Et après ?

Publié le 4 février 2003 Lecture : 3 minutes.

«Je parlerai lorsque j’aurai des choses apaisantes à dire. » Cette petite
phrase de Laurent Gbagbo à l’un de ses interlocuteurs français qui s’inquiétait, le 30 janvier, depuis Paris, du silence prolongé du président ivoirien, n’a rien fait pour faciliter notre tâche. À tort ou à raison, l’allocution post-Marcoussis de Gbagbo, savamment retardée par son auteur, qui s’y entend pour jouer sur les nerfs de l’ex-puissance coloniale, était devenue le point d’orgue d’une
semaine folle, et voilà que nous devions « boucler » en ce dernier jour de janvier avant même qu’il ne l’ait prononcée ! Vous ne trouverez donc pas, dans les pages qui vont suivre, une analyse des mots et des phrases d’un discours qui, probablement,
aura été énoncé alors que vous lirez ces lignes. Ni le récit des heures de
fièvre et de violence qui on peut le craindre auront précédé, suivi et peut-être occulté cette intervention. Tout dérape si vite, désormais, en Côte d’Ivoire ! Mais vous y trouverez l’essentiel : les dessous et les enjeux de huit jours qui ont captivé,
ébranlé, parfois enflammé la Côte d’Ivoire et une bonne partie de l’Afrique
de l’Ouest.
Dieu sait pourtant si les mots et les phrases ont dans cette affaire une importance capitale, tout comme les susceptibilités, le protocole, les histoires de face et d’honneur, de dosage et de préséance. Au point de recouvrir ce qui compte. En dix-sept semaines de crise ouverte, la Côte d’Ivoire a profondément changé. On a suffisamment glosé, à juste titre, sur tous les aspects régressifs de ce changement – notamment dans les domaines économique et social – pour ne pas y revenir ici. On pourrait même aller plus loin dans le pessimisme, évoquer la fascination de toute une partie de la jeunesse ivoirienne exclue du savoir, du pouvoir et de l’argent, pour des aventures de pillage et de haine. Voire annoncer, dans la foulée de l’accord de Marcoussis et du sommet de l’avenue Kléber, un retour du temps des protectorats et de la souveraineté limitée. Se lamenter à l’infini sur la « vitrine brisée » et la stabilité passée du « modèle » érigé par Houphouët ne sert pourtant à rien.
Car la crise actuelle, à la faveur de laquelle apparaît en croissance accélérée toute une génération de leaders politiques, hier quasi inconnus mais qui feront la Côte d’Ivoire de demain lorsque, volontaires ou forcés, les héritiers du « Vieux » auront passé la main, était sans doute inévitable. Les problèmes non résolus qui en sont la cause et qu’elle a fait apparaître sont en effet anciens : qui est ivoirien ? Qui peut acquérir la terre ? Où va l’argent de la filière café-cacao ? Quelles sont les vraies conséquences et les vraies contraintes de la démocratisation ? Quelle cohabitation entre Ivoiriens et étrangers ? Quel rôle peuvent, et surtout doivent, jouer la France et sa communauté d’expatriés ? On peut certes regretter que les armes aient été le mode d’expression de ce corpus éminemment politique, étouffé depuis plus de dix ans par une classe politique ivoirienne collectivement irresponsable. Mais il fallait bien un jour que saute le couvercle de la marmite et que son contenu s’étale sur la table. C’est fait, désormais. Et ce à quoi nous assistons ne relève ni du retour des vieux démons, ni de la déliquescence d’un État, mais des soubresauts obligés, souvent dramatiques, parfois salutaires, par lesquels se construit toute modernité. Une nouvelle Côte d’Ivoire, en somme, est en train de naître sous nos yeux.

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