Antiaméricanisme primaire ?

Un ancien fonctionnaire du département d’État tire à boulets rouges sur l’Amérique de George Bush. Politiquement incorrect.

Publié le 4 février 2003 Lecture : 4 minutes.

«Si j’étais président, je ferais cesser en quelques jours les attaques terroristes contre les États-Unis. Définitivement. D’abord, je présenterais mes excuses à toutes les veuves, aux orphelins, aux personnes torturées, à celles tombées dans la misère, aux millions d’autres victimes de l’impérialisme américain.
« Ensuite, j’annoncerais aux quatre coins du monde que les interventions américaines dans le monde sont définitivement terminées, et j’informerais Israël qu’il n’est plus le 51e État des États-Unis, mais dorénavant – chose curieuse à dire – un pays étranger. Et puis, je réduirais le budget militaire d’au moins 90 %, utilisant le surplus à payer des réparations aux victimes. Ce serait plus que suffisant. Le budget militaire d’une année, soit 330 milliards de dollars, équivaut à plus de 18 000 dollars de l’heure depuis la naissance de Jésus-Christ. Voilà ce que je ferais les trois premiers jours. Le quatrième jour, je serais assassiné. »
L’auteur de ces lignes n’est pas un militant altermondialiste. C’est un ancien fonctionnaire du département d’État qui a essayé de répondre à la question suivante : « Pourquoi les terroristes harcèlent-ils les États-Unis ? »
Voici sa réponse : « La plupart des terroristes sont des gens concernés par l’injustice et l’hypocrisie sociale, politique ou religieuse, qu’ils voient autour d’eux. Et la base de leur terrorisme est souvent une riposte à l’action des États-Unis… »
Dans cet ouvrage, dont la version originale intitulée Rogue State : A Guide to the World’s only Superpower a été publiée en 2001, à compte d’auteur, l’ancien fonctionnaire dresse le bilan des actions terroristes menées par son pays aux quatre coins du monde. Cherchant à témoigner des errements d’une superpuissance qui, sous prétexte de défendre la liberté, la démocratie et les droits de l’homme, n’hésite pas à attaquer les pays qui s’opposent à ses desseins, il rappelle certaines interventions américaines au Moyen-Orient : destruction en vol de deux avions libyens en 1981 ; bombardement de Beyrouth en 1983 et 1984 ; bombardement de la Libye en 1986 ; bombardement d’un navire iranien en 1987 ; destruction d’un avion de ligne iranien en 1988 ; destruction de deux avions libyens en 1989 ; bombardements de l’Irak en 1991 ; poursuite des bombardements et des sanctions contre ce même pays ; bombardements du Soudan et de l’Afghanistan en 1998 ; soutien à Israël, malgré son bellicisme et sa pratique de la torture, etc.
« Voici quelques-unes des actions américaines qui peuvent transformer un Arabe ou un musulman en fanatique, en terroriste », écrit William Blum. Qui cite aussi la conclusion d’une étude réalisée par le Pentagone en 1997 : « Les données historiques montrent une forte corrélation entre l’engagement américain sur la scène internationale et l’accroissement des attentats terroristes contre les États-Unis. » Nous retrouvons la même analyse dans un article publié en 1989 par l’ancien président Jimmy Carter dans le New York Times. « Nous avons envoyé des marines au Liban, et il suffit d’aller au Liban, en Syrie ou en Jordanie pour constater la haine intense que beaucoup de gens éprouvent pour les États-Unis, parce que nous avons bombardé et tué sans merci des villageois innocents – femmes, enfants, fermiers, ménagères – dans les villages autour de Beyrouth… Résultat : nous sommes devenus une sorte de Satan. C’est ce qui a précipité les prises d’otages et quelques-unes des attaques terroristes – qui étaient tout à fait injustifiées et criminelles », a notamment écrit le Prix Nobel de la paix 2002.
S’inscrivant en faux contre l’allégation selon laquelle « les États-Unis sont visés à cause de leur liberté, de leur démocratie, de leur richesse », William Blum passe en revue tous les crimes commis directement ou indirectement par les États-Unis à travers le monde. Cela va de l’assassinat ou de l’enlèvement des leaders politiques étrangers à l’invasion militaire de territoires indépendants, en passant par le renversement de gouvernements de nations souveraines, l’assistance à certaines dictatures, le trucage d’élections, l’utilisation d’armes chimiques contre des populations civiles, la manipulation médiatique, l’espionnage, etc.
Il est extrêmement difficile, pour la majorité des Américains, et même pour les mieux informés d’entre eux, d’accepter l’idée que les actes terroristes contre leur pays puissent être considérés comme une vengeance. Et pour cause : « Les États-Unis sont bons. Nous essayons de faire partout de notre mieux », dixit l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright (Washington Post, 23 octobre 1999).
Cet angélisme – qui serait risible s’il n’était meurtrier – se retrouve dans les paroles du sénateur Joseph Lieberman, qui a déclaré au Guardian : « Ce n’est pas seulement l’Amérique qui a été attaquée le 11 septembre, c’est la civilisation. Nous avons été attaqués non en raison de nos vices, mais en raison de nos vertus. » Selon un universitaire américain, Marc W. Herold, qui a fait l’inventaire des victimes tuées par les bombardements en Afghanistan, cette « civilisation » et ces « vertus » dont parle Lieberman ont causé la mort de plus de 3 500 civils afghans durant les trois premiers mois de la « guerre contre le terrorisme ».
Les Américains ont souvent du mal à établir une relation de cause à effet entre les agressions militaires ordonnées par leurs responsables et les attentats terroristes contre leur pays. Les bombardements de l’US Army, en Irak, au Soudan ou en Afghanistan, relèveraient de la légitime défense. Comme l’a fait remarquer le critique des médias Norman Salomon : « Quand les terroristes attaquent, ils terrorisent. Lorsque nous attaquons, nous ripostons. Quand ils répondent à nos ripostes par des attaques supplémentaires, ils terrorisent à nouveau. Quand nous répondons par des attaques supplémentaires, nous ripostons à nouveau. »
La guerre, comme la paix, ne serait-elle qu’affaire de rhétorique ?

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