Trois ministres venus d’ailleurs

Un homme et deux femmes issus de l’immigration intègrent les gouvernements communautaires et fédéral. Une petite révolution…

Publié le 2 août 2004 Lecture : 5 minutes.

« Ma désignation au poste de ministre de la Culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse est un signal clair donné par le Parti socialiste (PS) à la communauté maghrébine. » Fadila Laanan, 37 ans, nommée le 18 juillet, n’y va pas par quatre chemins. La jeune femme d’origine marocaine connaît bien les arcanes des administrations et des cabinets ministériels belges puisqu’elle y officie depuis onze ans comme juriste. Son passé militant au sein du PS, ses bons résultats lors des élections régionales du 13 juin, où elle a obtenu un siège au Parlement de la région de Bruxelles, lui permettaient d’espérer une nomination. « J’attendais un secrétariat d’État, mais on m’a carrément proposé un ministère à la Communauté française. J’étais très surprise. » Son origine a-t-elle joué dans le choix du PS ? Sans doute, même si elle-même tient à préciser qu’elle n’est pas en charge du maroquin de la Culture et de l’Audiovisuel par hasard : jusqu’en 1997, elle a travaillé aux côtés des ministres de la Culture, avant de devenir conseillère au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Depuis le 18 juillet, deux femmes et un homme issus de l’immigration siègent aux gouvernements. Outre Fadila Laanan, il s’agit de Gisèle Mandaila, née à Kinshasa (RD Congo), nommée secrétaire d’État à la Famille et aux Personnes handicapées au gouvernement fédéral, et d’Emir Kir, 36 ans, d’origine turque, qui prend le fauteuil de secrétaire d’État au Patrimoine et à la Propreté de la Région bruxelloise.
Avec une législation plus souple que chez ses voisins européens, la Belgique avance plus vite sur la question sensible de l’immigration : procédures de naturalisation simplifiées et droit de vote des étrangers aux élections communales. Auxquels s’ajoute une tradition militante fortement ancrée chez les Marocains, les Congolais, les Turques et autres minorités. « La Belgique est un petit pays, explique Gisèle Mandaila. Cela permet aux minorités de se faire entendre plus facilement qu’en France ou en Allemagne. C’est aussi un pays où l’on ne peut pas se permettre de laisser un problème sans le résoudre, sinon il prend des proportions incontrôlables. » D’où la volonté de tous les partis – hormis l’extrême droite – de s’attirer les faveurs des immigrés, notamment à Bruxelles, où ces derniers représentent quasiment un tiers de l’électorat. Résultat : sur 26 élus socialistes au Parlement bruxellois, 14 sont d’origine non européenne, dont 11 « Marocains ». La nomination de ministres d’origine étrangère est également une manière de contrer la progression du Vlaams Blok, le parti nationaliste flamand, devenu le deuxième parti de Flandre lors des élections du 13 juin. « Cela va donner une image positive de l’immigration aux Belges, plaide Fadila Laanan. Il faut leur montrer qu’on peut assumer des responsabilités dans l’intérêt de tous les citoyens. »
Pour Gisèle Mandaila, sa nomination est aussi un message envoyé par Bruxelles aux anciennes colonies. « J’étais impressionnée de prêter serment le 20 juillet devant le roi des Belges, reconnaît-elle. Symboliquement, il est important que, pour la première fois, un Congolais d’origine se voit offrir des responsabilités dans l’ancienne métropole. » Une nomination qui arrive à point nommé, au moment où la Belgique amorce un tournant dans ses relations avec la RDC, le Rwanda et le Burundi.
C’est d’ailleurs l’artisan de cette nouvelle politique, l’ancien ministre des Affaires étrangères Louis Michel (il vient de quitter le gouvernement belge pour passer à la Commission européenne), qui l’a appelée, le 17 juillet, pour lui annoncer sa nomination. Elle était en voyage de noces en Grèce et a dû revenir précipitamment.
Quelques jours plus tard, installée dans son bureau de l’avenue des Arts, à Bruxelles, dans le quartier chic des ambassades et des ministères, elle se souvient de son parcours chaotique. En 1981, elle quitte ses camarades du lycée Mpiko de Lemba, à Kinshasa, pour se retrouver dans la grisaille bruxelloise, où son père vient d’obtenir une bourse d’études. Elle ne reviendra dans la capitale congolaise qu’en 1996, pour effectuer un stage à la brasserie Bralima. Trois mois lui suffisent pour réaliser que la Belgique lui manque et que la RDC n’est pas son pays. De retour à Bruxelles, elle demande la naturalisation et décide de s’impliquer réellement dans la vie politique du royaume. Déjà, la jeune femme milite dans des associations de défense des droits des immigrés. Désormais, elle veut s’engager dans un parti. Le PS, d’abord, « comme tous les étrangers », dit-elle. « C’est presque un réflexe de se tourner d’abord vers la gauche. Ensuite, au fil des ans, la sensibilité et la maturité font qu’on choisit mieux le parti qui nous plaît. » Puis elle rejoint ensuite le Front démocratique des francophones (FDF), aujourd’hui réuni avec les centristes au sein du MR. En 2000, on lui propose de figurer sur la liste des élections communales qui se tiennent cette année-là. Le pari est gagné : à 31 ans, un graduat de gestion en poche, elle devient conseillère municipale. Responsable des relations avec la communauté africaine au sein du MR, elle est l’une des rares Noires du parti. Aujourd’hui, elle refuse de voir sa désignation au secrétariat d’État comme une manoeuvre électorale. Et compte bien « puiser dans ses racines africaines pour tenter de résoudre les problèmes de la famille belge » et garder un oeil sur les problèmes de sa communauté, d’autant que ses attributions le lui permettent. Un « plus », donc, que cette origine étrangère. Une opinion partagée par Fadila Laanan. « Je suis là pour exercer des compétences pour le bien de tous les citoyens, mais il est certain que j’aurai un regard plus aiguisé qu’un Belgo-Belge sur les problèmes des immigrés. »
Du coup, les trois nouveaux ministres sont attendus au tournant. « Je cumule tous les « vices », explique Laanan dans un sourire. Femme, étrangère, jeune et novice. » Les Belges, d’abord, surveilleront d’autant plus ces ministres qu’ils viennent d’ailleurs. Mais aussi les communautés étrangères, qui placent tous leurs espoirs dans Mandaila, Laanan et Kir. La tâche sera difficile. Mais ils se sentent à la hauteur. « Je me souviens de la première fois où je me suis rendue au Parlement bruxellois, raconte Fadila Laanan. J’étais à l’époque représentante du ministre de la Culture. Quand je suis entrée, ils m’ont tous regardée comme si j’étais venue servir le café. » Désormais, les députés devront se fendre d’un « Madame la Ministre » avant de s’adresser à la « petite serveuse » aux parents illettrés.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires