Algérie, année zéro
Début 2003, à Alger, deux salles de cinéma rénovées attirent les spectateurs en masse. L’Algeria, rue Didouche-Mourad, qui programme Harry Potter, a enregistré 10 400 entrées pendant sa première semaine d’exploitation. Mieux : près de la Grande Poste, c’est un film algérien tourné en Algérie et évoquant la guerre civile des années quatre-vingt-dix, Rachida, de Yamina Bachir-Chouikh, qui triomphe. Treize mille six cents entrées en une semaine lors de sa sortie, soit deux mille spectateurs par jour. Un résultat qu’envieraient bien des salles, surtout pour un film d’auteur sur un sujet délicat.
Ce mois-ci, le cinéaste algérien Nadir Moknèche, auteur du Harem de madame Osmane, tourne au centre de la capitale les extérieurs de son second film, Viva Laldjérie. Avec Biyouna, vedette populaire à Alger, Lubna Azabal, remarquée dans le dernier film d’André Téchiné, Loin, et Nadia Kaci, qui a joué dans Bab el-Oued City de Merzak Allouache.
On peut retrouver toutes ces informations dans le numéro spécial que les Cahiers du cinéma viennent de publier sous le titre « Où va le cinéma algérien ? ». Assiste-t-on à une renaissance de ce qui fut autrefois la cinématographie phare du Maghreb ? Le croire serait évidemment faire preuve d’un optimisme exagéré. L’absence totale de l’Algérie dans la sélection du Fespaco de Ouagadougou le prouve de manière éloquente.
De fait, les nombreux articles que les Cahiers consacrent au cinéma algérien nous racontent surtout son âge d’or. C’est-à-dire les vingt-cinq années qui ont suivi l’indépendance. Dans les années soixante, on dénombrait plus de quatre cents salles où se pressait un public réputé fidèle et passionné.
C’est en outre dans le pays que se concevaient alors, grâce à la qualité des techniciens locaux, des oeuvres marquantes de la cinématographie internationale. Visconti a tourné L’Étranger, d’après Camus, à Alger en 1967. Avec un producteur algérien. Costa-Gavras a bénéficié, en 1969, de l’aide du pôle de production public pour réaliser son film le plus célèbre, Z, d’après le roman de Vassilis Vassilikos. À la cinémathèque d’Alger, créée en 1967, on pouvait croiser Von Sternberg, Losey ou Godard.
Si les thèmes abordés, liés à la lutte pour l’indépendance, manquaient souvent d’originalité, les spectateurs pouvaient vibrer grâce à la production nationale (environ cent vingt longs métrages au total). Des films d’auteur qui triomphaient dans tous les grands festivals, à commencer par Cannes, qui accorda sa Palme d’or, en 1975, à Chronique des années de braise de Lakhdar Hamina. Une réussite imputable aux efforts de l’État, qui avait décidé de jouer la carte du septième art pour écrire la geste héroïque des combattants de la guerre. Un effort suffisant pour financer des dizaines de films… et pour entraîner tout le secteur dans la ruine le jour où le robinet à subventions fut fermé, à la fin des années quatre-vingt.
Voilà comment on a débouché sur une situation de crise, accrue par les effets de la terreur islamiste. En 2000, explique le directeur de la cinémathèque d’Alger, « le cinéma algérien, c’était : zéro production, zéro salle, zéro distributeur, zéro billet vendu ». On ne pouvait pas tomber plus bas ! Peut-on espérer remonter la pente avec un secteur désormais privatisé, mais dépourvu d’investisseurs privés ?
Il existe des lueurs d’espoir. L’État s’intéresse de nouveau au cinéma. Des salles ont été rénovées grâce à l’aide des pouvoirs publics, et il existerait une quarantaine de lieux où projeter des films. À l’occasion du millénaire d’Alger (2000) et de l’année de l’Algérie (2003), les autorités ont décidé de dégager des fonds pour permettre la réalisation d’une douzaine de films – dont quatre seraient déjà terminés. L’ambiance redonne confiance même à ceux qui ne croient plus à la résurrection du cinéma et qui essaient, comme Mohamed Chouikh, l’auteur de La Citadelle, de trouver d’autres sources de financement. En espérant que les cinéastes algériens pourront bénéficier « d’un environnement étatique non hostile ».
Les Cahiers du cinéma, hors-série mars 2003, « Où va le cinéma algérien ? », 84 p., 6 euros
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