L’Amérique au temps des épidémies

On a longtemps pensé que les conquérants européens avaient importé de nombreux microbes dans le Nouveau Monde. On découvre aujourd’hui que les populations précolombiennes étaient loin d’être en bonne santé.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Lorsque les Espagnols ont débarqué dans le Nouveau Monde, ils étaient porteurs de la croix, de fusils et de microbes. Les populations locales ont résisté aux armes et à l’évangélisation. Face aux agents pathogènes, elles n’avaient aucune chance. Leur système immunitaire n’était pas préparé à lutter contre la variole et la rougeole, le paludisme et la fièvre jaune.
On connaît les ravages causés par le travail forcé et, surtout, les épidémies. Au Mexique, par exemple, la population, qui comptait 25,2 millions d’habitants en 1518, l’année précédant le débarquement de Cortés, n’en avait plus que 1,1 million quatre-vingt-dix ans plus tard. Dans un livre intitulé The Backbone of History : Health and Nutrition in the Western Hemisphere, deux chercheurs américains, Richard Steckel, économiste et anthropologue à l’université de l’Ohio, et Jérôme Rose, anthropologue à l’université de l’Arkansas, démontrent cependant que, même avant 1492, l’Amérique n’était pas un paradis. La responsabilité des conquistadores n’est en rien diminuée, mais il est clair qu’avant l’arrivée des Européens et des Africains les populations précolombiennes étaient loin d’être en parfaite santé. L’étude porte sur l’Amérique avant Colomb et Amerigo Vespucci et sur les conséquences sanitaires des premiers contacts entre les nouveaux arrivants et les Indiens-Américains, mais suit aussi l’évolution de la santé des Européens-Américains et des Africains-Américains jusqu’au début du XXe siècle.
Une cinquantaine de spécialistes, notamment des paléopathologistes, ont collaboré à cet ouvrage. Ils ont étudié plus de 12 500 squelettes recueillis sur 65 sites du continent, dont un peu plus de la moitié étaient précolombiens. Ils se sont attachés à la taille des os, à l’état des articulations, de la dentition, aux traces d’anémie, d’infections, de blessures. Ils ont trouvé, par exemple, des traces de tuberculose dans les poumons de momies péruviennes vieilles de mille ans. C’est une indication que certaines maladies qu’on croyait importées par les Européens existaient avant leur arrivée. Mais la preuve aussi que tout n’était pas rose pour les Précolombiens : la tuberculose est une maladie opportuniste qui frappe des individus affaiblis – mal nourris ou dont la défense immunitaire est déficiente.
Les autochtones les plus sains étaient les populations qui vivaient il y a mille deux cents ans sur la côte du Brésil. La terre et la mer leur fournissaient une nourriture abondante, et leur isolement relatif les protégeait de la plupart des maladies infectieuses. Les conditions de vie devaient être bonnes également sur les côtes de Caroline du Sud et de Californie du Sud, ainsi que chez les chasseurs et les agriculteurs de ce qui est aujourd’hui le Middle West aux États-Unis. Les tribus indiennes occupent les quatorze premiers rangs du classement à l’indice de santé. Onze de leurs sites datent d’avant 1492.
Les populations les plus touchées par les maladies appartenaient aux cultures urbaines du Mexique et de l’Amérique centrale, probablement dans les régions de civilisation maya. Cette moins bonne santé était liée au développement de l’agriculture et à l’apparition des villes. La domestication de la nature a commencé en Amérique du Sud et en Amérique centrale il y a plus de cinq mille ans, et les premières cités se sont constituées il y a plus de deux mille ans. Le même phénomène – sédentarité et promiscuité – a eu les mêmes effets au Proche-Orient au néolithique, il y a dix mille ans.
Les populations précolombiennes les plus saines étaient les plus mobiles et les plus clairsemées. Elles étaient de taille plus élevée que celles qui vivaient en communautés denses, et l’on trouve dans leurs squelettes moins de traces d’infections, d’anémie ou de retard de croissance. Mais même ces chasseurs-cueilleurs ne vivaient guère au-delà de 50 ans. La moyenne d’âge mille ans avant Colomb devait avoisiner les 35 ans.
Comme on pouvait s’y attendre, les esclaves africains-américains se classaient tout en bas de l’échelle. Les squelettes retrouvés dans une plantation de Caroline du Sud indiquent un état de santé comparable à celui des populations indiennes précolombiennes menacées d’extinction. En revanche, ceux des Noirs enterrés vers 1800 dans une église africaine de Philadelphie, en Pennsylvanie, indiquent un meilleur état de santé que ceux de « petits Blancs » d’un bourg voisin.

Avec le New York Times

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