Ce que veut Bush

Pour les stratèges de la Maison Blanche, le renversement de Saddam Hussein n’est que le prélude à un complet « remodelage » de la région. Au bénéfice exclusif d’Israël.

Publié le 4 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Bien que la guerre contre l’Irak ne soit plus qu’une question de deux ou trois semaines, la plus grande incertitude continue de planer sur les objectifs américains et britanniques. Que veut le parti de la guerre ? Quels rêves, quelles ambitions secrètes nourrissent George Bush et Tony Blair ? Est-ce simplement le désarmement de l’Irak, comme ils le prétendent ? Est-ce l’élimination physique du président irakien Saddam Hussein et le renversement de son régime ? Espèrent-ils interdire aux groupes terroristes de l’avenir l’accès aux armes de destruction massive ? Ou n’ont-ils d’autre ambition que de faire main basse sur les immenses ressources pétrolières de l’Irak afin d’accentuer leur domination sur l’ensemble du monde industriel ? Le véritable objectif est-il un rêve impérial d’hégémonie mondiale, ou bien Bush et consorts se sont-ils brusquement convertis aux mérites d’une « démocratie » étendue à la nuit de l’ignorance arabe ?
Ce sont des questions que l’on est en droit de se poser parce qu’il y a quelque chose d’inexplicable et d’irréel, et même de surréel, dans le spectacle qu’offre la plus grande puissance de la planète mobilisant une immense armée pour écraser un petit État déjà mis à genoux par un quart de siècle de guerres et de sanctions économiques. Pouvons-nous croire sincèrement que l’Irak mutilé, affaibli et surveillé comme nul autre pays représente une menace mortelle pour l’humanité ? Ou bien cette entreprise de folie est-elle orchestrée par des amis bien placés d’Israël au gouvernement américain, qui imaginent que détruire ce qui reste d’un grand pays arabe tournera forcément à l’avantage de l’État hébreu ?
Ce sont, à l’évidence, les extrémistes juifs américains, alliés à d’éminentes personnalités de la droite israélienne, qui manifestent le plus d’impatience à faire la guerre et insistent le plus lourdement sur la chance « historique » qui se présente de « remodeler » le Moyen-Orient et de « redessiner » sa carte politique. Comme le déclarait, la semaine dernière, Shaul Mofaz, le ministre israélien de la Défense, dans un discours prononcé, à Jérusalem, lors de la Conférence des présidents des grandes organisations judéo-américaines, « nous avons le plus grand intérêt à reconstruire le Moyen-Orient dès le lendemain de la guerre ». Ephraïm Halevy, l’ancien patron du Mossad, aujourd’hui conseiller pour la sécurité nationale du Premier ministre Ariel Sharon, s’est montré plus précis. « L’onde de choc provoquée, à Bagdad, par la chute de Saddam pourrait rapidement atteindre Téhéran, Damas et Ramallah », indiquait-il récemment, à Munich. Comme le New York Times le notait la semaine dernière, les Israéliens semblent que convaincus que « lorsqu’on sera débarrassé de Saddam, l’effet domino jouera à plein ».
Sharon vient de former un gouvernement d’extrême droite disposant à la Knesset de soixante-huit sièges. Aujourd’hui, comme en 1982 lorsqu’il a organisé l’invasion du Liban, il rêve de reconstruire le monde arabe conformément aux intérêts d’Israël. Ses objectifs peuvent se résumer de la manière suivante.
Quelle est, dans cette vision de l’avenir, la part du fantasme et celle de la réalité ? Comme en 1982, le rêve de Sharon pourrait tourner au cauchemar. Les deux années qui viennent de s’écouler ont démontré que refuser aux Palestiniens leurs droits politiques est le meilleur moyen d’entretenir une résistance qui pourrait devenir plus violente encore. La combativité des Palestiniens est loin d’être brisée. Si la vie leur est rendue insupportable, ils rendront également insupportable celle des Israéliens. L’assassinat quotidien, et de sang-froid, de Palestiniens – une cinquantaine d’entre eux ont été tués au cours des quinze derniers jours – ne restera pas sans réponse. De nombreuses personnalités juives de la diaspora et beaucoup d’Israéliens estiment que l’actuel Premier ministre mène Israël à la catastrophe. L’Union européenne, la Russie, l’ONU et même les États-Unis (avec un gouvernement plus raisonnable que l’actuel) ne renonceront pas facilement à l’idée d’un État palestinien indépendant coexistant pacifiquement avec Israël. Une fois la crise irakienne réglée, d’une manière ou d’une autre, l’attention internationale se reportera à nouveau sur le conflit israélo-palestinien. Le rêve sharonien d’une « victoire totale » risque alors de voler en éclats.
De sérieux obstacles se dressent sur le chemin de la guerre, dont le moindre n’est pas les profondes divisions qui minent le Conseil de sécurité des Nations unies. Respectivement conduits par les États-Unis et la France, les deux camps vont en découdre pendant les deux semaines qui viennent. Si l’issue de l’affrontement est la guerre, avec ou sans l’autorisation de l’ONU, les conséquences risquent d’être extrêmement confuses. Très éloignées, en tout cas, du « remodelage » de la région envisagé par les faucons.
L’hypothèse d’un Moyen-Orient stable et démocratique vivant en harmonie avec les États-Unis et Israël n’est guère réaliste. Il faut plutôt s’attendre à des pertes humaines et à des destructions massives en Irak ; à l’effondrement du gouvernement central, précédant un soulèvement populaire ; à un flot de réfugiés cherchant un abri au-delà des frontières ; au blocage du commerce, de l’investissement et du tourisme dans tout le Moyen-Orient ; à une impitoyable foire d’empoigne entre Occidentaux pour le contrôle du pétrole irakien ; et à une vague d’attentats islamistes ou nationalistes contre des objectifs américains et britanniques.

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