Ségolène, le retour au pays

Visite chargée de symboles pour la présidentiable socialiste, née à Dakar, plus que jamais favorite dans la course à l’investiture après le retrait de Lionel Jospin.

Publié le 2 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Après Nicolas Sarkozy venu en coup de vent, le samedi 23 septembre, signer un accord sur la « gestion concertée des flux migratoires », Ségolène Royal a bouclé, mercredi 27 septembre, une visite de quarante-huit heures placée sous le signe du codéveloppement et du « retour aux sources » : Dakar a donc vu défiler en l’espace de quelques jours les deux plus sérieux postulants à l’élection présidentielle française de l’an prochain. Une « bousculade » qui ne doit rien aux hasards du calendrier : Sarkozy avait initialement prévu de se rendre au pays de la Téranga courant octobre, mais a avancé la date de son voyage pour « griller la politesse » à sa rivale socialiste, dont la venue était calée de longue date. Cet embouteillage n’a pas bouleversé outre mesure l’opinion sénégalaise. Plus encore que le début du mois sacré de ramadan, c’est le retour, dans la soirée du 23 septembre, de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, rentré d’un séjour de cinq mois et demi en France, et l’annonce, dans la foulée, de la création de son parti, dénommé Rewmi (« le pays » en wolof), qui a fait les gros titres des journaux et occupé les conversations.
« Ségolène est une star dans l’Hexagone, mais ici, contrairement à Sarkozy, qui doit sa notoriété à sa politique du Kärcher et des charters, c’est presque une inconnue, commente un journaliste local. Beaucoup de gens ignorent par exemple qu’elle est née et a passé les deux premières années de sa vie à Ouakam, où son père, officier, était basé. » Sauf lors de sa réception à la maison du Parti socialiste, à Colobane, où elle a reçu un accueil fraternel, coloré et chaleureux, orchestré par le Premier secrétaire Ousmane Tanor Dieng, ravi de se retrouver en si belle compagnie, la « madone des sondages » n’a pas déplacé les foules. Mais ce n’était pas son objectif. « Ségolène reste fidèle à sa méthode, la démarche participative, explique son porte-parole, le député Jean-Louis Bianco, ancien secrétaire général de l’Élysée (1981-1988). Elle croit aux vertus du contact direct, de l’écoute, de l’échange. Elle est venue prendre le pouls de la société civile, des associations de femmes, s’imprégner des expériences de terrain. »
Arrivée par le vol d’Air Sénégal International et logée à la résidence de l’ambassade de France, avec sa délégation, qui comprenait, outre Jean-Louis Bianco, Victorin Lurel, député et président de la région Guadeloupe, Gilbert Roger, maire de Bondy, et Safia Otokoré, secrétaire nationale du PS, Ségolène Royal a entamé son séjour par une visite du quartier Rail, un bidonville réhabilité par l’ONG Enda Tiers-Monde, avant d’aller déposer une gerbe au cimetière de Bel-Air sur la tombe de Léopold Sédar Senghor (où elle avait été précédée de quelques jours par Sarkozy !). Une halte symbolique et chargée de sens : les Sénégalais se souviennent avec amertume que Jacques Chirac et Lionel Jospin, les deux têtes de l’exécutif tricolore de l’époque, avaient « oublié » de se déplacer pour les obsèques du poète-président francophile, en décembre 2001. Ségolène Royal s’est ensuite brièvement recueillie devant le monument « Demba et Dupont », érigé à la gloire des tirailleurs africains, avant de s’entretenir, par courtoisie, pendant une soixantaine de minutes, au palais, avec le président Abdoulaye Wade.
Le 27 au matin, après un bref pèlerinage sur son lieu de naissance, à Ouakam, la députée des Deux-Sèvres a fait un crochet par Thiaroye. C’est de cette ville côtière de 70 000 habitants totalement délaissée que partent, chaque mois, des dizaines de pirogues chargées de clandestins. Et c’est là qu’un groupement de femmes, dirigé par la mère éplorée d’un jeune qui s’est noyé pendant une traversée, s’est créé pour inciter les mamans à dissuader leurs enfants d’entreprendre un voyage souvent sans retour. L’initiative, pas banale, a reçu le soutien des marabouts locaux. « La venue de Mme Royal nous touche, nous fait chaud au cur, raconte un professeur. Des dizaines de jeunes qui ont perdu tout espoir dans notre pays disparaissent chaque année dans le ventre de l’océan, et, jusqu’à présent, aucun ministre, aucun Sénégalais, n’a daigné se déplacer et venir nous réconforter et nous aider à trouver des solutions à ce drame. Peut-être viendront-ils, maintenant »
Le voyage de Dakar, qui fait suite à ceux de Madrid, Bruxelles et Stockholm, a été, pour Ségolène Royal, l’occasion de tenter d’affirmer sa stature internationale. Elle a distillé quelques idées, frappées au coin du bon sens, parfois à la limite de la naïveté. Elle a plaidé pour une meilleure prise en compte du rôle des femmes dans le développement, et promis que, « si elle était en responsabilité », la moitié de l’aide au développement irait à des projets montés par des femmes Pleine de bons sentiments, elle a longuement disserté sur les biocarburants et les réchauds à énergie solaire, bien adaptés, selon elle, aux spécificités de la cuisine africaine, « qui mijote plus qu’elle ne bout ». La présidente de Poitou-Charentes s’est aussi livrée à un ardent plaidoyer en faveur du codéveloppement et de la coopération décentralisée. Elle est en revanche restée assez évasive sur la question des régularisations de sans-papiers, thème il est vrai beaucoup moins consensuel.
Ségolène Royal a enfin affiché son scepticisme quant aux résultats concrets de plus de quatre décennies d’aide publique au développement, et s’est montrée très critique au sujet de « l’évaporation des fonds », qu’elle a estimée entre 20 % et 80 % du total. Elle s’est prononcée pour une refonte des procédures – trop bureaucratiques – de l’aide. Celle-ci devra s’inscrire davantage dans une optique participative et être décidée en étroite concertation avec les bénéficiaires. « Il n’est pas question de supprimer toute conditionnalité, et de sacrifier les droits de l’homme sur l’autel de la coopération, explicite Jean-Louis Bianco. Mais il est certain qu’il y a aujourd’hui trop de conditionnalités et que le terme bonne gouvernance est fréquemment dévoyé, et recouvre souvent une vision néolibérale dont nous pouvons observer les ravages en Afrique depuis vingt ans. »
Prolixe et originale sur l’aide et la coopération, Ségolène est en revanche restée étrangement muette sur les grandes questions de politique étrangère. Pas un mot sur la relation franco-africaine, pas un mot sur la Côte d’Ivoire : ceux qui espéraient que la halte africaine permettrait de lever un coin du voile sur la doctrine diplomatique de la présidentiable socialiste sont restés sur leur faim. « Vous autres, journalistes, êtes trop pressés, explique-t-on dans son entourage. Ségolène trace sa route, elle a évidemment réfléchi à ces problèmes, elle travaille sur des pistes. Nous avons tous conscience, par exemple, que les accords de défense signés avec les pays africains devront un jour ou l’autre être remis à plat, car leurs ambiguïtés peuvent placer nos soldats dans des positions délicates et même dangereuses. Mais il est bien trop tôt pour en parler. Chaque chose en son temps » Nous n’en saurons pas plus

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires