Prévention sans tabou

L’Association burkinabè pour le bien-être familial propose aux adolescents écoute et conseils. Les problèmes de santé, de famille ou de sexualité sont abordés en toute confiance.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

Au moment de sa création, à la fin des années soixante-dix, l’Association burkinabè pour le bien-être familial (Abbef), membre de l’International Planning Parenthood Federation (IPPF), n’avait pas bonne réputation. Le fait qu’elle aborde un domaine tabou, la sexualité, faisait planer des soupçons sur ses activités réelles. Cette époque est aujourd’hui révolue : l’Abbef a été reconnue d’utilité publique.
Une grande pancarte colorée, à l’entrée d’un bâtiment rouge de poussière indique aux passants tout ce que le Centre d’écoute pour jeunes (CEJ) de l’Abbef propose. Mais beaucoup viennent ici sur les conseils d’un(e) ami(e), d’un professeur ou d’un camarade de classe. Pour ceux qui sont motorisés, il est possible de se garer dans la cour, à côté de la buvette. Les adolescents sont chaleureusement accueillis, qu’ils aient besoin de conseils ou qu’ils souhaitent seulement se reposer en regardant la télévision ou se détendre en jouant à l’ombre des arbres.
Le rôle du CEJ est de conseiller les adolescents burkinabè lorsqu’ils font face à des problèmes de santé, de famille ou de sexualité, et qu’ils ne trouvent pas chez eux les solutions pour en venir à bout. Conférences, projections, causeries, théâtre, jeux-concours, tous les moyens sont bons pour sensibiliser les uns et les autres.
Dans la salle d’attente, devant une télévision qui diffuse en continu des films sur la santé, les maladies sexuellement transmissibles ou la contraception, des jeunes filles attendent patiemment de rencontrer la conseillère, la sage-femme, la psychologue ou l’un des médecins vacataires. La liste des problèmes conduisant à se confier est longue : grossesses non désirées, infections sexuelles, avortements, problèmes familiaux, etc. Patiemment, Simon, l’animateur permanent, reçoit dans son bureau, écoute, informe, recommande, essaie de responsabiliser. Seul à seul, les adolescents osent confier des secrets qu’ils ne peuvent avouer à leurs parents. Après, seulement, ils envisageront de trouver des solutions adaptées. Sur place, ils ont droit à des consultations (prénatales, gynécologiques, etc.), peuvent recevoir des soins, une contraception d’urgence, ou effectuer un test de dépistage du VIH. Dans la mesure des moyens dont dispose l’Abbef, à savoir une fraction des 498 millions de F CFA que représente la subvention de l’IPPF (42 %) et des autres bailleurs (58 %).
La réputation du CEJ s’est faite grâce au bouche à oreille, même si certaines émissions télévisées ou radiodiffusées ont contribué à accentuer sa notoriété. Au début, beaucoup pensaient qu’on y « incitait les jeunes à la débauche ». Cette fausse impression n’a pas complètement disparu, mais aujourd’hui les objectifs de l’Abbef en matière de planification familiale et de sensibilisation sont plus clairs. L’un des jeunes bénéficiaires, Éric, avoue : « On m’avait dit que l’Abbef aidait les gens en matière de santé sexuelle. Je suis venu vérifier : j’ai inventé un problème pour savoir si ce que l’on m’avait dit était vrai. On m’a donné des conseils que maintenant je peux donner à d’autres. Ce qui se fait ici est totalement à l’opposé de ce qui se disait dans le quartier. Désormais, je viens au moins trois fois par semaine, et j’amène des personnes qui ont besoin de conseils. »
De fait, beaucoup se rendent pour la première fois au CEJ sans savoir exactement ce qu’ils vont trouver, attirés par les matchs de football diffusés le soir, la bibliothèque, les jeux en accès libre. Ou parce qu’ils ont un problème à régler dans l’urgence. Certains sont étudiants, d’autres travaillent déjà. Le Centre est situé à proximité de nombreux lycées, dans une rue passante où abondent les vendeurs à la sauvette. Lentement, l’Abbef tisse sa toile, pour que certains partent en disant : « Nous allons enseigner à nos enfants ce que nous avons appris. »
Le CEJ est relayé dans les lycées par des professeurs encadreurs et des Jeunes animateurs de clubs scolaires (Jacs), les « pairs éducateurs ». Les volontaires, compétents en matière de sexualité et de reproduction (souvent, ils sont diplômés en économie sociale ou en sciences naturelles), prennent le temps d’encadrer et de conseiller certains élèves pour qu’ils puissent transmettre le message pendant les heures de cours, mais aussi lors de débats informels. Certes, ils ont parfois du mal à éviter le chahut, mais l’expérience porte ses fruits. Nombre d’écoliers ou de lycéens se confient en privé après le cours, ou se rendent directement à l’Abbef.
Ce n’est pas tout. Par le biais des Jeunes animateurs de secteur (JAS), l’Abbef tente d’étendre sa présence dans les quartiers et de toucher ainsi une population qui n’a pas accès aux structures scolaires. Une ramification étendue encore par les contacts avec les nabas, ces chefs communautaires dont l’influence reste prépondérante au Burkina Faso. Au début, ceux que l’on appelle les « bonnets rouges » étaient radicalement opposés aux activités de l’Abbef. Mais à force de persévérance et de persuasion, ils sont devenus des alliés, « très fiers de participer à une association qui aide les jeunes à sortir de leurs difficultés, les informe, leur apporte des conseils et garantit leur avenir », selon les mots d’Evariste Ouédraogo, un de ces nabas…
Le CEJ de Ouagadougou n’est pas un exemple unique. L’Abbef, qui a commencé la mise en exécution pratique de son programme jeunes en 1992, a aujourd’hui ouvert quatre centres dans l’ensemble du pays : en plus de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Koudougou et Koupéla.
Évidemment, tout cela ne va pas sans difficultés. Outre le manque de ressources humaines, la direction de l’Abbef souligne l’impossibilité de faire des aménagements essentiels dans son centre de Ouagadougou, qu’elle loue, à l’inverse du centre de Koudougou, offert par la coopération japonaise et qui fait aujourd’hui office de modèle. Et si les jeunes de Ouaga sont relativement faciles à sensibiliser, il n’en est pas de même dans les zones rurales, majoritaires, où la population est plus dispersée, souvent analphabète et difficile à atteindre. Il faudrait mieux s’intégrer dans le secteur informel et proposer des méthodes de sensibilisation en langue vernaculaire.
Mais l’heure n’est pas au découragement. Les actions entamées il y a quelques années commencent à porter leurs fruits, les jeunes sont de plus en plus nombreux à venir, de mieux en mieux informés, et la réputation des CEJ s’est améliorée. Mais pour changer la société, vaincre des fléaux tels que le sida ou lutter contre les grossesses non désirées, il faut, comme le dit Rita, responsable du Programme, « poursuivre l’effort dans la durée et sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier ».

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