Les maîtres-penseurs

À mi-chemin entre clubs de réflexion et agences de lobbying, les think-tanks sont les laboratoires à idées de l’administration républicaine.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Quoi qu’on pense de la politique de l’administration Bush, elle ne relève ni du caprice ni de l’improvisation. En fait, elle met en oeuvre des idées et des plans mûris, ces dernières années, dans les think-tanks. L’hebdomadaire britannique The Economist a entrepris un petit voyage à l’intérieur de ces clubs de réflexion, aujourd’hui nettement orientés à droite.
Les think-tanks américains concernés ne sont pas des créations récentes. Le Heritage Foundation a 30 ans, le Manhattan Institute et le Cato Institute à peine moins, et l’American Enterprise Institute (AEI) carrément le double (60 ans). Mais le plus ancien est la Hoover Institution, qui est octogénaire.
Aucun d’entre eux n’a attendu George W. Bush pour lancer des idées appelées à un bel avenir, qu’il s’agisse de la « tolérance zéro » face à la criminalité, qui a fait la gloire de Rudolph Giuliani, l’ancien maire de New York, ou de la réforme de la protection sociale prônée par le Cato Institute. De même, l’AEI dénonçait déjà les États voyous quand Oussama Ben Laden était encore un inconnu. La nouveauté est que les idées élaborées dans les think-tanks ont désormais des relais efficaces au plus haut niveau de l’administration républicaine. Donald Rumsfeld et Condi Rice sont des anciens de Hoover. Dick Cheney et son épouse ont beaucoup travaillé avec l’AEI, de même que Richard Perle, le patron du Defense Policy Board, organisme consultatif très écouté au Pentagone, que The Economist, mélangeant l’allemand (über) et l’anglais (hawk), appelle le « Über-hawk », le « superfaucon ». C’est aussi la tribune de l’AEI que Bush a choisie, le 26 février, pour évoquer l’après-Saddam.
L’influence des think-tanks s’explique avant tout par la faiblesse de la recherche intellectuelle, chez les démocrates comme chez les républicains. Les deux grands partis sont plus des machines à recueillir des dons et à les répartir entre les candidats que des lieux de réflexion et de créativité politique.
Certes, les think-tanks sont aidés par de riches supporteurs comme le milliardaire Richard Mellow Scaife, qui vit à Pittsburgh, Pennsylvanie, ou la dynastie Koch, de Wichita, Texas. Mais leurs ressources sont loin d’égaler celles d’organisations « libérales » comme la Fondation Ford, par exemple, qui n’a pas mis beaucoup d’idées sur le marché, ces derniers temps. S’il ne s’agissait que d’argent, la gauche pourrait d’ailleurs puiser largement dans les fonds des universités, où, selon les conservateurs, les « néosocialistes » abondent.
Les deux grandes forces des think-tanks sont la conviction et l’organisation. Ils se sont formés dans les années soixante et soixante-dix en réaction au politiquement correct de l’époque, selon lequel la dépense publique serait la solution à tous les problèmes. Leur credo à eux est, au contraire, « l’évangile capitaliste » : baisse des impôts, lutte contre les excès de la bureaucratie, initiative individuelle…
Ils ne s’interdisent pas de réfléchir aux grands sujets comme le racisme ou l’innéité de l’intelligence, mais s’appliquent avant tout, avec acharnement, à faire connaître et adopter leurs idées. Sous l’impulsion de son président Edwin Feulner, Heritage, par exemple, s’est donné pour mission d’« influencer Capitol Hill », autrement dit le Congrès. Cette fondation, écrit The Economist, « met autant de passion à vendre ses idées conservatrices que Coca-Cola à vendre ses boissons gazeuses. Elle a mis au point un système de fiches en deux feuillets pour parlementaires pressés. Même des démocrates ont été surpris en train de les consulter en cachette ».
Les think-tanks conservateurs ne se contentent pourtant pas de faire du lobbying à Washington : quarante-six d’entre eux sont implantés hors de la capitale fédérale. Par ailleurs, la Hoover Institution patronne une émission télévisée intitulée Uncommon Knowledge, qui est un peu l’équivalent de l’émission française Le Droit de savoir. Qui plus est, ces clubs ne jouent pas les godillots. Ils n’ont, par exemple, pas hésité à critiquer les mesures protectionnistes prises par l’administration sur l’acier afin de contrer l’Union européenne ou les dépenses budgétaires qu’ils jugent inconsidérées. Si AEI et Heritage soutiennent la politique de Bush au Moyen-Orient, le Cato Institute y est farouchement opposé. Mais qu’importe : ce que l’écrivain français Guy Sorman appelait, il y a quelques années, « la révolution conservatrice » est là, et bien là.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires