Au front et au moulin…

Depuis le début de la guerre, Simone Gbagbo est en première ligne. Militante dans l’âme, la première dame galvanise les foules. Sans s’éloigner des hautes sphères du pouvoir, où elle joue un rôle clé auprès du chef de l’État.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Si nos hommes vont à Paris pour prendre des décisions qui ne nous satisfont pas, à leur retour, ils ne nous trouveront pas dans leur lit », déclarait, à la mi-janvier, Simone Gbagbo, lors d’un rassemblement de femmes « patriotes », à Abidjan. Destiné aux leaders politiques en route pour la table ronde de Marcoussis, l’avertissement a, visiblement, porté. Si l’on en juge par le rejet par l’armée et plusieurs grandes formations politiques (il s’agit, notamment, du Front populaire ivoirien, du Parti démocratique de Côte d’Ivoire et de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire) de la décision, prise à Paris, d’attribuer, au sein du futur gouvernement de réconciliation nationale, les portefeuilles de la Défense et de la Sécurité aux insurgés du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI).
Depuis le début du conflit, la première dame va d’une caserne à l’autre pour porter la bonne parole et le réconfort aux familles des soldats et des gendarmes massacrés dans le Nord ou tués au combat. Elle organise des séances de prière collective pour le retour de la paix dans son pays, fait régulièrement entendre sa voix et même, parfois, sa différence, à la radio et à la télévision. Comme pour bien montrer à ceux qui en doutent encore qu’elle est tout sauf l’ombre chinoise de son mari. De l’avis général, Simone est, à elle seule, une « République autonome », qui a su batailler ferme pour se hisser à la place qui est aujourd’hui la sienne.
Elle sait, en tout cas, mieux que quiconque souffler le chaud et le froid. Ainsi, le 9 novembre 2002, appelle-t-elle les soldats à la mobilisation générale pour bouter dehors l’ennemi. C’était lors d’une visite de travail à Bondoukou, dans l’est du pays, au terme de laquelle elle laissera à ses hôtes sa contribution personnelle à l’effort de guerre : 40 sacs de riz, 50 bouteilles d’huile, 240 boîtes de tomate, 2 tonnes d’ignames et 4 boeufs. Deux semaines plus tard, la voilà appelant, contre toute attente et citations bibliques à l’appui, « à la réconciliation avec les assaillants » : « Dans la vie, il faut savoir prendre de la hauteur, lâche-t-elle devant les étudiants déplacés de guerre de Bouaké et de Korhogo réunis pour la circonstance à l’hôtel communal de Cocody. Il faut travailler à la réconciliation des groupes ethniques et religieux. La Côte d’Ivoire doit être un modèle. C’est à nous de montrer la voie pour sortir de la guerre. En attendant, il faut rendre grâce à l’Éternel qui donne la victoire et la sécurité. »
Députée d’Abobo, une agglomération de la banlieue d’Abidjan, présidente du groupe parlementaire du Front populaire ivoirien (FPI), à la tête du cabinet de « première dame » créé pour elle au palais, où elle s’occupe également des « relations privées » du chef de l’État, « Simone », comme tout le monde l’appelle, a une idée précise de son rôle auprès de Laurent Gbagbo. « Chaque première dame crée son propre style, en fonction de sa personnalité, de ses goûts, de ses propres ambitions, des rapports qu’elle entretient avec son mari, confiait-elle il y a deux ans au quotidien national Fraternité Matin. Moi, je rêve d’un pays où les femmes disposent des mêmes opportunités que les hommes, il n’y a pas de misère, où les enfants vont à l’école, trouvent un emploi à la fin de leurs études, un pays où l’on peut se soigner décemment et où la créativité des uns et des autres peut librement s’exprimer. Je rêve de faire de la Côte d’Ivoire un pays moderne, comme on en trouve en Europe, en Amérique ou en Asie. C’est ainsi que j’assume mon rôle aux côtés de mon époux. »
Simone est, avant tout, une militante, une habituée des pugilats politiques, une amazone qui aime s’habiller et manger « africain. » Tout le contraire, en somme, d’une Thérèse Houphouët-Boigny, plus à l’aise dans les dîners mondains ou au casino, d’une Henriette Boizan Komo Bédié, assidue aux grands couturiers et aux instituts de beauté, ou même d’une Rose Doudou Gueï, qui passait pourtant pour une femme de caractère. « Simone ne fait pas tapisserie, elle cause. Et son mari ne semble guère s’en offusquer », raconte un vieil ami du couple.
De fait, Simone Ehivet Gbagbo a connu, tôt, les aléas de la vie et la souffrance. Elle perd sa mère en venant au monde, le 20 juin 1949. Enfant, elle sillonne la Côte d’Ivoire avec ses dix-huit frères et soeurs, au gré des affectations d’un père gendarme qui finit par s’établir à Grand-Bassam, près d’Abidjan, pour que sa progéniture puisse suivre des études. En mars 1996, elle échappe de peu à la mort après un grave accident de la circulation. Elle a connu la prison, les privations…
Pendant ses années de collège, puis plus tard au lycée technique d’Abidjan, cette championne scolaire de saut en hauteur milite à la section féminine de la Jeunesse estudiantine catholique (JEC-F), qu’elle dirigera de 1967 à 1971. Admiratrice de Patrice Lumumba et de Kwame Nkrumah, elle fait de l’agit-prop sur le campus de l’université d’Abidjan, tout en préparant un doctorat de troisième cycle en littérature orale. Sa thèse porte sur « le langage tambouriné chez les Abourés ». Elle flirte avec le marxisme, fait de la lutte contre l’injustice son cheval de bataille et, pour échapper à la répression, adopte un nom d’emprunt, « Adèle ».
À partir de 1972, elle participe ainsi, avec une poignée de camarades, tous de sexe masculin, aux réunions d’un mouvement clandestin dénommé « l’Organisation », en fait l’embryon du futur Front populaire ivoirien. En 1973, « Adèle » fait la connaissance de « Petit Frère », un des multiples noms de code de Laurent Gbagbo, qui l’épousera en secondes noces. Simone a déjà trois filles : Patricia, Marthe et Antoinette. Laurent a, de son côté, Michel, dont la mère est française, ainsi qu’une petite fille. Par la suite, le couple donnera naissance à des jumelles, Gado et Popo, qui étudient depuis plusieurs années aux États-Unis.
De 1982 à 1988, Laurent Gbagbo, accusé par le président Félix Houphouët-Boigny d’alimenter la subversion, est persona non grata en Côte d’Ivoire. L’ambitieuse Simone, alors secrétaire générale adjointe du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement (Synares), hérite tout naturellement du secrétariat général du FPI, toujours non autorisé, qu’elle n’abandonnera qu’en 1987. Quelques mois avant le retour au bercail, le 13 septembre 1988, de la « brebis égarée », Laurent Gbagbo.
Elle poursuit une carrière d’universitaire à l’Institut de linguistique, mais trouve le temps de s’occuper de sa famille et du parti, dont elle sera tour à tour la secrétaire chargée des finances et de la formation politique (1988-1990), puis la secrétaire générale adjointe chargée de la formation politique. Elle connaîtra les intimidations, la bastonnade et la prison, sans jamais abdiquer ses convictions. « À l’époque, je n’étais pourtant aux yeux des gens que « la femme de Gbagbo qui aurait mieux fait de rester à la cuisine » », raconte-t-elle.
Ses colères, sa boulimie du pouvoir, ses écarts de langage et son franc- parler lui valent beaucoup d’inimitiés. Ces adversaires, à l’intérieur tout comme à l’extérieur du FPI, la jugent cassante, autoritaire, quand ils ne dénoncent pas sa « gestion familiale » du pouvoir, une allusion à la présence active au sein du FPI de plusieurs de ses frères et soeurs, notamment de Victoire Ehivet, également membre du bureau politique. À les en croire, elle serait une sorte de va-t-en-guerre mystique, l’âme damnée du président Laurent Gbagbo, la « cheftaine » d’une cellule occulte d’où partiraient les coups tordus contre certains opposants politiques. Par ailleurs, le nom de son propre officier d’ordonnance figurerait sur une short list confidentielle de responsables présumés d’exactions attribuées au pouvoir établie par les services secrets français.
Vrai ? Faux ? En prête-t-on trop à une femme qui, fidèle à sa nature, ne fait aucun effort pour plaire, n’hésitant pas, comme ce fut le cas récemment, à mettre un journaliste français à la porte d’une réunion qu’elle présidait ? À 54 ans, Simone Ehivet Gbagbo ne cherche même plus à se défendre. Elle assume.

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