Madrid met le holà

Sous la pression de la droite, et de l’opinion, le gouvernement espagnol décide de durcir sa politique à l’égard des clandestins.

Publié le 2 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Miguel Ramírez emmène régulièrement sa femme et sa fille se détendre sur la grande plage de Canos de Mecca, à l’entrée du détroit de Gibraltar. Par beau temps, il distingue aisément la côte marocaine à une vingtaine de kilomètres de là. « L’Afrique est vraiment à deux pas. Il n’est pas étonnant que ses habitants cherchent à venir chez nous, explique-t-il. L’année dernière, un clandestin malien, complètement démuni et dépenaillé, m’a arrêté sur le bord de la route et m’a demandé de le conduire dans une ville où il pourrait trouver du travail. »
Comme la majorité de ses compatriotes – 62 % selon le dernier sondage Ipsos/Expansion -, ce père de famille sévillan éprouve de la compassion pour les immigrants qui tentent d’entrer en Europe au péril de leur vie sur des embarcations de fortune. Cela dit, les vagues successives d’arrivées de sans-papiers en provenance du sud du Sahara inquiètent l’opinion publique espagnole et sont un casse-tête pour les dirigeants du pays. Il ne se passe pas un jour sans que la presse nationale ne relaie le destin tragique des immigrants qui échouent aux Canaries et n’évoque l’incapacité des autorités à enrayer ce phénomène. Une aubaine pour le Parti populaire (PP, droite), qui pointe du doigt « le laxisme gouvernemental ». Son président, Mariano Rajoy, a demandé à José Luis Rodríguez Zapatero de reconnaître publiquement ses erreurs et d’adopter une loi interdisant toute régularisation massive. Le successeur d’Aznar à la tête du PP espère ainsi séduire ses compatriotes, qui, à 67 %, considèrent que l’Espagne a accueilli trop d’étrangers ces dernières années. Leur nombre est passé de 300 000 à quelque 3,8 millions entre 1996 et 2006.
Les immigrés, principalement marocains, latino-américains et ressortissants des pays d’Europe de l’Est et du sud du Sahara, se sont jusqu’ici facilement intégrés à une économie florissante. La croissance espagnole, supérieure à celle de la plupart des pays européens, s’est traduite par une baisse du chômage (moins de 8 %). Une grande partie des emplois occupés par les clandestins relèvent cependant de l’informel, notamment dans les travaux publics, l’agriculture et les services. Dopée par le boom immobilier et touristique au sud de l’Espagne, l’économie souterraine fait appel aux sans-papiers, qui passent d’un chantier à l’autre, et aux femmes, employées dans l’hôtellerie et la restauration, sans leur assurer aucune couverture sociale.
Madrid dispose d’un arsenal juridique lui permettant de sévir contre le travail illégal, mais les autorités ont jusqu’à présent fermé les yeux pour ne pas freiner l’essor économique. Le gouvernement Aznar a tout de même régularisé près de 500 000 clandestins en 2000 et 2001, imité par celui de Zapatero, qui a fourni des papiers à 580 000 immigrants irréguliers lors d’un processus qualifié d’« exceptionnel » en 2005. Encouragés, les candidats au voyage se font du coup de plus en plus nombreux. Une dynamique inacceptable pour une majorité d’Espagnols attachés à leurs traditions et tolérant de moins en moins les effets de l’immigration : cohabitation avec des pratiques religieuses et des cultures différentes, progression de la mendicité, montée de l’insécurité, développement de la prostitution…
Les autorités font également leurs comptes : les immigrés régularisés coûtent plus à l’État qu’ils ne lui rapportent en termes de rentrées fiscales. Le chômage des étrangers représente actuellement 59 millions d’euros par an (+ 33 % par rapport à 2005). Enfin, face à l’augmentation des jeunes immigrés en âge d’être scolarisés, les pouvoirs publics ont de plus en plus de mal à assurer les prestations éducatives. Dans la région de Madrid, les élèves d’origine étrangère représenteraient 11 % du total, soit dix fois plus qu’en 1995.
Des arguments que ne manquent pas de mettre en avant les barons de la droite à moins d’un an des élections municipales et régionales. Ils proposent de modifier la législation sur l’immigration en substituant aux régularisations des permis de travail temporaires en fonction des besoins saisonniers. La droite souhaite, en outre, que l’aide au développement soit accordée prioritairement aux États africains qui se dotent de moyens efficaces pour lutter contre la migration de leurs citoyens.
Soucieux d’apaiser les débats, les cadres du PSOE (gauche) invitent le PP à signer un pacte national sur l’immigration. Ils ont, par ailleurs, radicalement durci leur discours pour calmer les craintes des citoyens. « Pas un sans-papiers de plus. Notre marché du travail ne peut plus les absorber L’immense majorité des quelque 800 000 étrangers en situation irrégulière devront être expulsés », a déclaré le secrétaire général du parti, José Blanco, au quotidien El País. En fait, les socialistes tentent de trouver une nouvelle voie entre fermeté et solidarité. Miguel Angel Moratinos, le ministre des Affaires étrangères, prône une approche prévoyant la coresponsabilité des pays d’origine, de transit et de destination finale. Partisan d’un renouveau de la politique africaine de l’Espagne, il suggère d’augmenter l’aide pour accompagner les efforts diplomatiques. La coopération espagnole a ainsi récemment accordé près de 213 millions d’euros de crédits pour des projets d’équipements médicaux, d’électrification, de contrôle aérien et de système de désalinisation à plusieurs États (Algérie, Maroc, Kenya et Ouganda). Enfin, Madrid tente de promouvoir le développement sur le continent en favorisant les partenariats d’entreprises entre opérateurs ibériques et africains. La Compagnie pour le financement du développement, sous la tutelle du secrétariat d’État au Tourisme et au Commerce, propose une aide aux entreprises à travers des prestations, des participations de capital et des garanties financières. La Compagnie de crédit à l’exportation prévoit, quant à elle, de débloquer des prêts commerciaux à l’Angola et de lever la suspension de couverture des risques de plusieurs pays d’Afrique. Objectif : doper les investissements espagnols en Afrique, actuellement estimés à 0,55 % du total, et développer les échanges. Les relations économiques sont, pour l’instant, très marginales puisque les exportations vers le continent se sont élevées à 6,5 milliards d’euros en 2005, soit seulement 4 % du commerce extérieur. Les opérateurs ibériques sont essentiellement présents chez le voisin marocain en raison de l’histoire et de la proximité géographique, notamment dans les domaines de la production maraîchère et horticole, les services, le tourisme et l’immobilier ainsi que les industries de transformation. Ils y cherchent une main-d’uvre bon marché et une base pour la conquête des marchés locaux et extérieurs.
En Afrique comme sur leur sol, les entreprises espagnoles veulent profiter au maximum de la mondialisation, quitte à fermer les yeux sur les conditions de travail des étrangers. « Ce qui serait inquiétant, ce n’est pas que les immigrants viennent de plus en plus, mais que notre pays perde sa capacité à les attirer. Cela voudrait dire que notre économie n’est plus en mesure de proposer des emplois stables et productifs pour les nationaux et les étrangers », estime Francesc Grannel, professeur d’université et membre de l’Académie des Sciences économiques et financières. Belle leçon de pragmatisme.

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