Konaré à la recherche d’un nouveau « challenge »

Jeune retraité de 57 ans, l’ancien chef de l’État entend reprendre du service. Pourquoi pas à la tête de l’Union africaine ?

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 8 minutes.

Le double mur d’enceinte est ocre. Les bâtiments, construits par des Chinois, sont blancs. La cour intérieure est nickel, fleurie et ombragée. Les arbres, choisis et entretenus avec soin par la maîtresse de maison, Adame Ba Konaré. Le salon, meublé avec goût – les fauteuils en cuir sont crème, jaunes et noirs -, est confortable et bourgeois. Le domaine lui-même, vaste, est adossé au fleuve Djoliba, comme on appelle ici le Niger. Dans la cour, surélevée, se trouve une piscine, appréciable les après-midi de canicule. En face de la bâtisse principale, un terrain de basket-ball. Pour garder la forme, Alpha Oumar Konaré y joue de temps en temps avec des éléments de sa garde rapprochée, qui sont également, parfois, ses compagnons de prière.
L’ancien président malien habite depuis le 8 juin 2002, date de ses adieux au peuple malien (mais aussi de l’investiture de son successeur, Amadou Toumani Touré, ATT), dans une résidence mise à sa disposition par l’État, à Titibougou, un quartier situé à la sortie nord de Bamako, sur la route de Koulikoro. Entouré de son épouse et de quelques-uns de leurs enfants, à l’écart de toute habitation et protégé des regards indiscrets, du moins jusqu’à la construction annoncée de quelque 800 villas de standing dans le voisinage.
Depuis bientôt neuf mois, Adame et Alpha Oumar Konaré mènent pratiquement une vie d’ermites, espérant ainsi « sortir au plus vite du pouvoir ». Pas de restaurant en amoureux le soir ! Pas de cinéma non plus, ni de grins, ces clubs informels où l’on se réunit bien souvent pour rigoler et boire du thé entre amis. Seuls quelques privilégiés – bien souvent, de proches parents – ont jusque-là réussi à franchir le portail d’entrée, devant lequel veillent nonchalamment quelques soldats en civil. ATT a, pour ce qui le concerne, plusieurs fois manifesté le désir de venir saluer à domicile son prédécesseur, mais ce dernier l’en a chaque fois dissuadé. Par souci, dit-il, « de ne pas le gêner ». « La porte lui est grande ouverte. Il pourra toujours venir nous rendre visite lorsque son emploi du temps le permettra. Il a d’autres priorités pour l’instant… »
Depuis leur tête-à-tête du 8 juin, les deux hommes ne se sont revus qu’une seule fois, à l’occasion d’un entretien dont l’un et l’autre refusent, bien entendu, de dévoiler la teneur. En revanche, ils se téléphonent régulièrement ou s’envoient des messages par porteur spécial. Konaré avertit ainsi, à l’avance, son successeur de ses voyages. Et ATT donne des instructions aux ambassadeurs en poste à l’étranger pour qu’ils réservent à l’ancien président un accueil de choix et lui accordent, tout au long de son séjour, les facilités liées à son rang : voiture officielle, chauffeur, protocole, etc.
Dans le petit bureau privé attenant au salon où il me reçoit, l’ordinateur est en bonne place. « Alpha », comme l’appellent ses compatriotes, est un accro du Net. Dans une armoire, on aperçoit une collection de poupées d’origines diverses. Konaré, 57 ans depuis le 2 février dernier, a les traits détendus et paraît en très grande forme. À ses côtés, son épouse, l’historienne Adame Ba Konaré, s’inquiète de l’assèchement irréversible du Niger : « De ce côté-ci, le fleuve est en crue seulement un mois dans l’année. C’est grave, et si l’on n’y prend pas garde, le Djoliba ne sera plus, bientôt, qu’un souvenir… »
En août-septembre 2002, Alpha Oumar Konaré a pris quelques jours de vacances en famille à Hammamet, une station balnéaire située à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tunis. Puis, en novembre, il a rendu visite à son « ami » Thabo Mbeki, en marge d’un déplacement en Afrique du Sud au terme duquel il a reçu une « Kora », une distinction décernée, avant lui, à des personnalités telles que Nelson Mandela, Miriam Makeba, Graça Machel et… Michael Jackson.
Plus récemment, il a visité le Burkina Faso, le Bénin, le Togo, le Nigeria, la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie et le Gabon. Pour saluer ses anciens pairs, évoquer avec eux le dossier de l’intégration politique et économique du continent. Sans oublier, actualité oblige, la guerre civile en Côte d’Ivoire, un pays dont le Mali dépend pour son approvisionnement. « La transition ivoirienne aura réussi si elle aboutit à l’expression libre du suffrage universel, en 2005, et si les résultats du prochain scrutin présidentiel sont acceptés par tous. Toute rupture de l’ordre constitutionnel serait catastrophique pour l’ensemble des protagonistes. Cela dit, les cartes d’une transition démocratique et en douceur sont entre les mains du président Gbagbo… » Avoir été président de la République entraîne quelques servitudes, ne serait-ce que pour éviter de gêner son successeur ou d’entraver les multiples médiations en cours pour ramener la paix en Côte d’Ivoire. On n’en saura donc pas davantage.
Lorsqu’il quitte son domicile de Titibougou, Konaré se rend généralement dans un beau bâtiment réhabilité du quartier de Niaréla, où il a installé, depuis peu, ses bureaux. Il y travaille deux heures, parfois trois, entouré d’une poignée de collaborateurs. Parmi eux, Madeira Diallo, un fidèle parmi les fidèles, qui fut son secrétaire particulier pendant les dix années passées au palais de Koulouba (1992-2002). Son aide de camp, le commandant Abdoulaye Cissé, toujours aussi jovial qu’efficace. C’est là, dans son grand bureau du premier étage où trône la photo officielle d’ATT en boubou bleu, qu’il reçoit des visiteurs, prépare ses voyages, peaufine ses dossiers…
Admis à la retraite à un âge où d’autres entrent en politique, Alpha Oumar Konaré est resté un véritable agitateur d’idées. Il réfléchit à une possible restructuration de la Fondation Partage, créée il y a plusieurs années par son épouse et que le couple n’exclut pas de transformer en Caisse de microcrédits pour les petits investisseurs. Il travaille par ailleurs sur un projet de musée de la Femme, d’une organisation non gouvernementale (ONG) chargée de promouvoir l’éducation de base et d’un Centre d’études stratégiques pour promouvoir l’intégration africaine. Ces structures seront-elles autonomes ou doivent-elles inscrire leur action dans le cadre d’une Fondation Partage redimensionnée ? « Rien n’est encore arrêté. Comme vous le constaterez, mon engagement en faveur de la lutte pour le développement va au-delà du 8 juin 2002. »
Passionné d’histoire, de géographie, d’archéologie, de littérature, de journalisme, d’édition et d’informatique, panafricaniste depuis son jeune âge, Alpha Oumar Konaré est intarissable sur l’intégration africaine. « Il n’y a point d’avenir pour nos pays sans intégration, explique-t-il. On a beau cultiver du riz au Mali, si l’on a aucune assurance d’écouler notre production sur un marché plus large, cela ne sert à rien. Il en va ainsi du reste : de l’élevage, du commerce, mais aussi de la sécurité, des affaires étrangères, etc. Le problème de la capacité de négociation des pays africains ne peut être réglé qu’à un niveau supranational, par exemple dans le cadre de la Cedeao, pour ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, ou de l’Union africaine, pour l’ensemble du continent… »
Comment mobiliser avec plus d’efficacité les flux financiers de la diaspora et les capitaux arabes en faveur de l’Afrique ? Comment obtenir davantage d’investissements européens, nord-américains, japonais ? Comment conclure un nouveau type de partenariat avec des pays comme l’Inde, la Chine, le Brésil, la Malaisie ou l’Indonésie ? Et comment créer, grâce à l’initiative privée, l’équivalent africain d’une CNN ou d’une Al-Jazira ? « Ces batailles peuvent être menées aussi bien dans le cadre d’une ONG qu’au sein d’une organisation interétatique. »
Décidément inspiré, il poursuit : « J’ai été approché par plusieurs chefs d’État lors du sommet de Lusaka, en juillet 2001, pour conduire la transition entre l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et l’Union africaine. J’ai préféré m’abstenir, d’autant plus que mon mandat à la tête du Mali n’était pas terminé. Je ne suis ni un carriériste ni à la recherche d’un gagne-pain, mais je trouve qu’on ne peut se dérober à un combat aussi crucial pour notre devenir. […] Il y a tellement de choses à faire ! Je ne comprends pas, par exemple, que cinquante ministres africains se croisent dans une réunion de l’Organisation mondiale du commerce, à Genève, sans s’être auparavant jamais rencontrés. Et je ne comprends pas davantage qu’il faille trois mois, voire plus, pour mobiliser quelque 1 300 soldats africains pour la Côte d’Ivoire. Il n’y a pas véritablement de politique commune en matière de défense, d’immigration, pas de stratégie africaine du pétrole, du coton, du cacao. Il faut remédier à cela. L’intégration est une priorité. Il faut la sortir de la bureaucratie et la populariser, avec le concours de la société civile, des sportifs, des intellectuels et des artistes. »
On l’aura compris, le prochain engagement d’Alpha Oumar Konaré sera… panafricain. Et, sans doute, même si l’intéressé n’a pas encore définitivement arrêté sa position, à la tête de la Commission de l’Union africaine. Pour cela, il ne manque pas d’atouts. Il a – c’est une formalité – le soutien du Mali et de son président. « S’il est candidat, ce sera, avant tout, celui du Mali », nous a confié ATT. Alpha Oumar Konaré est, par ailleurs, pratiquement assuré d’obtenir les suffrages d’une majorité des quinze pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. De bonne source, on indique qu’il est d’ores et déjà assuré de l’appui de plusieurs dinosaures africains. Notamment, du Nigérian Olusegun Obasanjo, du Gabonais Omar Bongo, du Guide libyen Mouammar Kadhafi, de l’Algérien Abdelaziz Bouteflika (qui a confirmé son soutien par un message diplomatique, le 8 juin 2002, quelques heures avant les adieux au pouvoir de Konaré), et, surtout, du Sud-Africain Thabo Mbeki dont l’engagement en faveur du candidat malien ne fait pas de doute : « Pour le poste de président de la Commission de l’Union africaine, il faut moins un administratif qu’un politique. »
En vérité, beaucoup de chefs d’État souhaiteraient confier la direction de la Commission non pas à un obscur haut fonctionnaire ou à un ministre, mais à un homme (ou à une femme) qui a présidé aux destinées d’une nation. À leurs yeux, Alpha Oumar Konaré, intellectuel atypique et touche-à-tout, élu démocratiquement et qui s’est effacé à la fin de son second (et ultime) mandat tout aussi démocratiquement et avec un bilan somme toute honorable, ferait bien l’affaire. En tout cas, s’il était élu, au mois de juillet prochain à Maputo, l’ancien président malien pourrait certainement compter sur la complicité, le soutien et l’expertise du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan et du secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie Abdou Diouf, deux « grands frères » avec lesquels « le courant est toujours passé ».

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