Chine-Afrique : les contrats léonins de Pékin sur le banc des accusés
Ouganda, Zambie, Kenya… Les prêts octroyés par des banques chinoises aux pays du continent sont de plus en plus critiqués. Dernier en date, celui qui porte sur l’agrandissement de l’aéroport d’Entebbe.
Premiers bailleurs de fonds des infrastructures en Afrique, les banques d’État chinoises sont régulièrement critiquées pour les clauses léonines de leurs contrats de prêts, qui alourdissent la dette publique et privée de pays aux économies déjà exsangues. Cette fois, c’est un prêt de 200 millions de dollars (178 millions d’euros), conclu en 2015 par la banque chinoise Exim Bank avec gouvernement ougandais, qui place à nouveau Pékin sous le feu des projecteurs.
Selon le centre de recherche américain AidData, l’Ouganda devra verser toutes les recettes de l’aéroport d’Entebbe sur un compte détenu conjointement avec son créancier. Et, avant de pouvoir envisager toute autre dépense, elle devra rembourser en priorité le prêt consenti par la Chine.
« Ce sont des conditions plus agressives que toutes celles que nous avons vues précédemment », juge Bradley Parks, directeur exécutif d’AidData, qui estime que ce contrat « limite l’autonomie fiscale du gouvernement ougandais ».
À titre de comparaison, les analystes soulignent qu’au Bénin, un prêt chinois destiné à mettre sur pied un réseau d’approvisionnement en eau s’est accompagné d’une clause exigeant qu’une partie des recettes du réseau – et non la totalité – soit versée sur un compte conjoint.
Zambie et Kenya, même combat
Les garanties extrêmement strictes qu’imposent les créanciers chinois sont de plus en plus souvent décriées. Dans un rapport publié en mars 2021 et intitulé « How China lends » (« Comment la Chine prête de l’argent »), l’AidData, le Peterson Institute for International Economics et le Kiel Institute estiment que 75% des prêts consentis par la China Development Bank comportent des clauses adossant le remboursement soit à des biens physiques, soit à un blocage de fonds sur des comptes spéciaux, comme c’est le cas avec l’Ouganda. Par ailleurs, 81% des prêts accordés par Exim Bank excluent toute possibilité de restructuration.
Ces clauses qualifiées, là encore, de léonines, commencent à provoquer des remous. En Zambie, la société civile s’est émue de ce type de contrats. Au Kenya, l’énorme dette contractée pour construire la voie ferrée reliant Nairobi à Mombasa a déclenché un débat musclé entre des militants locaux et le président Kenyatta, un temps soupçonné de vouloir céder le contrôle du port de Mombasa à ses créanciers chinois à titre de compensation.
Dans le cas de l’affaire ougandaise, les dispositions du contrat portant sur l’aéroport d’Entebbe vont particulièrement loin. Les clauses de remboursement portent en effet sur l’ensemble des revenus de l’aéroport, et pas uniquement sur les revenus procurés par les travaux d’agrandissement, objets du prêt.
Des failles dans le contrat
En novembre 2021, les révélations du média local Daily Monitor sur les modalités de ce prêt avaient déjà ému l’opinion ougandaise. Selon le journal, si le pays se trouvait dans l’incapacité de rembourser son emprunt, l’aéroport passerait sous le contrôle de Pékin. Une information démentie par le pouvoir ougandais et par l’ambassade de Chine à Kampala. Un mois plus tôt, devant le comité parlementaire, Matia Kasaija, le ministre des Finances, avait tout de même reconnu qu’il existait des « failles » dans le contrat et promis une intervention du gouvernement dans l’hypothèse où les revenus de l’aéroport ne suffiraient pas à rembourser l’emprunt.
Construit en 1951, l’aéroport d’Entebbe rapportait environ 68 millions de dollars de revenus annuels avant le projet d’expansion, et cet argent était utilisé pour financer les services publics. Lancés en 2016, les travaux de réparation de pistes et de construction de nouveaux hangars, dont se charge l’entreprise publique China Communications Construction Company, devraient être achevés cette année.
De leur côté, les autorités chinoises se disent conscients du problème que posent certains contrats de prêts. Elles ont d’ailleurs été apostrophées par plusieurs responsables du continent lors du Forum de coopération sino-africain (Focac) organisé à Dakar, à la fin de novembre 2021. Pékin a ainsi accepté de rejoindre le Club de Paris, dont la mission consiste à restructurer les dettes souveraines dans de bonnes conditions. Mais le pouvoir chinois souligne que sa marge de manœuvre n’est pas infinie : s’il peut, disent-il, influer sur les décisions de l’Exim Bank, qui est un établissement public, il ne peut décider à la place des dirigeants de la China Development Bank, officiellement privée.
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