Le déclin de l’empire Khalifa

L’arrestation de trois proches collaborateurs du milliardaire algérien sonne-t-elle le glas du premier groupe privé du pays ?

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Lundi 24 février, 23 heures. Trois proches collaborateurs du jeune milliardaire algérien Rafik Abdelmoumen Khalifa, patron du premier groupe privé du pays (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2002 et 14 000 employés), sont interpellés sur le tarmac de l’aéroport d’Alger avec une mallette contenant plus de 2 millions d’euros, en grosses coupures. Une nouvelle « tuile » pour le groupe Khalifa, implanté aussi bien dans le transport aérien que dans l’audiovisuel ou le BTP, mais dont le véritable moteur est la banque éponyme (80 agences et un portefeuille de 700 000 clients, dont des centaines de PME attirées par les taux d’intérêts supérieurs de 2 points à ceux des banques concurrentes).
Mais cette incontournable source de financement est en butte à de grosses difficultés. Le 27 novembre 2002, la Banque d’Algérie décide de geler toutes ses opérations de commerce extérieur. Motif : non-respect des règles prudentielles. Autrement dit, des transferts d’argent à l’étranger, ne correspondant à aucune opération commerciale vérifiée, et le dépassement des ratios de crédits accordés aux autres filiales du groupe, notamment la compagnie aérienne, Khalifa Airways. La décision des autorités monétaires algériennes a mis à mal la stratégie du groupe et la boulimie de Rafik Khalifa : lancement de deux chaînes de télévision en Europe (KTV en France et K News en Grande-Bretagne), rachat de la filiale internationale du géant du BTP allemand Philipp Holzmann et développement de la flotte de Khalifa Airways. Résultat : la direction des relations extérieures du groupe et celle du commerce extérieur de la banque sont injoignables par les partenaires et clients étrangers depuis le début de l’année en cours.
« En fait, les problèmes de trésorerie du milliardaire ont débuté en septembre 2002, confie un fournisseur de la compagnie aérienne. Avant cette date, Rafik Khalifa payait rubis sur l’ongle. Puis les factures se sont accumulées et revenaient le plus souvent impayées. » À partir de cette période, l’homme d’affaires, qui tenait jusque-là un discours favorable au président Abdelaziz Bouteflika, à qui il rendait de menus services en participant à son opération d’amélioration de l’image de l’Algérie à l’extérieur, émet, lors de soirées mondaines, en France et ailleurs, des jugements sévères à l’endroit de l’hôte d’el-Mouradia. Il aurait même pronostiqué son échec s’il se représentait à l’élection présidentielle de 2004. Pourquoi ce changement d’attitude ? Bouteflika aurait-il refusé d’intercéder auprès du gouverneur de la Banque d’Algérie pour qu’il soit moins regardant sur les opérations douteuses d’Al Khalifa Bank ? Peut-être. Toujours est-il que l’interpellation de ses trois collaborateurs est plus qu’embarrassante, car il ne s’agit pas de n’importe qui.
L’homme à la valise serait, d’après certaines sources, Djamel Guelimi, patron de KTV et membre du premier cercle du milliardaire. Circonstance aggravante : une somme identique aurait été trouvée à son domicile par les enquêteurs lors d’une perquisition.
Pour mieux comprendre le système Khalifa, il faut préciser que les Khalifa Boys (trentenaires et cadres universitaires issus de la nomenklatura des années de plomb) se divisent en deux catégories. Il y a une première classe qui occupe des postes importants au sein de la hiérarchie, mais qui ne savent que peu de chose sur le fonctionnement des autres pôles du groupe. Ils sont une trentaine. Le cercle rapproché n’est composé que d’une demi-douzaine de fidèles : amis d’enfance ou proches parents. Djamel Guelimi en fait partie.
Dans un communiqué interne, le groupe s’est désolidarisé de Guelimi, affirmant qu’il s’agissait d’un acte isolé. D’ailleurs, à KTV, on laisse entendre que Djaouida Djazaerli, directrice générale de Khalifa Airways en France, et tante du patron du conglomérat, occupe, depuis le 27 février, le fauteuil de directeur de Djamel Guelimi. Ce dernier risque une peine de dix ans de prison ferme, et il est peu probable qu’il veuille se sacrifier pour le reste du staff. « S’il se sent abandonné, il se mettra à balancer, surtout s’il a la conviction d’avoir été lui-même balancé », explique un cadre de la banque, à qui il a été demandé, ainsi qu’à tous les employés du groupe, de s’abstenir de toute déclaration à la presse. C’est cette absence de communication qui laisse place à toutes les rumeurs et les interprétations. Et pendant ce temps-là, les limiers de l’Inspection générale des finances (IGF) épluchent d’un peu plus près les dossiers d’Al Khalifa Bank, ses gros clients la quittent et les petits épargnants s’affolent.

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