Héros de l’humanitaire ou pédophile impénitent ?

Accusé d’agressions sexuelles au Sénégal, un célèbre prêtre-médecin se présente comme la victime d’une cabale.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 6 janvier 2002, François Lefort est convoqué par un juge du tribunal de Nanterre, dans la banlieue parisienne. Depuis le 7 décembre 1995, cet homme aujourd’hui âgé de 56 ans est sous le coup d’une mise en examen pour viols sur mineurs de 15 ans. Le contrôle judiciaire auquel il est astreint lui interdit tout contact avec des jeunes. Or, curé dans une paroisse de Saône-et-Loire, non loin de Lyon, il semble avoir enfreint cette interdiction.
Au même moment sort en librairie un ouvrage intitulé L’Illusionniste. Un héros de l’humanitaire sur le banc des accusés(*). L’auteur, Mehdi Ba, a mené un long travail de recherche pour démonter tous les ressorts de cette affaire. Car François Lefort n’est pas un justiciable comme les autres. Depuis plus de vingt ans, ce champion de la cause des enfants en difficulté apparaît régulièrement sur la scène politico-médiatique. Pourfendeur de la pédocriminalité et du tourisme sexuel dans le monde, membre de cabinets ministériels en France au début des années quatre-vingt, chargé de mission à Médecins du monde, il a surtout été à l’origine de la création de centres pour les enfants de la rue en Mauritanie et au Sénégal.
Et c’est de ce dernier pays que vont naître ses ennuis avec la justice. Lors du voyage d’un groupe d’élèves français à Dakar, ceux-ci reçoivent les confidences d’enfants et d’adolescents se plaignant d’agressions sexuelles de la part du prêtre. Une éducatrice enregistre ces récits et, de retour en France, prend contact avec une association, qui porte plainte.
L’enquête commence. Au domicile de François Lefort, les policiers trouveront des cassettes et des revues à caractère pornographique. Plusieurs jeunes Sénégalais viendront à Paris pour être entendus par la brigade des mineurs. Trois commissions rogatoires internationales compléteront les investigations. Le parquet retiendra des poursuites concernant six victimes âgées de 12 à 18 ans au moment des faits présumés. Ceux-ci se seraient déroulés soit au Sénégal, soit en France lors de tournées organisées par le prêtre pour des conférences et des collectes de fonds.
François Lefort réfute ces accusations très graves et se présente comme la victime d’une cabale, sans que l’on sache très bien qui l’organise et pour quelle fin. Une mafia liée au commerce du sexe ? L’animateur d’un centre d’accueil qu’il aurait congédié ? Toujours est-il que le prêtre n’a guère de mal à rassembler une impressionnante liste de soutiens de moralité. S’y croisent de hauts responsables de l’Église catholique, des personnalités du monde humanitaire et des médias français. L’accusé connaît, il est vrai, du beau monde, et de tous les bords. S’il affiche des idées de gauche, il est originaire des beaux quartiers : il a grandi à Neuilly, ville très chic et fief de l’actuel ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Il a été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1994 par Michel Roussin, alors ministre de la Coopération du gouvernement Balladur. Alors que sa soeur, Élisabeth Dufourcq, a été secrétaire d’État dans le gouvernement d’Alain Juppé en 1995.
Les affaires de viol, on le sait, reposent bien souvent sur l’affrontement de deux paroles. Faute de pouvoir prouver ce qu’il n’a pas fait, François Lefort a pour principal système de défense la qualité de l’aréopage qui le soutient.
Que pèsent, en face, les assertions de quelques gamins de la rue ? Des enfants qui, pour survivre, sont obligés de composer avec les codes moraux et qui, entre vols, drogue et prostitution, sont tout sauf des parangons de vertu ? Des enfants qu’on peut facilement manipuler, acheter, et dont les propos ne brillent pas toujours par leur cohérence ?
Mehdi Ba a rencontré la plupart des protagonistes de cette délicate affaire, y compris le prêtre mis en examen avec lequel il a eu des dizaines d’heures d’entretien. Son livre n’est nullement un réquisitoire. Les éléments du dossier sont présentés avec le maximum de précautions. Sur chaque point, témoins à charge et à décharge sont invités à s’exprimer. Au final, le lecteur se sent un peu dans la peau d’un magistrat appelé à se prononcer moins sur des faits avérés que sur des présomptions.
Et celles-ci sont fortement influencées par la personnalité du « héros » de cette triste affaire. Charmeur, beau parleur, François Lefort a une capacité de séduction rare. Son parcours aussi a de quoi impressionner. Des bidonvilles de Nanterre aux bordels cambodgiens, en passant par des séjours en Algérie et en RD Congo, sans oublier des missions pour Caritas, il a été sur tous les fronts. Fils de bonne famille se mettant au service des toxicomanes parisiens ou des petits gamins abandonnés de Dakar et de Nouakchott, il s’est donné l’image d’un homme libre et iconoclaste. Cette posture chevaleresque a contribué à asseoir sa légende.
Hélas ! lorsqu’on gratte un peu, on découvre que le « bourlingueur de Dieu » en rajoute, notamment en s’attribuant des exploits imaginaires contre l’exploitation sexuelle des mineurs. Sa biographie, en fait, est truffée de contradictions et d’invraisemblances. Ce qui est encore plus troublant, comme le relève Mehdi Ba, c’est que son périple ressemble étrangement au sex tour d’un pédophile. Lorsqu’il enquêtait sur le tristement célèbre Club Spartacus, on peut se demander jusqu’où il poussait ses vérifications. Est-il monté dans une chambre avec un enfant, comme il l’a fait au Sénégal, pour tester la réaction de l’hôtelier ?
Peut-on être un héros de l’humanitaire et un pédophile impénitent ? On préférerait ne pas avoir à répondre positivement à cette question.

* Éditions Les Arènes, 420 pages, 20 euros.

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