Et si l’armée battait en retraite ?

Face à la volonté affichée des généraux de s’effacer de la vie politique, les réactions oscillent, selon les courants de pensée, entre satisfaction et embarras.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 4 minutes.

L’interview accordée, le 15 janvier, par le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général de corps d’armée Mohamed Lamari, à l’hebdomadaire français Le Point n’en finit pas de provoquer des remous au sein de la classe politique. L’entretien a permis au patron de l’institution militaire de solder les comptes avec ceux qui, en janvier 1992, avaient sollicité l’armée pour qu’elle intervienne au nom de la défense des valeurs républicaines et empêche les islamistes d’accéder au pouvoir, avant de se faire porter pâles quand les généraux ont été accusés de tous les maux, y compris celui d’avoir orchestré les massacres de villageois.
Notre confrère n’a pas eu le temps de soulever la question que le général Lamari asséna : « L’armée ne s’opposera pas à la victoire d’un candidat islamiste lors de la présidentielle de 2004. » Les premières réactions ont émané non pas d’Alger, mais de Bonn, de Berne et de Johannesburg. Car le Front islamique du salut (FIS), dissous par la justice en mars 1992, n’en est pas moins éclaté en de multiples courants et factions dont les chefs sont tous exilés. Rabah Kébir en Allemagne, Mourad Dhina en Suisse et Ahmed Zaoui en Afrique du Sud se sont réjouis de voir l’armée « comprendre enfin que le dernier mot doit revenir au peuple et non à une oligarchie militaire ». Il s’est même trouvé des islamistes algériens réfugiés à Londres pour saluer « le retour annoncé de la démocratie en Algérie », cette même démocratie qu’ils qualifiaient, il n’y a pas si longtemps, d’hérésie.
Première force de l’opposition légale, les islamistes d’El-Islah (Mouvement pour la réforme nationale, MRN) d’Abdallah Djaballah, la seule formation politique, avec le FLN, à avoir remporté un franc succès lors des consultations électorales de 2002 (législatives et municipales), ont commenté à leur façon les propos du général Lamari. L’engagement de l’armée à respecter le résultat des urnes, même s’il est favorable à un candidat islamiste, est jugé positif par Lakhdar Benkhellaf, membre de la direction d’El-Islah. Qui ne peut s’empêcher cependant de relever que ces propos constituent un aveu implicite : « Ils reconnaissent que, jusque-là, ce sont eux qui cooptaient le président de la République. »
Autre parti islamiste, autres préoccupations. Le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) de Mahfoud Nahnah se félicite, lui aussi, de cette déclaration d’intention. Et espère qu’elle sera suivie d’effet, notamment à travers un amendement de la Constitution. En effet, le leader du MSP avait été écarté de la course à la présidentielle en 1995 et en 1999 en vertu d’un article de la Loi fondamentale qui impose à tout candidat âgé de plus de 20 ans au 5 juillet 1962 de présenter une attestation certifiant qu’il a participé à la guerre de libération. Né en juin 1942, Nahnah ne dispose pas de ladite attestation et ne peut donc briguer la magistrature suprême. Convaincu que les propos du général Lamari ouvrent la voie à la révision de ce point de la loi électorale, le MSP envisage de mobiliser ses élus afin de l’obtenir.
Groggy, le camp des démocrates s’est abstenu de tout commentaire. Ayant boycotté les derniers scrutins en date, les ex-communistes du Mouvement pour la démocratie sociale (MDS, de Hachemi Cherif) et les centristes de l’Alliance nationale républicaine (ANR, de l’ancien Premier ministre Réda Malek) ont un poids virtuel dans l’échiquier politique algérien. Embarrassé par les propos du général Lamari, handicapé par leur absence dans les institutions locales ou nationales, le pôle des républicains est en quête d’une assise populaire. Il mise sur la récupération des arch, ces comités de villages qui ont pris la tête de la protestation kabyle et se sont autoproclamés « mouvement des citoyens ». Miné par des dissensions, ledit mouvement est en perte de vitesse. Ses actions mobilisent de moins en moins, et son rejet systématique des offres de dialogue lancées par le gouvernement d’Ali Benflis rappelle le radicalisme du FIS à la fin des années quatre-vingt. C’est sans doute pour cette raison que le mouvement n’a jamais débordé la seule Kabylie. En somme, le pôle des républicains mise une nouvelle fois sur le mauvais cheval.
Pour tenter de faire oublier sa participation aux gouvernements successifs de l’ère Bouteflika, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Saïd Sadi) a sombré dans la surenchère kabyle et parraine, à visage découvert, le jusqu’au-boutisme des arch. Échaudé par le bilan catastrophique de sa politique de boycottage des législatives et des municipales, le RCD participera sans doute au scrutin de 2004 en investissant son président, Saïd Sadi, histoire de ne pas laisser le terrain au seul Front des forces socialistes (FFS, de Hocine Aït Ahmed). Le plus vieux parti d’opposition (il a été créé en 1963) a su tirer profit de la crise kabyle en jouant le jeu démocratique, à travers sa participation aux élections locales du 10 octobre, tout en évitant toute compromission avec le pouvoir. D’ailleurs, la réaction de ce parti aux propos du général Lamari est atypique. Ikhlef Bouaïche, porte-parole du FFS, a estimé que la question de fond n’est pas tant le respect par l’armée de l’engagement pris que l’étendue des prérogatives du président de la République.
Quant aux deux formations nationalistes du champ politique algérien, elles se murent dans un silence assourdissant. Celui qui sied à la veille d’assises importantes. Le Front de libération nationale (FLN, d’Ali Benflis) et le Rassemblement national démocratique (RND, d’Ahmed Ouyahia) préparent tous deux leur congrès, prévus au cours du premier semestre de 2003. Des congrès où il sera question d’investiture pour l’échéance de 2004.
Moralité de l’histoire : l’armée a beau affirmer qu’elle veut retourner dans les casernes, la classe politique lui fait troquer l’uniforme pour la redingote du chef d’orchestre. C’est pratique : un maestro est toujours responsable en cas de cacophonie.

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