Échec et mat à Ouaga

Avant Abuja le 7 octobre, le dossier ivoirien a réuni Mbeki, Gbagbo et Compaoré dans la capitale burkinabè. Qu’ont-ils pu se dire ?

Publié le 2 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

Malgré les précautions diplomatiques qui en ont salué l’issue, la visite éclair du président sud-africain Thabo Mbeki, le 26 septembre, à Ouagadougou, a été un échec. Annoncé seul dans un premier temps, Mbeki, médiateur de l’Union africaine dans la crise ivoirienne, appelle Blaise Compaoré dans la soirée du 25 septembre pour le prévenir qu’il viendra finalement en compagnie de leur homologue ivoirien, Laurent Gbagbo. Longtemps hésitant, ce dernier s’est laissé convaincre au lieu de rester enfermé dans cette logique de rupture annoncée dans sa diatribe du 14 septembre contre la communauté internationale, invitée à laisser le dossier ivoirien aux mains des Africains.
South African Air Force One atterrit à l’aéroport de Ouagadougou le lendemain à 10 h 45. Mais avec Mbeki seul à son bord. Gbagbo arrive une demi-heure plus tard. Le service du protocole burkinabè, qui attendait les deux chefs d’État dans le même avion, doit improviser très rapidement. Cap sur le Centre de conférences de Ouaga 2000, où les trois présidents s’enferment pendant près de quatre heures.
Deux autres de leurs homologues, invités par Mbeki, se sont fait excuser. Le Nigérien Mamadou Tandja, président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), a voulu éviter un piège : se rendre à une réunion appelée à déflorer une question qui sera examinée par la Cedeao le 7 octobre à Abuja. Tandja s’est demandé en quelle qualité il irait à Ouaga. Il ne veut pas faire le jeu de Mbeki, qu’il soupçonne d’avoir fait échouer les négociations menées début septembre à Abidjan par le président en exercice de l’UA, Denis Sassou Nguesso.
Quant au Malien, Amadou Toumani Touré, il a invoqué une tragédie dans son pays (un accident de la circulation ayant fait vingt-cinq morts et une trentaine de blessés, le 23 septembre) pour décliner courtoisement l’invitation.
Mbeki, Gbagbo et Compaoré se retrouvent seuls dans la salle VIP du Centre de conférences de Ouaga 2000. Seuls leurs traducteurs assistent au conclave. D’entrée de jeu, le Sud-Africain engage le débat. Il revient sur sa médiation, évoque les difficultés qu’il a rencontrées, énumère les concessions faites par Gbagbo ainsi que les obstacles liés au désarmement de la rébellion. Il aborde aussi le « plan B » de la France (suspension de la Constitution ivoirienne, extension des pouvoirs du Premier ministre Charles Konan Banny, possibilité pour ce dernier de décider par ordonnance). Et ébauche des pistes pour orienter la décision future du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS, dont le numéro un burkinabè assure la présidence tournante). Compaoré écoute courtoisement, relativise certains propos et évalue la responsabilité du pouvoir d’Abidjan dans les blocages.
Sur la question des audiences foraines, Gbagbo réaffirme sa position, insiste sur le fait que seul un tribunal a qualité pour délivrer des certificats de nationalité. Compaoré formule une question sous forme de réserve : « Combien de temps cela prendra-t-il aux juges d’instruire les dossiers de millions de personnes ? » Un ange passe. Le chef de l’État ivoirien poursuit et indique que la rébellion doit sans plus attendre être désarmée. Son homologue burkinabè lui fait remarquer que les choses sont moins simples, et, l’invitant à faire preuve de psychologie, ajoute que des rebelles n’ont jamais désarmé nulle part sans être rassurés.
De même, quand Gbagbo dénonce la partialité des forces dites impartiales stationnées dans son pays, estimant notamment que le contingent français Licorne doit partir, Compaoré lui fait observer que celui-ci est en Côte d’Ivoire sous mandat de l’ONU. Faire partir Licorne requiert toute une procédure.
Sur l’après-30 octobre, le numéro un ivoirien rappelle qu’il restera en place jusqu’à ce qu’un successeur issu des urnes le remplace. Et qu’il est possible d’organiser rapidement le scrutin sur la base d’une réactualisation de la liste électorale de 2000. Son interlocuteur, qui marque une certaine gravité sur la question relative à l’identification des personnes et au fichier électoral, estime que les règles du jeu doivent être acceptées par tous. Et précise à l’intention de Mbeki : « Vous ne devez pas cautionner un processus menant à des élections contestées. Seul un scrutin transparent peut ramener la paix en Côte d’Ivoire. À défaut, ce sera le chaos. »
Au fil de la discussion, Gbagbo manifeste des signes de fatigue, voire d’agacement, cependant que son hôte burkinabè exprime ses inquiétudes sur une remise en question de « l’équilibre de Marcoussis », du nom de l’accord signé en janvier 2003 par toutes les parties ivoiriennes. Il craint, le cas échéant, une recrudescence des tensions et le prolongement des délais de la transition.
Le désaccord est consommé. Mbeki sort du huis clos déçu de n’avoir pas pu rallier son hôte à sa lecture de la crise ivoirienne. À travers Compaoré, il voulait convaincre les chefs d’État ouest-africains de la nécessité de laisser en vigueur la Constitution ivoirienne et de cantonner le Premier ministre, Konan Banny, à ses pouvoirs actuels. Peine perdue. Pour le président du CPS, il est plus sage de sauver le processus engagé que de s’atteler à tout remettre en question.
Mbeki n’avait pas pour seul souci de défendre Gbagbo. Il a aussi essayé – difficile exercice – d’apparaître comme un médiateur neutre aux yeux de l’homme fort de Ouagadougou. A-t-il réussi ? Rien n’est moins sûr, même si, à l’issue du huis clos, Compaoré réaffirmera – par pure courtoisie ? – la confiance de l’UA dans la médiation de son homologue sud-africain, qu’il retiendra à déjeuner, ainsi que Gbagbo. Maigre consolation pour une rencontre qui aura été celle de tous les couacs.

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