Le Fespaco, ça tourne !
La grand-messe panafricaine du septième art s’est déroulée du 23 février au 1 er mars à Ouagadougou dans une ambiance festive. Malgré les répercussions locales de la crise ivoirienne.
Le populaire comédien burkinabè Rasmané Ouédraogo a réussi l’exploit de faire observer une minute de silence au turbulent public réuni pour la cérémonie d’ouverture du Fespaco, fin février, dans le stade du 4-Août à Ouagadougou. Il est vrai que son énumération des acteurs dont il voulait honorer la mémoire (Balla Moussa Keïta, Douta Seck…) se terminait par l’évocation de Camara H., récemment assassiné à Abidjan pour avoir été l’un des responsables du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Il s’agissait pour l’orateur de protester contre l’élimination violente d’un artiste condamné sans procès pour avoir été supposé proche des rebelles ivoiriens.
Dès que les milliers de Burkinabè entassés depuis des heures sur les gradins eurent retrouvé la voix, on a pu entendre quelques cris scandant « Gbagbo assassin ».
La portée politique du « geste » de Rasmané Ouédraogo n’a échappé à personne, même si sa belle allocution visait à célébrer « le comédien dans la création et la promotion du film africain ». Comment aurait-il pu en être autrement dans un pays souvent accusé de soutenir les opposants au régime en place à Abidjan ? Totalement absente du programme des films en compétition pour l’Étalon de Yennenga – récompense suprême du Fespaco -, la Côte d’Ivoire était omniprésente dans les conversations, à Ouagadougou.
La presse locale, attribuant à une volonté de sabotage l’absence des voisins ivoiriens au plus grand festival de cinéma africain, assure même que « le cinéma a été pris en otage » (Le Pays) par les autorités d’Abidjan. Et pour parler du défilé des délégations étrangères lors de la soirée inaugurale, le quotidien L’Observateur titrait : « Voyez, nous ne sommes pas comme eux ». Une façon d’affirmer que les étrangers sont chez eux au Burkina, à l’inverse de ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. En oubliant cependant de mentionner que le défilé n’est en aucune façon lié à la situation actuelle, puisqu’il a lieu lors de chaque édition du Festival, de manière à en souligner le caractère international.
L’omniprésence de la crise ivoirienne s’est également traduite par d’autres faits significatifs. Dans un registre plutôt sympathique, la comédienne qui a reçu les plus grandes attentions n’était autre que Naki Sy Savané, vedette de nombreux films populaires, parmi lesquels Bal poussière ou Rue Princesse et seule représentante des Ivoiriens à Ouagadougou. On en aurait presque oublié qu’elle vit en France depuis deux ans.
Dans un registre nettement moins sympathique, la multiplication des agressions dont ont eu à souffrir plusieurs festivaliers, parmi lesquels la réalisatrice marocaine Narjiss Nejjar, était volontiers attribuée au retour de malfrats nationaux résidant jusqu’à présent en Côte d’Ivoire.
Le Fespaco, pour sa 18e édition, n’a pas perdu pour autant son caractère festif, tant vanté au cours de ses trente-cinq années d’existence. Dès la soirée d’ouverture, les participants, comme tous les Ouagalais, ont pu admirer un extraordinaire carnaval le long des grandes artères de la capitale, jusqu’au stade du 4-Août. Puis écouter la prestation musicale du groupe de chanteurs et de danseurs congolais Makoma. Quant au feu d’artifice tiré le soir même, il fut le plus réussi et le plus grandiose jamais vu de mémoire de participant.
La manifestation n’a apparemment guère souffert du contexte politique dans lequel elle s’est déroulée. Tout laisse à penser que les chiffres records de fréquentation de la précédente édition en 2001 – 350 cinéastes, près de 200 comédiens, 130 producteurs, 500 journalistes et critiques, plus de 3 000 professionnels de 81 pays – auront été approchés. La difficulté de trouver une table autour de la piscine de l’hôtel Indépendance, lieu « stratégique » de la manifestation, pouvait servir à cet égard d’indicateur fiable.
C’est cependant dans les salles que se mesure le succès artistique, professionnel et populaire du Fespaco. Et les bousculades se sont multipliées pour assister aux projections. Comme pour le film d’ouverture d’Idrissa Ouédraogo (La Colère des dieux), pourtant présenté à quatre reprises le même soir. Ou encore pour le dernier long-métrage (Moi et mon Blanc) de Pierre Yaméogo. Il est probable que le chiffre global des entrées, 400 000 en 2001, n’aura pas baissé en 2003, grâce à l’enthousiasme des cinéphiles et des spectateurs locaux, dont les réactions passionnées et exprimées à haute voix lors des projections ont fait le bonheur des cinéastes présents.
Avant de conclure à un Fespaco réussi malgré la tension qui règne dans la région, il reste à s’interroger sur l’essentiel : l’état du cinéma africain. Même si, grâce à l’essor des productions vidéo et télévisuelles, le nombre de films projetés a augmenté, on remarquera une diminution du nombre de longs-métrages en compétition – quinze fictions contre vingt les années précédentes. Une baisse qui n’était pas seulement due à la volonté des organisateurs de maintenir la qualité des oeuvres soumises au verdict du jury. La faiblesse de la production, dont se plaignait le principal animateur de la manifestation, Baba Hama, est la première responsable de cette situation.
Le cinéma africain, dont on a pu espérer qu’il était sorti de l’adolescence à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, cherche toujours à s’imposer. D’autant qu’il ne suscite plus, ces derniers temps, le même intérêt dans les pays occidentaux. Si ces derniers le financent encore, ils ne le considèrent plus vraiment « à la mode ». Ce passage à vide après une période euphorique explique pourquoi les oeuvres des quelques maîtres africains du septième art sont attendues avec impatience.
Ainsi, la projection du dernier Ouédraogo a fait événement, même si ce film de l’auteur de Tilaï, enfanté dans la douleur par manque de moyens, porte la trace de ses difficiles conditions de production. Et l’on se réjouissait dans les coulisses du Festival en entendant que Souleymane Cissé, le réalisateur de Yeelen, se préparait à reprendre la caméra. Pour filmer au Mali une histoire bâtie sur le destin d’un enfant.
La relève s’annonce néanmoins. Avec en chef de file le Mauritanien Abderrahmane Sissako, qui présentait au Fespaco Heremakono (« En attendant le bonheur »), son dernier film, déjà acclamé dans d’autres lieux. Mais il n’est pas seul, comme en témoignent les longs-métrages de jeunes réalisateurs d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Dans le domaine de la fiction « classique » comme dans celui des oeuvres vidéo et du documentaire. Nous y reviendrons puisqu’à l’heure où nous écrivons ces lignes la manifestation est loin d’être terminée.
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