Le fond et la forme

L’accord de Marcoussis propose des solutions juridiques aux problèmes qui minent la société ivoirienne. Mais sa mise en oeuvre reste difficile.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 4 minutes.

La Côte d’Ivoire va au devant d’un toilettage en profondeur de son arsenal législatif, si l’accord signé le 24 janvier à Linas-Marcoussis est appliqué. Nationalité, identité, statut des étrangers, code électoral, conditions d’éligibilité à la présidence de la République, régime foncier rural, droits et libertés de la personne humaine… Aucun aspect des points de discorde et objets de frustration, qui empoisonnaient la vie publique ivoirienne au cours des dernières années, n’a été passé sous silence. Enjeu central dans le conflit, les lois ont fait l’objet d’études approfondies de la part des différents protagonistes. Tous sont arrivés à la table ronde avec des idées précises et des propositions bien ficelées sur la question. Le ton a été donné par l’Assemblée nationale, qui, dans une résolution datée du 10 janvier prise en séance plénière, se livre à une véritable défense de la Constitution, du code de la nationalité, de la loi sur le foncier rural et de celle sur l’identification des personnes. Au cours des débats de la table ronde, le MPCI, le MJP et le MPIGO se sont inspirés d’un document contenant une « analyse critique de la Constitution et de certains textes législatifs ». Une sorte d’exégèse des lois (citant toutes les dispositions à amender) qui a été suivie, presque textuellement, par l’accord.
Le premier point du lifting institutionnel annoncé touche la citoyenneté. La question de savoir qui est ivoirien et qui ne l’est pas est tranchée sans ambiguïté. Par le biais du dosage entre le jus soli et le jus sanguini contenu dans la loi 61-415 du 14 décembre 1961 portant code de la nationalité ivoirienne, modifiée par la loi 72-852 du 21 décembre 1972. Qualifiée de « texte libéral et bien rédigé » par les différentes parties, la loi de 1961 va être légèrement retouchée pour ajouter, par exemple, à l’article 12 que « l’étranger qui épouse une femme ivoirienne acquiert la nationalité ivoirienne au moment de la célébration du mariage ». Quant à la très polémique question des naturalisations, elle doit faire l’objet, dans les six mois, d’un projet de loi du gouvernement de transition destiné à simplifier la procédure et diligenter les dossiers pendants.
L’identification des personnes, un autre chef de dénonciation d’abus et d’exclusions, a privé de vote, selon certaines sources, près des deux tiers du corps électoral au cours des élections départementales controversées de juillet 2002. Source d’une boutade de mauvais goût de Pascal Affi Nguessan, qui, à la veille de la campagne électorale pour les départementales, a qualifié le RDR de « parti des sans-papiers », le casse-tête des cartes d’identité a cristallisé le mécontentement de nombreux Ivoiriens qui se sont sentis, de facto, déchus de leur nationalité. Surtout que, entre autres démarches, l’option prise par le pouvoir d’identifier les personnes à partir de leur village d’origine avait arbitrairement laissé sur la touche des milliers de personnes du fait de leurs noms à consonance musulmane. Sur cette délicate question, le processus d’identification en cours doit être arrêté en attendant la prise des décrets d’application de la loi du 3 janvier 2002 relative à l’identification des personnes et au séjour des étrangers, et la création d’une commission nationale d’identification dirigée par un magistrat et composée de représentants de partis politiques chargés de superviser l’Office national d’identification.
Concernant les étrangers (le pays en abrite 4 millions, sur une population totale d’un peu plus de 15 millions), l’accord recommande la suppression immédiate de la carte de séjour pour les ressortissants des pays membres de la Cedeao et la cessation de toutes les formes d’atteinte à la personne et aux biens des étrangers. Et c’est pour protéger ceux-ci, notamment les quelque 2,2 millions de Burkinabè qui vivent dans le pays, que la loi 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural doit être modifiée. Le litigieux article 26 va être expurgé de sa dangereuse disposition qui réserve la propriété de la terre aux seuls Ivoiriens et exige des héritiers étrangers, dans un délai de trois ans, qu’ils cèdent leurs domaines aux nationaux ou qu’ils les rétrocèdent à l’État. Dans la droite ligne de ce texte, 20 000 petits exploitants burkinabè installés à Tabou, au sud-ouest du pays, ont été, selon Ouagadougou, chassés de leurs terres en 1999 et contraints à regagner leur pays d’origine. Extraire son venin à la loi sur le foncier est indispensable à la normalisation des rapports avec le Burkina.
Mais le conflit ivoirien persistera tant que le désaccord autour des conditions d’accession à la magistrature suprême ne sera pas levé. On touche là au fameux article 35 de la Constitution en vertu duquel le leader du RDR, Alassane Ouattara, a été interdit de candidature en octobre 2000. La nouvelle formulation de ce texte arrêtée à Marcoussis se limite à dire que le postulant à la fonction présidentielle « doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine ». Et non plus de « père et de mère ivoiriens d’origine ». Qu’il se soit « prévalu d’une autre nationalité » importe peu dorénavant. Tous ces changements annoncés restent toujours à l’état de projets, de « propositions », précise Gbagbo. Ils attendent une révision constitutionnelle qui les entérine, mais aussi l’adoption des amendements aux lois visées, le vote de nouvelles lois et la prise de décrets d’application selon les cas. L’article 35 de la Constitution ne peut être retouché, et d’autres dispositions, comme la publication annuelle du bulletin de santé du chef de l’État, ne peuvent être introduites qu’après un vote des deux tiers de l’Assemblée nationale suivi de l’approbation des modifications par référendum. Reste à savoir si la volonté politique nécessaire à ces bouleversements existe.

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