Gbagbo à la manoeuvre

Entre les ultras de son camp et la pression de la communauté internationale, le chef de l’État navigue à vue pour satisfaire les uns sans heurter les autres.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Le projet de gouvernement élaboré par le président Laurent Gbagbo le 26 février, plus d’un mois après la signature de l’accord de Marcoussis, avalisé, dans la foulée, par la Conférence des chefs d’État à « Kléber », ne fait pas l’unanimité au sein des acteurs de la crise ivoirienne. Loin s’en faut. Du rejet du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), l’aile politique de la rébellion du Nord, à la violation du compromis de Marcoussis-Kléber par Gbagbo que dénonce le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, en passant par l’ire d’autres partis contestant le nombre de portefeuilles ministériels (si ce n’est leur contenu) qui leur est attribué, tout concourt à compliquer la tâche du Premier ministre. Seydou Diarra en a conscience.
Sitôt les contours de cette équipe de quarante-sept membres (contre trente-six arrêtés à Marcoussis) dessinés par le chef de l’État, Diarra a rencontré le Comité international de suivi pour le saisir d’éventuels obstacles – des « obstructions », précise Sidiki Konaté, porte-parole du MPCI. Il devait également se rendre, le 27 février, à Accra pour rencontrer John Kufuor, président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), puis à Dakar (où vit une partie de sa famille) pour un entretien avec le numéro un sénégalais, Abdoulaye Wade.
Le 3 mars, le Premier ministre ivoirien était attendu à Bouaké, fief de la rébellion, par le secrétaire général du MPCI, Guillaume Soro, rentré moins de quarante-huit heures plus tôt d’un séjour à Paris où il a pris connaissance de la configuration de ce gouvernement. Et où, au lendemain du Sommet France-Afrique (voir J.A.I. n° 2198), il s’est entretenu du sujet, notamment avec Michel de Bonnecorse, patron de la cellule africaine de l’Élysée, et Nathalie Delapalme, conseillère du ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin.
Pendant ce temps, le colonel Michel Gueu, responsable de la branche militaire du mouvement, ne prend aucun détour pour dire ce qu’il pense du projet de Gbagbo : « Cette proposition n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de Marcoussis. Je ne pense pas que les Forces nouvelles [dénomination englobant les trois mouvements rebelles dont le MPCI] acceptent. […] Les chefs d’État de la région et la communauté internationale doivent faire pression sur Laurent Gbagbo pour le ramener à la raison et à la réalité du terrain, sinon nous allons recourir à toutes nos forces… »
Des menaces qui n’empêchent pas le président ivoirien d’arrêter son propre calendrier : après avoir reçu ses camarades socialistes français – dont Henri Emmanuelli, Charles Josselin, ancien ministre délégué à la Coopération, Guy Labertit, le « monsieur Afrique » du PS, arrivés à Abidjan le 25 février -, il devait faire, le 1er mars, le déplacement de Lomé pour rencontrer le président Gnassingbé Eyadéma, coordonnateur de la médiation ouest-africaine dans la crise ivoirienne, que les rebelles ne ratent jamais l’occasion d’égratigner. Avant de venir voir son homologue français Jacques Chirac, à Paris.
Le tête-à-tête, prévu pour le 6 ou le 8 mars, a été préparé par de proches conseillers du chef de l’État ivoirien qui ont séjourné dans la capitale française à la fin de février (voir p. 6). Cette rencontre est l’occasion pour Laurent Gbagbo d’essayer de convaincre Chirac que la composition de son gouvernement est la bonne après une lecture attentive de l’accord de Marcoussis. Et correspond au partage du pouvoir qui est sorti de la conférence de Kléber (voir l’enquête pp. 32-36). Des manoeuvres que certains des signataires du document de Marcoussis jugent dilatoires et considèrent comme une « remise en cause de la parole donnée ». L’accusé, lui, semble n’en avoir cure. Entre les ultras de son camp et la pression de la communauté internationale, il navigue à vue pour satisfaire les uns sans heurter les autres. À la mi-février, à un de ses amis français de passage à Abidjan, il confirmait qu’il resterait « fidèle à l’esprit de Marcoussis », même si des pressions morales infernales l’ont conduit à accepter l’« inacceptable » : l’admission de « rebelles » dans le gouvernement. Parce que « c’était contraire aux coutumes africaines, parce qu’il faut respecter le deuil et la mémoire des victimes », estimant qu’il ne pouvait « admettre des rebelles qu’avant un an… disons six mois ». Et de préciser, à propos du Premier ministre du « gouvernement de réconciliation nationale », que tous les deux « devaient travailler ensemble » sans que cela ne signifie qu’il abdique complètement ses prérogatives de chef d’État.
La configuration qu’il cherche à donner aujourd’hui à l’équipe de Seydou Diarra reste dans la droite ligne de cette confidence. Elle traduit surtout, au-delà de la polémique sur l’attribution des portefeuilles ministériels aux différents acteurs du conflit, ses réticences à déléguer tout ou partie de ses pouvoirs, comme prévu par le compromis de Marcoussis, qui accorde une large marge de manoeuvre au chef du « gouvernement de réconciliation nationale ». À preuve, le temps qu’a pris la première esquisse du cabinet Diarra, malgré les multiples réunions et autres rencontres au cours desquelles, après Marcoussis et Kléber, le dossier ivoirien a été abordé en l’espace d’un mois : Sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA), huis clos (Gbagbo, Olusegun Obasanjo, John Kufuor) de Yamoussoukro, Sommet France-Afrique, périple de Soro et de ses amis au Ghana, au Sénégal, au Nigeria, au Niger et au Burkina…
Des trésors de diplomatie qui indiquent que Laurent Gbagbo ne manque pas de ressources. Là où d’autres auraient lâché la barre depuis longtemps ou, à tout le moins, quitté leur pays en pleine confusion politique et militaire, lui fait preuve de ressort insoupçonné pour rebondir. Mais jusqu’à quand ?

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