Le consensus incarné

Premier ministre de Gueï pressenti pour être celui de Gbagbo nouvellement élu, Seydou Diarra dirigera le gouvernement de « réconciliation nationale ».

Publié le 4 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Seydou Elimane Diarra est de retour à la primature après en avoir été le locataire sous la transition militaire, de décembre 1999 à octobre 2000. Parmi d’autres noms, dont celui d’Henriette Diabaté, le bras droit d’Alassane Ouattara, il a été retenu le 25 janvier par le président Gbagbo pour diriger le gouvernement de « réconciliation nationale » dont les contours ont été dessinés dans l’accord de Marcoussis. Il n’a pu cette fois décliner l’offre, comme à la fin d’octobre 2000 quand le président Gbagbo le pressentit pour diriger sa nouvelle équipe. Gbagbo vient alors d’être proclamé chef de l’État, élu face au général Robert Gueï. Diarra range son bureau, emmène son épouse et se cache dans un quartier d’Abidjan en attendant que passe l’orage qui accompagne l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir.
Diarra ne reste pas longtemps caché. Sitôt installé, Gbagbo lui téléphone à son domicile qu’il vient de regagner. Le nouveau président, qui a toujours apprécié que cet homme l’ait fréquenté lorsque lui-même était politiquement infréquentable, lui propose de demeurer quelque temps en poste ! Seydou accepte, coupe son cellulaire puis réfléchit. Il n’est pas membre du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo, et il ne lui sera pas facile de diriger un gouvernement aussi politisé que celui qui s’annonce. De plus, il ne serait pas convenable de donner ainsi prise à tous ceux qui le disent opportuniste. Il se résout à faire profil bas et se rend chez le chef de l’État pour lui expliquer pourquoi il s’est ravisé. « Mais je suis pour t’aider, Laurent, précise-t-il. Je reste à ta disposition. »
Aujourd’hui, pas d’excuses polies. Il accepte le poste malgré les manifestations d’hostilité des « jeunes patriotes » qui ont tenté, le 31 janvier, d’envahir la piste de l’aéroport d’Abidjan sans doute pour que l’avion à bord duquel il rentrait de Paris ne puisse atterrir. Et puis, cette fois, il a beaucoup plus de pouvoirs et de marge de manoeuvre que sous la junte militaire, dont, jure-t-il, il a « empêché beaucoup de dérives : sans moi, la situation aurait été nettement pire ». La mission n’est pas pour autant de tout repos. Loin s’en faut. L’encre de l’accord de Marcoussis avait à peine séché et sa nomination était tout juste rendue officielle qu’il devait déjà faire face aux difficultés de la composition de son équipe. Mais aussi à ceux qui contestent jusqu’à son choix comme Premier ministre. Seydou n’affiche pourtant d’autre ambition que celle de sortir son pays de l’ornière.
Parce que pour les uns il est disqualifié pour avoir été dix mois durant à côté de Gueï. Alors que pour les autres, il se laissera manipuler par Gbagbo comme celui-ci l’a fait pendant et après le Forum pour la réconciliation nationale (octobre-décembre 2001), dont il lui avait confié la présidence. À les entendre, Diarra serait plus un homme sous influence qu’un homme d’influence capable de donner toutes ses chances à la transition. Reste que c’est lui, l’enfant de Katiola, où il a vu le jour le 23 novembre 1933, qui fait l’unanimité auprès des différents acteurs de la crise ivoirienne. Alassane Ouattara l’appelle « tonton », Henri Konan Bédié le connaît depuis leurs années d’étudiants en France. Laurent Gbagbo se souvient toujours qu’il fut l’un des rares à lui rendre visite lorsque la police le traquait. C’est un homme de consensus qui a depuis longtemps abdiqué toute ambition politique, mais qui peut entrer dans l’arène sans y déchoir.
Le courant passe entre lui et le chef de l’État, dont il est un familier. Dès les premières semaines de son arrivée aux affaires, Gbagbo devait confier à cet ingénieur agronome rompu aux affaires, ancien ambassadeur au Brésil, à Bruxelles puis à Londres, des missions discrètes à New York et à Washington pour plaider, notamment auprès des bailleurs de fonds, la cause du pouvoir. Comme il lui demandera de prendre la tête du Forum pour la réconciliation nationale pour essayer d’exorciser les traumatismes de la transition militaire et de l’avènement du nouveau régime.
La tâche est ardue et l’enjeu suffisamment important pour que d’octobre à décembre 2001, Diarra arbore l’habit du confesseur, à moins que ce ne soit celui du psychanalyste. Il entend tout le monde et parvient à obtenir la participation effective des principaux leaders politiques, à force d’entretiens avec Gueï alors « hors la République », mais aussi avec l’ancien président Henri Konan Bédié et l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara, tous deux réfugiés à Paris. Il réussit même, à l’issue du Forum, à réunir, le 22 janvier 2002 à Yamoussoukro, Gbagbo, Bédié, Gueï et Ouattara pour qu’ils s’entendent sur les quatorze résolutions qu’il avait soumises, quelques semaines plus tôt, à l’appréciation du chef de l’État.
Il ne sortira rien ou presque du conclave des quatre. Et Diarra de vérifier ses craintes confiées dès septembre 2001 à J.A.I., à la veille de l’ouverture du Forum : « Si le Forum échoue, s’il ne débouche pas sur un véritable pacte républicain, alors j’aurai peur pour mon pays. » Propos prémonitoires qui le ramènent aujourd’hui à la barre pour conduire un gouvernement de « réconciliation nationale » sur lequel ses compatriotes fondent tous leurs espoirs.

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