Sankara prend le pouvoir

Il est 21 h 30, ce jeudi 4 août 1983, lorsque les premiers tirs d’armes automatiques crépitent à Ouagadougou, dont les rues, d’ordinaire animées à cette heure, se vident aussitôt. La Radio nationale voltaïque interrompt brusquement le cours normal de ses émissions pour faire place à la musique militaire, entrecoupée de communiqués. « Le Conseil national de la révolution assume désormais le pouvoir d’État en même temps qu’il met fin au régime fantoche du président Jean-Baptiste Ouédraogo. »

Publié le 2 août 2004 Lecture : 2 minutes.

La voix est reconnaissable entre mille. Il s’agit du capitaine Thomas Sankara, 34 ans, encore Premier ministre quelques mois plus tôt, considéré comme l’un des officiers les plus charismatiques de l’armée voltaïque. Lorsqu’il prononce sa première allocution sur les ondes, les échanges de coups de feu se poursuivent dans la capitale, notamment dans le quartier de la Rotonde, près de la gendarmerie et du palais présidentiel. Il faudra attendre 3 heures du matin pour que les armes se taisent. On relève cinq morts et une quinzaine de blessés.
Le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, qui avait lui-même pris le pouvoir par les armes le 7 novembre 1982, vient d’être renversé. Le « Conseil du salut du peuple » qu’il présidait est remplacé par un « Conseil national de la révolution ». Sankara, le nouveau maître de la Haute-Volta, alors considéré comme l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, instaure le couvre-feu et ordonne la fermeture de l’aéroport international de Ouagadougou ainsi que des frontières terrestres.
Le coup d’État, le cinquième en vingt-trois ans d’indépendance, n’est qu’une demi-surprise. Écarté brutalement de la primature en mai 1983 par le chef de l’État, le jeune et bouillant capitaine attendait son heure. Il a conscience de ses atouts : son indéniable popularité, y compris au sein des casernes, son charisme et, surtout, la faiblesse d’un Jean-Baptiste Ouédraogo généralement présenté comme un « modéré ».
Nommé Premier ministre le 2 février 1983, Sankara a, en revanche, toujours affiché ses options progressistes et ses sympathies prolibyennes. Il réserve ses premiers déplacements à l’étranger à la Corée du Nord et à la Libye, prononce régulièrement des discours enflammés contre l’impérialisme et le néocolonialisme, invite le colonel Kadhafi à Ouagadougou sans en avertir le chef de l’État. Au fil des semaines, les divergences entre les deux têtes de l’exécutif se creusent. Le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo finira par faire arrêter son Premier ministre le 17 mai 1983. Mais, deux semaines plus tard, il est obligé de le remettre en liberté à la suite d’un soulèvement des commandos parachutistes de la garnison de Po. On connaît la suite des événements.

Le coup d’État du 4 août installe aux commandes un jeune officier à la gueule de crooner, un rien crâneur et ayant un sens inné de la formule et du spectacle. Très vite, Sankara impose dans son pays et alentour un style nouveau et détonnant, mélange de marxisme, de guévarisme, de panafricanisme et d’humanisme chrétien. De façon théâtrale, il prend bien souvent le contre-pied de la vieille garde africaine incarnée par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Il refuse de « baisser l’échine », de tendre la main, sans doute persuadé que « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit ». Il invite les siens à consommer « local », n’hésite pas à se transformer en VRP pour vanter les mérites des produits du cru. Il s’égare quelque peu en se faisant le héraut de tous les « damnés de la Terre », des prostituées aux Amérindiens. Puis il décide, un an jour pour jour après son accession au pouvoir, de changer le nom de son pays : la Haute-Volta néocoloniale devient le Burkina Faso, « le Pays des hommes intègres ». Tout un programme.

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