enfermé et prend la tête du nouveau Conseil de commandement de la Révolution. Le Baas, qui ne compte que trois mille membres en Irak, sait qu’il n’a pas encore les moyens de gouverner seul et pense – à tort – qu’Aref ne sera qu’une potiche.
Saddam Hussein rentre à Bagdad deux semaines après le putsch, via Damas, où il revoit Michel Aflak. Il se consacre aussitôt à l’organisation du parti, intègre, sur la recommandation de Bakr, le cabinet d’Aref, prend en charge la milice du Baas (la Garde nationale) et visite les prisons où sont détenus (et torturés) les militants et sympathisants communistes. Malgré cette remise en ordre, le Baas ne tarde pas à se déchirer entre une aile civile (et majoritaire) et une aile militaire, au sein de laquelle se retrouvent Bakr, Khairallah et Saddam. Les règlements de comptes tournent, comme d’habitude en Irak, à la tuerie collective, obligeant le président Aref à intervenir. Bakr et Khairallah sont placés en résidence surveillée, et Saddam, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt, est à nouveau contraint de s’enfuir en Syrie. Rentré clandestinement en Irak quelques semaines plus tard, il est arrêté le 4 septembre 1964 et incarcéré. Il restera vingt mois en prison, occupant le plus clair de son temps à lire des biographies d’hommes célèbres (Staline, bien sûr, mais aussi Hitler, Mao et Lénine), ainsi que des livres d’histoire.
En avril 1966, Aref meurt dans un accident d’hélicoptère et est aussitôt remplacé par son frère, le général Abdel Rahman Aref, personnage faible et dépourvu de charisme. Après avoir corrompu ses gardes, Saddam s’évade le 23 juillet, avec quelques compagnons, lors d’un transfert. Il a alors 30 ans et c’est une étoile montante du Baas. Ses camarades mettent sur le compte de sa fougue la petite phrase qu’il ne cesse de répéter : « Lorsque nous aurons pris le pouvoir, nous transformerons ce pays en un État stalinien. »
Le 17 juillet 1968, Abdel Rahman Aref est renversé par un coup d’État pacifique – une fois n’est pas coutume – dont les auteurs, les colonels Daoud, Nayyef et Gheidan, sont inspirés par le général Bakr. Aref II part en exil à Londres. Il n’y a eu aucun combat, même si Saddam, qui, pour la première fois, a revêtu un uniforme – celui d’un lieutenant – et fait avec son demi-frère Barazan le tour de la capitale juché sur un char, a, par la suite, prétendu le contraire.
Nayyef s’empare du pouvoir politique, et Daoud de l’armée. Aux yeux de Saddam Hussein, de Khairallah et de Bakr, ils présentent un défaut majeur : ils ne sont pas baasistes. Leur travail achevé, ils doivent donc s’effacer ou être effacés. Dès le 30 juillet, Saddam prend les choses en main. Pistolet au poing, il accompagne le colonel Nayyef à l’aéroport et l’expédie au Maroc par le premier avion. Limogé alors qu’il se trouve à l’étranger, Daoud juge plus prudent de ne pas rentrer et se réfugie en Arabie saoudite. Démis lui aussi de ses fonctions, Nasser el-Hani, le ministre des Affaires étrangères, n’a pas cette chance : il est assassiné trois mois plus tard, et son corps jeté dans le Tigre. À 54 ans, Hassan el-Bakr accède enfin au pouvoir. Dans son ombre, comme Staline dans celle de Lénine, Saddam Hussein va peu à peu accaparer la réalité du pouvoir. Avant de surgir en pleine lumière, onze ans après.
Vice-président de la République et numéro deux du Baas en janvier 1969, il travaille quatorze à seize heures par jour et ne prête qu’une attention distraite à sa femme et à ses trois enfants, Oudaï, Qossaï et Raghid, la petite dernière, née en 1967. Les problèmes auxquels le régime baasiste est confronté sont, il est vrai, immenses, surtout sur les plans social et financier. Conseillé par l’idéologue Michel Aflak, installé à Bagdad, où il jouit de tous les honneurs, Saddam, qui contrôle désormais l’ensemble de l’appareil sécuritaire (armée exceptée), a recours à la bonne vieille méthode stalinienne des complots inventés, suscités ou exagérés afin de détourner l’attention du peuple.
En novembre 1968, un ancien maire de Bagdad, le très populaire colonel Midhat Sirri, qui fut l’un des opposants les plus déterminés au régime du général Kassem, est arrêté, torturé et contraint de passer des aveux fabriqués sous la menace de voir son épouse, ses filles et ses nièces violées par ses bourreaux. À la télévision, il reconnaît être un agent de la CIA et donne les noms des membres supposés de son réseau. Condamné à mort, il est aussitôt pendu.
Un mois plus tard, c’est un « complot sioniste » que l’on découvre. Le Mossad, il est vrai, opère en Irak depuis la fin des années quarante. Et plusieurs de ses agents appartiennent à la communauté juive de Basra. Ont-ils pour autant projeté de renverser le régime baasiste ? À l’évidence, ils n’en ont pas les moyens. Quatorze d’entre eux sont pourtant pendus en public, place de la Libération, à Bagdad. Les gibets et les corps restent exposés pendant plusieurs jours. Saddam et Bakr viennent en personne admirer le spectacle. Les images font scandale dans le monde entier, mais l’Irak est un pays pétrolier si prometteur que les protestations officielles restent de pure forme. En février 1969, un « complot communiste » est à son tour mis au jour : vingt-sept dirigeants du PCI clandestin sont exécutés, après des aveux complets.
Ces diversions hautement médiatisées, contrebalancées par quelques gestes de clémence vis-à-vis des Kurdes, soigneusement ménagés, et des détenus politiques des précédents régimes, libérés en masse, permettent à Saddam Hussein d’asseoir sa mainmise sur l’appareil du parti. Aidé de son demi-frère, Barazan el-Tikriti, mais aussi, déjà, de Taha Yassin Ramadan, Saadoun Chaker et Izzat Ibrahim el-Douri, Saddam transforme le Baas, qui, à l’origine, comptait dans ses rangs une majorité d’intellectuels issus de la classe moyenne, en un parti tribal recrutant au sein des couches les plus pauvres de la communauté sunnite, dont la loyauté lui paraît assurée. Le mot d’ordre est clair : chaque membre du Baas doit désormais espionner ses voisins et jusqu’à ses camarades militants afin de détecter toute velléité déviationniste. Ensuite, Saddam s’attaque à l’armée, qu’il truffe de commissaires politiques et double d’une milice paramilitaire, l’Armée populaire, directement rattachée au parti. Apparemment heureux d’inaugurer les chrysanthèmes, Bakr proteste d’autant moins que son vice-président fait montre d’une extrême révérence à son égard : il n’entre jamais dans son bureau sans avoir été annoncé, se tient toujours deux pas derrière lui et ne prend jamais la parole avant qu’il ne lui en ait donné l’autorisation. En échange de cette humilité, Saddam a les mains libres : il épure l’armée (vingt-neuf officiers sont passés par les armes en 1970), interdit le parti chiite el-Da’wa et emprisonne les membres de la famille du chef religieux – également chiite – Sayyed Mohsin el-Hakim (dix-sept de ses fils, petits-fils et neveux seront exécutés, au fil des années). À la fin de cette même année 1970, son pouvoir sur l’Irak est total.
Le peuple, lui, ne proteste pas. Il est même apparemment plutôt satisfait, car le nouveau régime, plus qu’aucun autre avant lui, se préoccupe de son bien-être matériel. Une vaste réforme agraire est engagée avec succès, un système de sécurité sociale mis en place, et les salaires des travailleurs sont considérablement augmentés. Par ailleurs, le statut personnel des femmes est révisé dans un sens beaucoup plus libéral. Quant à l’éducation, à la santé et aux infrastructures routières, elles reçoivent des crédits importants.

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