Reproduction interdite

Le Sénat français vient d’approuver, à l’unanimité, une loi proscrivant le clonage, qu’il soit reproductif ou thérapeutique.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Le clonage est « un crime contre l’espèce humaine ». Telle est la qualification finalement retenue dans le projet approuvé à l’unanimité par le Sénat français, le 29 janvier, et portant modification des lois de bioéthique de 1994. De nombreuses formules avaient été avancées pour incriminer cette pratique avec le maximum de sévérité. Le ministre français de la Santé, Jean-François Mattei, auteur du projet de loi, avait proposé celle de « crime imprescriptible contre la dignité humaine ». Tandis que le magazine La Vie a avancé la notion de « crime contre l’humanité de l’homme ». Un regain d’ardeur dans la condamnation qui s’explique par le grand choc émotionnel né de l’annonce, le 26 décembre aux États-Unis, de la naissance d’Eve, le premier bébé cloné. La secte des raéliens, à l’origine de la nouvelle, a indiqué qu’un autre enfant cloné avait vu le jour aux Pays-Bas, le 4 janvier. Clonaid, la société dirigée par la scientifique française Brigitte Boisselier et qui aurait mis en place la technique pour réaliser l’expérience, a déclaré disposer d’une liste de deux mille personnes prêtes à payer, chacune, 200 000 dollars pour avoir un bébé cloné.
Au-delà des réactions criant à la supercherie, la polémique a fait prendre conscience aux pays développés de la nécessité d’adopter au plus vite de vraies législations contre le clonage. Et incité à la diligence dans la mise en place de mécanismes de répression (voir encadré p. 94).
Un avocat de Floride, Bernard Siegel, a introduit, dès le 28 décembre, une action pour demander à la justice d’ordonner une expertise médicale du bébé prétendument cloné. Et, le cas échéant, de placer ce « cobaye humain » sous tutelle judiciaire. Le 11 janvier, le tribunal de Fort Lauderdale a assigné un des vice-présidents de Clonaid, Thomas Kaenzig, le sommant de révéler où se trouvent le bébé cloné et sa mère. Si toutes ces démarches sont restées jusqu’ici sans résultat, elles ont alerté les parlementaires français en plein examen des modifications des lois sur la bioéthique.
La nouvelle loi interdit formellement le clonage reproductif, c’est-à-dire « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne humaine vivante ou décédée ». Les chercheurs, opérateurs ou organisateurs d’actes de cette nature sont passibles d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Il s’agit donc d’une infraction d’une exceptionnelle gravité soumise à un délai de prescription de trente ans à partir de la majorité de l’enfant cloné. Autant dire qu’elle est imprescriptible.
Quant au clonage thérapeutique (la création d’embryons pour la recherche en vue d’une nouvelle médecine régénératrice), il a, à son tour, été interdit par les députés dès la discussion du projet de loi en première lecture, en janvier 2002. De même est prohibée et sévèrement punie toute création d’embryons humains à des fins de recherche. Au grand dam de l’Académie de médecine qui voit là une entrave à l’avancée de la connaissance scientifique.
Pour permettre à la médecine régénératrice de progresser, les études sur les cellules souches embryonnaires et sur l’embryon sont autorisées pour une durée de cinq ans, prorogeable en fonction des résultats. Mais cette activité reste sous strict contrôle judiciaire et sous le regard vigilant des militants de l’éthique. Le Conseil d’État a ainsi pris, le 13 novembre 2002, une décision suspendant les travaux du Laboratoire de biologie des cellules souches humaines du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). L’arrêt est survenu à la suite d’une requête déposée par Christine Boutin, une députée de droite connue pour son hostilité à l’avortement et à toutes les formes de manipulations génétiques. Mme Boutin s’est attaquée aux activités menées par le laboratoire sur une lignée de cellules souches embryonnaires qu’il avait été autorisé à importer d’Australie à des fins de recherche.
La loi s’attaque également à ce que Didier Sicard et Marie-Hélène Mouneyrat, président et secrétaire générale du Comité national d’éthique, ont qualifié d’« acharnement procréatique ». Et qui se traduit par des grossesses multiples nées des fécondations in vitro, qui peuvent être responsables de la prématurité et de séquelles sur la santé physique ou psychique des enfants. Sans compter les erreurs et aberrations naturelles auxquelles la manipulation des gamètes peut conduire. Telle cette histoire rocambolesque qui a secoué l’opinion, en juillet 2002 : un couple de Blancs a donné naissance à des jumeaux noirs, à Londres, à la suite d’une erreur humaine au cours de l’implantation d’embryons fécondés in vitro. Une affaire qui a posé un sérieux casse-tête à la justice britannique, à laquelle il est revenu de déterminer à quels parents devaient être confiés les enfants.
Sur ce sujet sensible de l’assistance médicale à la procréation (AMP), le législateur français aborde une question posée par la polémique intervenue en 1999 aux États-Unis. Un enfant est né de la fécondation de l’ovule de sa mère au moyen d’un spermatozoïde extrait de la dépouille mortuaire de son père. La nouvelle loi interdit toute forme de transfert d’embryon post mortem. « Aux interrogations éthiques et psychologiques que peut susciter la mise au monde consciente d’un orphelin s’ajoutent les inquiétudes des juristes confrontés à la difficulté de régler la filiation et la situation patrimoniale de l’enfant conçu dans de telles conditions », explique Jean-François Mattei.
De même n’auront désormais le droit de recourir à l’AMP que les seuls couples hétérosexuels mariés ou ayant une vie commune d’au moins deux ans.
L’épineuse et brûlante question de la brevetabilité des gènes humains est abordée avec de nombreuses précautions. La complexité de ce problème est, de nouveau, soulignée par l’affaire des tests de dépistage des cancers du sein héréditaires opposant l’Institut (français) Curie à l’entreprise américaine Myriad Genetics. La nouvelle loi cherche à concilier le respect du patrimoine génétique de l’humanité avec le droit à la propriété intellectuelle. Le législateur français n’a donc rien voulu laisser au hasard pour sauvegarder une certaine éthique dans ce domaine de la transmission de la vie et de la perpétuation de l’espèce et de la dignité humaines. Mais ce n’est que dans la pratique, au contact avec les résistances de la curiosité scientifique et des intérêts économiques induits par l’AMP, qu’on pourra évaluer l’efficacité du nouveau dispositif législatif.

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