Des Grands Lacs à la lagune Ébrié

Publié le 4 février 2003 Lecture : 3 minutes.

«Ma ligne de conduite est simple : empêcher les vainqueurs de tout prendre et les vaincus de tout perdre. » C’est en ces termes que s’exprimait Ahmedou Ould Abdallah, en 1994, alors qu’il représentait le secrétariat général de l’ONU au Burundi. C’est cette doctrine qu’il devrait s’efforcer de mettre en application à Abidjan, où le Comité de suivi de l’accord de Linas-Marcoussis, dont il assure la présidence, va établir ses quartiers.
La conférence des chefs d’État, qui s’est tenue à Paris les 25 et 26 janvier, a confirmé la mise en place d’un aréopage « chargé de surveiller l’exécution des dispositions prévues par l’accord », et qui « aura pouvoir de saisir toutes autorités, nationales, régionales et internationales, des cas d’obstruction et de défaillance, afin que les mesures appropriées soient prises ». Le comité « aura en particulier le pouvoir d’évoquer les manquements auprès du Conseil de sécurité des Nations unies… ». C’est donc une lourde responsabilité qui échoit à celui qui fut ministre du Commerce, puis des Affaires étrangères de la Mauritanie, dans les années soixante-dix.
À 63 ans, Ahmedou Ould Abdallah a conquis ses galons de haut fonctionnaire international. En 1984, il rejoint les Nations unies comme coordonnateur spécial pour l’Afrique et les pays les moins avancés (PMA). De novembre 1993 à octobre 1995, il est plongé au coeur du bourbier des Grands Lacs, affecté à Bujumbura. De 1996 à 2002, Ould Abdallah exerce les fonctions de secrétaire exécutif de la Coalition mondiale pour l’Afrique (CMA), une organisation intergouvernementale chargée d’encourager les réformes institutionnelles, économiques et politiques et de réfléchir aux modes de prévention des conflits sur le continent. En septembre dernier, Kofi Annan en fait son représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest.
Son retour sur le terrain n’est en rien une sinécure pour ce diplomate expérimenté. Ce ne sont pas les crises qui manquent dans cette partie du continent. Et à peine a-t-il entamé sa mission qu’il se trouve confronté au basculement dans la violence du pays qui faisait figure de havre de paix dans une région tourmentée. Veiller à ce que les délégués ivoiriens de la table ronde de Marcoussis respectent tous leurs engagements, tel est le défi que doit relever aujourd’hui l’homme de l’ONU.
Mais l’oeuvre sera collective. Le Comité de suivi comprend une dizaine d’autres membres représentant la Cedeao, l’Union africaine, l’Union européenne, le FMI, la Banque mondiale, les pays du G8 et l’Organisation internationale de la Francophonie. L’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, Gildas Le Lidec, et un conseiller militaire représentant les pays apportant leur concours à la sécurisation du dispositif de sortie de crise, complètent l’équipe. Installé au plus près des événements, le Comité devra juger de la conformité des actes du président Gbagbo, de l’homme de la transition Seydou Diarra et des rebelles, devenus Forces nouvelles, aux intentions affichées dans la banlieue parisienne.
Ahmedou Ould Abdallah est-il en mesure de mener à bien sa mission ? Son parcours plaide pour une réponse affirmative. En tant que secrétaire exécutif de la Coalition mondiale pour l’Afrique, il a multiplié les voyages sur le continent et connaît bien les rouages du pouvoir, en particulier en Afrique de l’Ouest. Quant à officier en situation de conflit, la Côte d’Ivoire ne sera pas son baptême de feu. Ould Abdallah a été nommé au Burundi au lendemain de l’assassinat du président Melchior Ndadaye. En avril 1994, il était à quelques encablures de Kigali, en proie à l’ivresse génocidaire. Il avait alors réussi à éviter le pire à Bujumbura. Et à défendre quelque peu l’image d’une ONU amorphe pendant que se déchaînait la violence au Rwanda.
« Le fait d’être mauritanien m’aide beaucoup : quand je suis au Burundi, je loge à l’hôtel, je ne socialise avec personne, donc avec aucun camp, et je refuse toutes les invitations : l’austérité est chez nous une seconde nature. Et puis, les coups de feu ne me font pas peur… » Tels étaient les propos que tenait Ahmedou Ould Abdallah en 1994. Sur les bords de la lagune Ébrié, il sera certainement moins « étranger » qu’il ne le fut à Bujumbura. Il faut espérer qu’il aidera les Ivoiriens à restaurer une paix durable dans leur pays. Aux antipodes de la guerre larvée qui continue de ronger le Burundi, sept ans après la fin de sa mission.

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