Au-delà de l’Ukraine : Poutine, empereur et fossoyeur d’empire ?

Vingt-six pays africains n’ont pas soutenu la résolution demandant l’arrêt du recours à la force russe en Ukraine. Nombre d’observateurs africains n’ont pas manqué de se réjouir du relatif manque de soutien à une résolution dite « occidentale ». Analyse.

Des membres de la communauté ukrainienne marche sur un portrait de Valdimir Poutine tâché par une trace ensanglantée de main, à l’extérieur de l’ambasse de Russie, à Mexico, après que le président russe a décidé d’envahir l’Ukraine, fin février 2022. © Gerardo Vieyra/NurPhoto via AFP.

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  • Mathieu Olivier

    Rédacteur en chef adjoint pour l’Afrique centrale. Journaliste politique et d’investigation, spécialiste notamment du Cameroun et de la Centrafrique, il s’intéresse aussi à la politique de la Russie en Afrique.

Publié le 5 mars 2022 Lecture : 3 minutes.

Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations unies votait, à une écrasante majorité, une résolution exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force en Ukraine. Résultat : 141 États pour, 34 abstentions, 5 contre et 13 non-participants au vote. Un camouflet pour Vladimir Poutine, dictateur honni et rejeté par une communauté internationale unie autour d’un idéal de paix, de non-agression et d’inviolabilité des frontières ? La réalité est un peu plus complexe.

En Afrique, certes, seule l’Érythrée a voté contre la résolution et affiché un soutien au maître du Kremlin. Seize autres États du continent se sont cependant abstenus, tandis que neuf n’ont pas pris part au vote. Soit, au total, vingt-six pays qui n’ont pas soutenu une résolution demandant l’arrêt du recours à la force russe en Ukraine. Un peu moins de la moitié du continent. Pourquoi ?

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Les explications sont diverses, économiques, historiques, voire militaires. Le Mali, qui a renforcé récemment sa relation avec Moscou au point de recruter des mercenaires du groupe Wagner, s’est abstenu, tout comme la Centrafrique. L’Algérie, l’Angola et le Mozambique, qui ont longtemps bénéficié du soutien soviétique, également. Le Maroc, lui, n’a pas voté, ne souhaitant notamment pas se mettre à dos une Russie membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que le dossier du Sahara occidental continue d’être son principal cheval de bataille diplomatique. En bref, l’Afrique n’étant pas un pays, n’en déplaise à certains analystes de plateau, chaque capitale a choisi en fonction de ses intérêts propres et souverains.

Deux poids, deux mesures

Ce vote cache-t-il toutefois quelque-chose de plus profond ? Sitôt le résultat connu, nombre d’observateurs africains, majoritairement subsahariens, n’ont pas manqué de se réjouir du relatif manque de soutien à une résolution dite « occidentale ». « En Afrique, on apprécie le courage de Poutine, qui tient tête aux Occidentaux, lesquels commettent les mêmes crimes sans représailles », écrit ainsi l’un d’eux sur le réseau social Twitter. « Deux poids, deux mesures », ajoute un autre, tandis qu’un dernier s’explique davantage : « Quand les États-Unis et l’Europe ont fait usage de la force en Irak ; quand la France et le Royaume-Uni ont attaqué Kadhafi ; où était l’ONU ? ». La Libye, encore et toujours la Libye. À Niamey, d’où ces lignes sont écrites, à N’Djamena ou, a fortiori ces derniers mois, à Bamako, on ne dira jamais assez à quel point cette intervention, que nombre de dirigeants africains ont tenté – en vain – d’empêcher, a marqué les esprits.

Bien sûr, le Niger et le Tchad ont voté en faveur de la résolution du 2 mars, contrairement au Mali. Mais ne nous y trompons pas, si l’opinion publique de ces mêmes pays avait eu à s’exprimer sur la question, Bamako, Niamey et N’Djamena auraient sans doute massivement choisi de s’opposer au camp dit « de l’Ouest » et de la France. Ici réside d’ailleurs sans doute l’une des plus grandes victoires du régime russe de Poutine qui a su, année après année, entretenir le terreau anti-occidental (et surtout anti-français) en Afrique subsaharienne.

Instrumentalisation

Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, en a été le relais officiel tandis qu’Evgeni Prigojine, financier de Wagner et patron du groupe médiatique Patriot, se faisait le chef d’orchestre officieux de la même symphonie « anti-impérialiste ». Pour être efficace – et adaptable aux réalités des différents pays -, le refrain est d’une redoutable simplicité, tient en deux phrases et a pour objectif de faire vibrer la corde sensible de la fierté africaine : « Les Occidentaux volent votre indépendance. Acceptez l’aide de la Russie, comme vous avez accepté celle de l’URSS, pour achever votre décolonisation ».

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Faut-il reprocher à Poutine d’instrumentaliser ce sentiment « décolonial » afin de servir ses intérêts guerriers à ses frontières ? Sans doute. Mais le cynisme, en politique, n’est qu’une arme comme une autre. Doit-on s’alarmer de l’aveuglement de la France, qui a échoué, de Sarkozy à Macron, à revoir sa relation avec ses anciennes colonies, prêtant le flan à une défaite idéologique ? De toute évidence.

Électrochoc

Comme on l’a vu à Bamako, Paris rame à contre-courant d’une Histoire qui, le plus rapidement possible, devra consacrer l’achèvement d’une décolonisation entamée et retardée depuis six décennies. Ces derniers jours, lancé dans une guerre meurtrière en Ukraine, Vladimir Poutine a fait davantage pour l’unité de l’Europe qu’aucun n’avait réussi à le faire avant lui. Le maître du Kremlin provoquera-t-il également l’électrochoc à même de fonder l’indispensable relation entre le Vieux continent et un voisin du Sud souverain, indépendant et enfin considéré comme tel ?

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