Ces médecins venus d’ailleurs…

Les praticiens étrangers bénéficient rarement des mêmes avantages que leurs collègues. Ils sont pourtant indispensables au fonctionnement de l’hôpital.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Dix mille médecins étrangers, souvent originaires du Maghreb, travaillent dans les hôpitaux français. Sous-payés, précarisés, ils ne jouissent pas de la considération qu’ils méritent et ont parfois le sentiment de n’être bons qu’à boucher les trous. Si certains, brillants ou chanceux, ont réussi à passer les écueils des concours de titularisation, les autres, deux mille cinq cents à ce jour, restent confinés dans un « sous-statut » d’attachés associés. Pour eux, la galère continue…
Au début des années quatre-vingt-dix, beaucoup d’étudiants, algériens en premier lieu, ont souhaité rester en France au terme de leur spécialité. Des praticiens formés en Europe de l’Est les ont rejoints après la chute du rideau de fer. En théorie, un médecin qui ne possède pas un diplôme français ou européen n’a pas le droit d’exercer sans l’agrément du Conseil de l’ordre. En pratique, il existe mille façons de s’arranger. Manquant de bras, les hôpitaux ont commencé à recourir massivement aux vacataires, notamment étrangers. Les « attachés associés » sont les pigistes de la médecine. Avec un maximum de onze vacations hebdomadaires, chacune payée 44 euros (brut), ils sont révocables à volonté et, n’étant pas salariés, ne peuvent prétendre aux congés payés. Ces stakhanovistes des gardes de nuit (les Français rechignent de plus en plus à en assurer), touchent 195 euros (brut) par garde, contre 237 euros pour leurs confrères. « Le recours aux attachés associés est à la limite de la légalité, déplore Karine Piganeau, journaliste au Quotidien du médecin, dans la mesure où l’ordre des médecins ne les a pas toujours autorisés à exercer en France. Ils ne sont donc pas forcément couverts en cas d’erreur médicale avérée. Heureusement, le cas ne s’est pas encore présenté. »
La situation réglementaire des médecins étrangers a connu un début d’amélioration à partir de 1995, date de la création de la fonction de praticien adjoint contractuel (PAC). Les attachés associés justifiant de sept ans de pratique en France (condition ramenée ultérieurement à trois ans) ont été autorisés à passer un examen d’aptitude. À la clé, un contrat de trois ans renouvelable et une rémunération plus attrayante : 2 148 euros (brut) mensuels. Pourtant, l’accueil a été mitigé. « Un statut, c’est mieux que rien, mais le PAC institue une discrimination injuste, explique un docteur algérien. L’examen présente le même degré de difficulté que le concours de praticien hospitalier (PH). Un PAC assume les mêmes fonctions et endosse les mêmes responsabilités qu’un PH, mais son salaire est inférieur de 45 %. » Cinq mille six cents attachés associés ont réussi à décrocher le sésame. Mais, faute de crédits, les créations de poste n’ont pas suivi : seuls 1 800 ont trouvé une affectation.
Frustrante dans ses modalités d’application, la réforme a au moins eu le mérite de conférer une existence juridique aux étrangers. Un Syndicat national des praticiens hospitaliers contractuels (SNPAC) s’est rapidement constitué. Fort de ses 4 000 adhérents, il s’est imposé comme un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, et notamment de Bernard Kouchner, le ministre de la Santé du gouvernement Jospin. À l’actif de celui-ci, une loi offrant aux PAC la possibilité de se présenter au concours de praticien hospitalier (PH). Ce statut est beaucoup plus avantageux, puisqu’il débouche sur une titularisation définitive et un salaire de 4 013 euros (brut) en début de carrière. Deux mille PAC ont passé avec succès les épreuves, mais, une fois encore, les créations de postes n’ont pas suivi : seuls 700 lauréats ont reçu une affectation. Les postes vacants existent, mais ils ne sont pas situés dans les zones où travaillent les PAC…
L’hôpital s’est donc ouvert, certes avec réticence, aux médecins étrangers. Les syndicats ont arraché des concessions et se battent à présent pour l’abolition des dispositions discriminatoires qui subsistent. Objectif final : la transformation des PAC en PH. En attendant, ils militent pour un alignement salarial et l’extension aux PAC de la prime annuelle de 5 400 euros réservée aux PH exerçant à temps plein dans le public. Ils demandent aussi que les médecins étrangers aient la possibilité d’ouvrir un cabinet privé. Après trois ans en tant que PAC ou six ans comme attaché, assistant ou interne, un étranger en a certes le droit, mais seulement comme généraliste. Pour les spécialistes, c’est beaucoup plus compliqué : il leur faut solliciter une autorisation auprès des commissions spécialisées du Conseil de l’ordre. Or celles-ci ne sont délivrées qu’au compte-gouttes. Et, en anesthésie ou en radiologie, l’avis est systématiquement défavorable. Réflexe corporatiste, sans doute…
Reste enfin un certain nombre de problèmes en suspens. Rien n’est prévu pour intégrer les nouveaux arrivants. Les pouvoirs publics savent que l’hôpital va manquer de médecins, mais peinent à définir une stratégie cohérente (voir encadré). Résultat, les derniers arrivés ne se voient proposer que des vacations. Décidément, l’histoire est un éternel recommencement. En outre, le cas des quelque 2 500 vacataires déjà installés (les attachés associés) n’est toujours pas réglé. Beaucoup ont été recalés aux épreuves du PAC. « Il y a de très bons médecins étrangers, il y en a aussi de mauvais qu’on utilise faute de mieux. On ne peut pas leur dire « maintenant, rentrez chez vous, vous n’avez pas le niveau ». Les gens du SNPAC sont conscients du problème, mais personne n’a la solution », estime un observateur. Bien sûr, tout le monde n’est pas de cet avis. « Les spéculations sur la médiocrité des recalés sont un peu légères, juge Mourad Kernane, radiologue à l’hôpital Saint-Michel. Avec des conditions de travail aussi épuisantes, je ne vois pas comment ils pourraient trouver le temps de préparer correctement un examen. C’est déjà un miracle que tant d’étrangers aient réussi le PAC ! »

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