Taylor et les quarante voleurs

Washington a gelé les avoirs du clan Taylor et prohibé l’importation de bois libérien. Un coup dur pour le business de l’ancien maître de Monrovia.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 4 minutes.

La Maison Blanche a ordonné, au moyen d’un décret-loi (executive order) signé par George W. Bush, le gel des avoirs aux États-Unis de l’ancien président libérien Charles Taylor, ceux de sa famille et de son entourage, et l’embargo sur le commerce du bois. Conformément à la loi, le document a été adressé à Dennis Hastert, speaker de la Chambre des représentants, et à Ted Stevens, président du Sénat pro tempore, pour être inscrit au registre fédéral du Congrès. Son application a démarré le 23 juillet à minuit.
Le président Bush, qui s’exprime dans ce texte, comme le veut la règle, à la première personne du singulier, expose de façon synthétique les faits qui ont conduit la Maison Blanche à prendre sa décision. Sont donc en cause « l’exploitation inconsidérée » des ressources naturelles, les exportations illégales et les détournements de fonds opérés par Taylor et sa suite depuis son départ du pouvoir, en août 2003. « Je remarque que l’accord de paix signé le 18 août 2003 et le cessez-le-feu qui l’accompagne ne sont pas respectés partout sur le territoire libérien, et que le commerce illégal du bois est lié à la prolifération et au trafic des armes, ce qui perpétue le conflit en territoire libérien et alimente les autres conflits en Afrique occidentale », poursuit-il. Une allusion évidente aux problèmes que connaît toujours la Côte d’Ivoire, pays frontalier. Ces faits constituent donc « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la politique étrangère des États-Unis », et, en conséquence, il est du devoir du président de réagir à cette situation d’« urgence nationale ».
La sanction porte sur les comptes bancaires, qui sont désormais bloqués. Par ailleurs, interdiction est faite à tout ressortissant américain d’effectuer un quelconque transfert d’argent, de recevoir une rémunération ou de conclure une transaction avec l’une ou l’autre des personnes concernées par le décret-loi. Il est également interdit d’importer sur le territoire américain, sous quelque forme que ce soit, du bois en provenance du Liberia.
La mesure vise en premier lieu Charles Taylor, son fils et ancien conseiller Charles « Chuckie » Taylor, son épouse actuelle Jewell, mais également ses deux ex-femmes, Agnes Reeves-Taylor, ancienne représentante permanente auprès de l’Organisation maritime internationale (OMI), et Tupee Enid Taylor. La Maison Blanche s’est inspirée de la résolution 1532 du Conseil de sécurité des Nations unies, en date du 12 mars 2004, pour établir la liste des autres personnalités visées par la sanction.
On y trouve les noms de plusieurs membres de la dernière équipe gouvernementale de Charles Taylor comme Myrtle Gibson, sénatrice et conseillère ; le ministre des Finances, celui des Mines et leur confrère de la Culture ; Cyril Allen, président du National Patriotic Party, ex-parti au pouvoir ; ainsi que Moussa Cisse, ancien chef du protocole présidentiel ; Randolph Cooper, ancien directeur général de l’aéroport international de Robertsfield ; et l’ancien ambassadeur itinérant, Mohamed Salame.
Plusieurs hommes d’affaires sont cités, dont certains sont connus pour être des trafiquants d’armes notoires. C’est le cas du Gambien Baba Jobe, ancien directeur d’une compagnie d’aviation gambienne et ancien membre du Parlement. C’est également celui de Gus Kouvenhoven et de Viktor Bout, qui font l’objet de poursuites internationales pour avoir violé la résolution 1343 du Conseil de sécurité sur le commerce des armes et des diamants, et soutenu Taylor dans son entreprise de déstabilisation de la Sierra Leone.
Viktor Bout est loin d’être un inconnu en Afrique. Il a fait parler de lui pour la première fois en 1993 en Afrique du Sud, d’où sa compagnie aérienne Transavia Export Cargo, acheminait des cargaisons de fleurs vers les Émirats arabes unis. Il achetait des glaïeuls 2 dollars à Johannesburg pour les revendre 100 dollars à Dubaï… et chaque cargaison pouvait représenter jusqu’à 20 tonnes de fleurs ! Il est connu comme marchand d’armes, notamment en Afghanistan, où il a approvisionné le commandant Massoud. En 1995, il a fondé une nouvelle compagnie aérienne, Air Cess, dont Charles Taylor devint président. Aujourd’hui, Bout contrôle une nébuleuse de sociétés de transport aérien et posséderait une soixantaine d’appareils. Selon les différents rapports de l’ONU ou des médias qui s’intéressent régulièrement à lui, depuis dix ans il vend et transporte de tout, des équipements miniers aux diamants, en passant par les kalachnikovs, les grenades, les hélicoptères de combat, les missiles, les obus de mortiers et les mines. En Afrique, ses clients seraient l’Angola, le Burkina, le Cameroun, les deux Congos, la Centrafrique, la Guinée équatoriale, le Kenya, le Rwanda, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud, le Soudan, le Swaziland, l’Ouganda, la Libye et, bien sûr, le Liberia.
Autre pedigree impressionnant, celui d’un certain Leonid Minine, propriétaire du groupe Exotic Tropical Timber Enterprises, spécialisé dans le bois. Selon les Nations unies, il est l’homme clé du système financier actuel de Charles Taylor. Connu sous de nombreuses identités, voyageant tour à tour avec un passeport israélien, bolivien, allemand, grec, russe ou libérien, il s’appelle Leonid Blavstein, Vladimir Kerler, Vladimir Popiloveski, Wulf Breslan ou Igor Osols.
L’étau se resserre donc autour de l’ex-président Taylor, toujours reclus à Calabar, sur la côte est du Nigeria. Menacé par un mandat d’arrêt international émis par la Cour spéciale pour la Sierra Leone, il se voit maintenant durement attaqué au portefeuille. Il fait également l’objet d’une plainte émanant de deux hommes d’affaires nigérians attaqués et amputés par des éléments du Front révolutionnaire uni (RUF, mouvement rebelle sierra-léonais soutenu par Taylor) visant à faire annuler son droit d’asile.

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