Sharon victime de son succès

Après la défaite cinglante des travaillistes aux législatives du 28 janvier, le Premier ministre pourrait être condamné à composer avec les religieux et l’extrême droite pour disposer d’une majorité.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Les urnes israéliennes ont rendu leur verdict. Au terme des élections législatives anticipées du 28 janvier, le Likoud remporte une « victoire historique » en obtenant 37 sièges sur 120 à la nouvelle Knesset (contre 19 auparavant). Malgré un bilan calamiteux sur le plan économique (le pays n’a pas connu telle récession depuis 1953) et sécuritaire (vingt mois après les promesses de « paix et sécurité », le coeur de Tel-Aviv n’est toujours pas à l’abri d’attentats meurtriers) ; malgré les affaires de corruption et les scandales auxquels son nom a été mêlé, Ariel Sharon a été élu dans un fauteuil pour un nouveau mandat.
Les travaillistes, emmenés par la colombe Amram Mitzna, enregistrent, quant à eux, le plus mauvais score de leur histoire (15,8 % des voix seulement). Avec l’effondrement du Meretz (6 sièges, contre 10 remportés en mai 1999), qui a provoqué la démission immédiate de son chef de file Yossi Sarid, la déroute de la gauche est totale.
Seul véritable événement de ces élections, la performance des ultralaïcs du Shinouï (voir encadré p. 44), qui, avec 15 % des suffrages (contre 6 % en 1999), raflent 15 sièges. Longtemps considéré comme marginal, le Shinouï est désormais la troisième formation politique du pays, juste derrière les travaillistes. Au grand dam de ses « ennemis » ultraorthodoxes du Shass, qui ne sont parvenus à conserver que 11 sièges (contre 17 auparavant). Autre fait significatif : la faiblesse du taux de participation (68,5 %), le plus bas jamais enregistré, notamment chez les Arabes israéliens (62 %) et dans les kibboutz, où seuls 56 % des électeurs auraient voté selon de premières estimations.
Quels enseignements tirer de ces résultats ? Tout d’abord, Sharon doit davantage sa victoire à son image rassurante d’« homme à poigne » qu’à son programme politique, dont on ignore tout, sauf peut-être ce à quoi il prétend mener : la création d’un État palestinien démilitarisé, sans continuité territoriale, sans contrôle sur ses frontières et sans Jérusalem pour capitale. La défaite de Mitzna répond aussi en partie à cette logique. À en croire les sondages, ses positions – séparation unilatérale en cas d’échec des négociations avec les Palestiniens et, surtout, séparation physique des Territoires par l’édification d’un « mur » – sont partagées par la majorité des Israéliens. Mais le maire d’Haïfa n’était pas suffisamment connu des électeurs pour qu’ils lui confient leur destinée. À la tête d’un parti largement discrédité, Mitzna a payé le prix de sa franchise et de son courage face à une société en plein désarroi.
Car, plus que la victoire de Sharon, la composition du nouveau Parlement reflète surtout les multiples lignes de fracture qui traversent la société israélienne. La plupart des députés sont en effet issus de petits partis défendant des intérêts identitaires particuliers (arabes, russes, religieux ou laïcs) et, en conséquence, souvent antagonistes. À l’exception des travaillistes ou du Likoud, aucun des treize partis représentés à la Knesset n’a de projet politique collectif, encore moins fédérateur. La percée du Shinouï est à cet égard révélatrice. Elle s’explique non pas par un programme – quasi inexistant du reste – ou un projet de règlement du conflit israélo-palestinien, mais par les virulentes diatribes anti-religieuses de son leader, Yossef « Tommy » Lapid. Si Sharon veut avoir les mains libres, il devra s’affranchir de ces petites formations et mettre sur pied un gouvernement d’union nationale. Un exercice qui risque de se révéler difficile… Dès l’annonce du résultat des élections, il a donc appelé au rassemblement : « Nous pouvons nous réjouir de cette victoire, a-t-il déclaré devant ses partisans, mais le temps des festivités n’est pas encore venu. […] Citoyens d’Israël, la campagne électorale est finie, les disputes sont terminées. Il est temps d’agir ensemble. […] Israël a besoin d’unité et de stabilité, rapidement, avant que la crise ne s’aggrave. »
C’est au président israélien, Moshe Katsav, qu’il revient de désigner, au plus tard le 11 février, celui qui formera le nouveau gouvernement. Selon la loi, il peut choisir n’importe quel député volontaire mais, dans la pratique, c’est toujours le chef du parti majoritaire qui est désigné – en l’occurence, Ariel Sharon. Ce dernier dispose ensuite de quarante-deux jours maximum pour former un gouvernement approuvé par le Parlement. S’il échoue, Katsav nommera un autre Premier ministre. Au bout de trois échecs successifs, de nouvelles élections devront être organisées dans les quatre-vingt-dix jours.
Trois options s’offrent à Sharon pour disposer d’une majorité.

Un gouvernement d’union nationale
C’est sans doute l’option que préfère Sharon. Car une participation des travaillistes apporterait, notamment aux yeux des États-Unis, une caution morale à l’action de son gouvernement. Mais Amram Mitzna s’est montré ferme sur ce point : « Sharon espère que le Parti travailliste serve une fois encore de « feuille de vigne » masquant les échecs de sa politique. Nous n’avons pas l’intention de le rejoindre, mais de le remplacer. » Pour le moment du moins, le parti fait bloc avec son chef. Reste que la campagne électorale a révélé de graves dissensions au sein des travaillistes. Le fait que Shimon Pérès et Benyamin Ben Eliezer évoquent ouvertement leur éventuelle participation au gouvernement si Sharon accepte certaines de leurs « conditions » n’est pas de bon augure pour Mitzna, qui pourrait, à terme, être mis en minorité au sein de son parti et acculé à la démission par les tenants de la ligne « participationniste ». Vu l’ampleur de la défaite, cette hypothèse est loin d’être improbable.
De son côté, Sharon va utiliser tous les moyens de pression possibles pour convaincre les travaillistes de la nécessité d’une union nationale. Il dispose pour cela d’un bon argument : l’imminence d’une guerre américaine en Irak et la menace qu’elle représente pour la survie de l’État hébreu.

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L’option Shinouï
Si Mitzna tient bon, Sharon peut offrir au Shinouï une place dans la coalition en exigeant qu’il mette en veilleuse ses positions anti-ultraorthodoxes. D’autant que Yossef Lapid, qui a pourtant déclaré haut et fort qu’il n’accepterait jamais de participer à un cabinet incluant le Shass, n’exclut plus de travailler avec les religieux au sein d’un « gouvernement d’urgence nationale ». Si le Shinouï persiste dans son refus, Sharon devra considérer l’exclusion du parti ultraorthodoxe séfarade et pourrait, outre le Shinouï, récupérer les travaillistes ou, du moins, une partie d’entre eux.
L’autre possibilité consisterait à former un gouvernement « d’union laïque », tel que le rêve le Shinouï. Les Travaillistes n’auraient dans ce cas aucune raison valable de refuser d’y participer. Ce scénario reste néanmoins très improbable, dans la mesure où Sharon devra alors écarter tout les partis religieux (Shass, Liste de la Torah unie et Parti national religieux), rompant l’alliance traditionnelle qui les lie au Likoud, au risque de provoquer un clash avec l’aile radicale du parti emmenée par Benyamin Netanyahou.

Une coalition de droite
C’est sans doute la coalition la plus facile à mettre sur pied. Sharon disposerait d’une confortable majorité, a priori stable, formée du Likoud, de l’extrême droite et des partis religieux. Mais Sharon serait alors dans une position délicate. Car la présence de la droite radicale, notamment le parti ultranationaliste d’Avigdor Lieberman, aura pour effet de bloquer toute progression sur le dossier palestinien, quitte à déplaire fortement à l’allié américain. Or les bonnes grâces de ce dernier sont vitales, notamment les 8 milliards de dollars de garantie de prêt – promis par Washington mais qui ne seront pas débloqués avant juin prochain.
Un tel gouvernement devra aussi faire face à une opposition solide regroupant les travaillistes, le Shinouï et le Meretz, dont la tâche sera facilitée par le contexte de crise économique, social et sécuritaire. Dans ce cas de figure, Mitzna incarnerait la seule chance de renouveau du Parti travailliste.
Ce scénario est sans doute celui qui convient le moins aux objectifs de Sharon. Il l’a d’ailleurs déclaré le soir même des élections et répété depuis : « Je n’ai pas l’intention de diriger un gouvernement de droite, et cela, sous aucun prétexte. […] S’il n’y a pas d’autre solution et si je ne parviens pas à former un gouvernement d’union nationale, je n’hésiterai pas à provoquer de nouvelles élections. »

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