Tour de manège à Yaoundé

Apparemment, dans le nouveau gouvernement du président Paul Biya, tout bouge pour que rien ne change. À y regarder de plus près, cependant, on décèle un réel souci d’efficacité et de cohésion.

Publié le 2 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Le rituel est toujours le même, réglé comme une partition de musique classique. Des mois et des mois de rumeurs, un communiqué présidentiel lu sans préavis sur les ondes, une capitale en apnée, des entrants, des sortants et des mutés qui apprennent leur grâce ou leur disgrâce par leur chauffeur, leur secrétaire ou le brusque changement d’attitude de leur entourage, et puis des flots, une crue de commentaires qui inondent radio-trottoir et sa consur cravatée, radio-couloir. Vendredi 22 septembre, l’annonce du énième gouvernement de l’ère Biya n’a pas dérogé à ce scénario quasi pavlovien. Il a plu des cordes sur Yaoundé – ce qui peut être interprété comme une bénédiction ou un torrent de larmes, selon que l’on figure ou non sur la liste divine. Les ministres ont été fixés sur leur sort en même temps que les commerçantes du marché central, ou même après – ce qui n’est pas mauvais pour la démocratie et a le mérite de rappeler aux intéressés qu’ils ne sont que poussière. Enfin, le deus ex machina du palais d’Etoudi a eu le bon goût de livrer son verdict à la veille d’un week-end – ce qui a permis aux licenciés de s’enfermer chez eux pour s’abîmer en prières et aux promus de s’adonner à des libations à la mesure de leur soulagement, au rythme des danses, du tam-tam et des bouchons de champagne
Ainsi va le Cameroun, pays où le chef de l’État ne préside que deux ou trois Conseils des ministres par an en moyenne, mais où sa technique de pouvoir – fixer les orientations et vérifier in fine qu’elles sont appliquées, tout en laissant dans l’intervalle les exécutants réussir ou échouer, comme dans une piscine sans maître nageur – fait de chaque remaniement un événement national majeur. Et pour cause : Paul Biya ayant depuis longtemps cessé de communiquer, il n’existe aucun autre baromètre que celui-là pour mesurer fortunes et infortunes, vérifier l’accession de chaque région au banquet et – accessoirement, hélas – s’assurer que les compétences sont de la partie. Résultat : des gouvernements replets guettés par l’obésité (62 ministres et secrétaires d’État dans le cabinet actuel, soit vingt de plus qu’en France !), dont les membres doivent tout au chef et rien aux électeurs (seuls deux ministres sont également députés de la législature en cours) et où les surprises sont finalement assez rares, tant l’impression de chaises musicales et le principe de rotation des élites cher à Paul Biya – et qui lui réussit si bien depuis vingt-quatre ans – y prédominent.
Les Camerounais n’aimant rien tant que de se réjouir des malheurs de leurs politiciens, c’est vers les exclus du 22 septembre que se portent tout d’abord les regards. Si les départs du ministre Benjamin Amama (Fonction publique), au terme d’un long bras de fer avec le Premier ministre Ephraïm Inoni, et celui de Philippe Mbarga Mboa (Jeunesse et Sports), qui solde ainsi les comptes calamiteux des « Lions indomptables », étaient attendus, celui de Pierre Moukoko Mbonjo (Communication) étonne. Brillant, ambitieux, hyperactif, l’ancien poulain des ex-Premiers ministres Sadou Hayatou et Peter Mafany Musonge, qui passa un moment pour l’une des éminences grises du régime, paie, semble-t-il au prix fort, sa gestion, que d’aucuns jugeaient partisane, de la crise au sein de la CRTV (radio et télévision nationales) et le caractère conflictuel de ses relations avec le directeur général de cette société d’État, Ahmadou Vamoulké. Il est remplacé à ce ministère très exposé par un universitaire respecté de 68 ans, Ebenezer Njoh Mouelle, docteur ès lettres, spécialiste de Hegel et sawa du Nkam comme Moukoko Mbonjo, qui fut longtemps son concurrent départemental. L’un des très rares hommes politiques camerounais à tenir un blog sur l’Internet, Njoh Mouelle fut, au début des années 1990, un éphémère secrétaire général du parti au pouvoir avant de connaître une assez longue traversée du désert. Comme quoi, chez Paul Biya, rien ne s’oublie et tout se recycle
À moins, évidemment, d’être inoxydable. Ce qui est apparemment le cas du ministre d’État Léopold Ferdinand Oyono, 77 ans, un proche du président, abonné à la Culture depuis une décennie. Celui, également, d’Ahmadou Ali, 63 ans, aussi indéracinable dans l’Extrême Nord que l’est le « vieux nègre » Oyono à Ebolowa. Garde des Sceaux et vice-Premier ministre, l’homme de Kolofata a conservé une grande simplicité d’abord – ce qui est rare, à ce niveau, au Cameroun. Plus jeune (54 ans), Marafa Hamidou Yaya n’est pas loin de cette catégorie : aussi prudent qu’efficace, Peul jusqu’au bout des ongles, l’enfant de Garoua aura à gérer les prochaines élections législatives de 2007 après avoir réussi la présidentielle de 2004. Il a été reconduit sans sourciller au poste de ministre d’État chargé de l’Administration territoriale. Enfin, Laurent Esso, 64 ans, grand commis du régime Biya depuis vingt ans, réputé pour sa loyauté et sa discrétion, rejoint un palais d’Etoudi qu’il connaît bien pour en avoir dirigé le cabinet civil. Cet originaire de Douala, qui s’est toujours tenu à l’écart des intrigues politiciennes, abandonne son fauteuil de ministre des Relations extérieures à Jean-Marie Atangana Mebara, lequel lui cède celui de secrétaire général de la présidence (avec rang de ministre d’État) qu’il occupait – un poste clé, dont le titulaire tient tout son pouvoir de la fréquence de ses audiences avec le chef de l’État.
Si l’on ajoute à cette revue d’effectifs le fait que le Premier ministre Ephraïm Inoni, 59 ans, anglophone de Limbe, demeure en place – nul, il est vrai, ne le donnait partant -, tout comme Polycarpe Abah Abah à l’Économie et aux Finances (une récompense pour avoir mené le pays au point d’achèvement de l’initiative PPTE – pays pauvres très endettés – et un pied de nez à ses « amis » du gouvernement qui pronostiquaient son embastillement imminent), on est tenté de se dire, comme la majorité des Camerounais, que le « tournez manège » du 22 septembre ressemble à la relève de la Garde devant Buckingham Palace : tout bouge, pour que rien ne change. À y regarder de plus près, pourtant, on y décèle par petites touches un souci d’efficacité et de cohésion louables. La méthode Biya, chacun le sait, relève du pointillisme et du dosage d’alchimiste. Ceux qui attendent de sa part des décisions fracassantes, des coups de balai spectaculaires et des nettoyages au Kärcher risquent de mourir frustrés. Autant pour eux aller se noyer tout de suite dans les eaux glauques du fleuve Wouri.

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