Les chemins de la démocratie

S’il dut s’accommoder d’un parti qu’il qualifia d’« unifié », le chef de l’État sénégalais a toujours voulu le multipartisme.

Publié le 2 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

Achevée l’année Senghor s’effaceront les polémiques récurrentes. Voici le temps des historiens. En préambule à leur uvre, peut-on ébaucher un bilan politique ?
Léopold Sédar Senghor tenait pour acquis que la marque qu’il laisserait sur le XXe siècle serait plus importante dans le domaine littéraire que dans le politique. C’est du moins ce qu’il disait avec constance. Il n’est pas interdit de douter de sa sincérité, et ce n’est pas rabaisser les mérites du poète que de retenir la thèse contraire. Ne serait-ce que de constater, si tant est qu’une comparaison quantitative soit possible, l’ampleur et la profondeur de la trace de l’homme d’État au Sénégal, en Afrique, voire dans le monde, à côté de la ténuité – tout jugement qualitatif exclu – de son uvre d’écrivain.
« Président-poète », a-t-on dit. Certes, et le chef d’État a mis le renom de l’homme de lettres au service de son pays. C’est moins grâce aux modestes talents d’économiste du président de la République et aux médiocres ressources naturelles qu’à l’afflux d’aide technique et financière engendré par le rayonnement du « pays de Senghor » que le Sénégal, en vingt ans, a vu doubler le revenu par habitant d’une population qui avait elle-même plus que doublé. Mais on dirait mieux « le président humaniste ».
« L’homme est au commencement et à la fin du développement. » Ce n’était pas seulement un leitmotiv, c’était un principe qui imprégnait constamment et à tout propos l’activité politique de Senghor. Pour l’essentiel, cette activité s’est déployée selon deux axes, pour construire et consolider l’État et la démocratie.
Sur l’État, il était intransigeant, au point d’irriter ses amis quand il fit réprimer durement des manifestations plus ou moins révolutionnaires, ou maintenir Mamadou Dia en détention pendant douze ans, ou quand il refusa la grâce de l’homme qui avait voulu l’assassiner. Mais cet aspect défensif n’était évidemment pas le principal.
Qui dit État dit service public de qualité, donc fonctionnaires qualifiés. Sur ce point, le Sénégal était parti avec une longueur d’avance sur les ex-colonies voisines, du fait de l’antériorité de l’administration. Il n’en restait pas moins un manque de techniciens et de personnel d’encadrement. Senghor ne rêvait pas de résoudre ces problèmes instantanément : il savait d’expérience que la formation prend du temps. D’où l’accent mis sur l’éducation. En attendant que celle-ci produise ses effets, on aurait recours à l’assistance technique.
Avec une mission particulière confiée aux assistants techniques expatriés : l’exemplarité. « Car, répétait le chef de l’État, nous pouvons, en une génération, former presque tous les techniciens dont nous aurons besoin. Il suffit de bien éduquer, sélectionner et orienter les jeunes gens. Mais il y a quelque chose qui ne s’apprend pas dans les écoles : la conscience professionnelle. » À quoi il ajoutait, avec une insistance particulière, l’organisation et la méthode, qu’un bureau ad hoc du secrétariat général de la présidence fut chargé d’instiller progressivement à tous les échelons de l’administration.
La démocratie, évidemment, c’était encore plus complexe. Là-dessus, Senghor ne manquait ni d’idées ni de sujets de discours. Sur le plan institutionnel, il suffisait, pensa-t-il d’abord, de s’inspirer d’un modèle qu’il connaissait bien pour avoir appris la politique dans son cadre après avoir contribué à le forger : la Constitution de la IVe République française. Il allait bientôt apprendre à ses dépens qu’un régime parlementaire n’était pas ce qui convenait le mieux à un pays jeune. Le régime quasi présidentiel de la Ve République fut vite adapté et adopté.
La mode, venue des « démocraties populaires », était au parti unique, à telle enseigne que des chantres de la démocratie classique en vinrent à prêcher ses vertus pour le Tiers Monde. Tel ne fut pas le cas de Senghor, qui resta ferme sur le principe du multipartisme, non sans s’accommoder, après ralliement de la plupart des opposants, d’un parti qu’il qualifia d’« unifié ».
Il lui restait à imprimer sa marque sur un système original appelé à canaliser le retour au multipartisme limité à trois, puis à quatre partis dont les choix idéologiques furent définis au sein des institutions de la République.
Son successeur Abdou Diouf paracheva le mouvement vers le multipartisme intégral, qui conduisit logiquement, en l’an 2000, à l’alternance. Il reste à prouver la pérennité du système.

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