Rude bataille pour la succession

La présidentielle de décembre scellera la fin d’une époque. Chissano, un des « pères » de l’indépendance, quitte le pouvoir.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 4 minutes.

L’élection présidentielle mozambicaine des 1er et 2 décembre prochain représente beaucoup plus que le rendez-vous normal d’une démocratie. Elle scellera le départ de Joaquim Chissano, président en exercice depuis 1986 et grand artisan des accords de paix signés en 1992 avec Afonso Dhlakama, le chef de file de la Résistance nationale du Mozambique (Renamo). Conformément à son engagement, il laisse le soin à son successeur, Armando Guebuza, de porter le Front de libération du Mozambique (Frelimo) à la victoire. Mais l’entrée en scène de cette nouvelle figure, fût-elle connue, remet en question la fragile unité d’un pays qui connu seize années de guerre civile. Au cours des dix dernières années, Joaquim Chissano avait su trouver un modus vivendi avec Afonso Dhlakama. Qu’en sera-t-il demain ?
Le leader de la Renamo, qui voyait certainement son heure arrivée après avoir subi deux revers électoraux en 1994 et 1999, a du mal à accepter la position de favori d’Armando Guebuza dans la course à la magistrature suprême. Sillonnant le pays depuis plus d’un an, le secrétaire général du Frelimo, qui a mis en place une véritable « machine de guerre » électorale, multiplie les réunions et va à la rencontre de la population. Bien organisés et rompus aux pratiques du marketing politique, ses partisans ont été très présents sur le terrain en juin et juillet pour superviser l’inscription des électeurs sur les listes. Fort des assez bons résultats économiques du gouvernement – la croissance a été de 9,9 % en 2002 et de 7 % en 2003 -, les cadres du parti insistent sur le thème « nous, on sait gérer ».
À l’étranger, Guebuza tient aussi à rassurer. Du 19 au 23 juin, il s’est rendu au Portugal, un voyage qui lui a permis de se faire adouber par l’ancien colonisateur et de trouver de solides appuis. Devant les responsables lusophones, il a affirmé que le prochain gouvernement, s’il était élu, poursuivrait la politique libérale engagée par son prédécesseur. De quoi également s’attirer les faveurs de l’Afrique du Sud, le premier partenaire économique du pays. Les entrepreneurs de la nation Arc-en-Ciel lorgnent sur les entreprises publiques mozambicaines en voie de privatisation, notamment dans le secteur de la téléphonie.
Mais la coalition d’opposition emmenée par Afonso Dhlakama est loin d’avoir dit son dernier mot. « Libéré de Chissano qui est un fin tribun et face auquel il a toujours été timoré, Dhlakama passe à l’offensive », explique un journaliste du pays. L’opposition attaque notamment Guebuza sur la corruption des ministres issus des rangs du Frelimo. Plusieurs affaires impliquant les titulaires des portefeuilles de l’Éducation et du Tourisme ont fait la une des journaux en 2003 et début 2004. L’opposition ne manque pas non plus de rappeler les dérives autoritaires du secrétaire général du Frelimo, notamment la déportation des chômeurs des grandes villes de Maputo et de Beira en 1983 – alors qu’il était ministre de l’Intérieur – dans la province très pauvre de Niassa, dans le nord du pays. La coalition agite le spectre d’un retour à des pratiques antidémocratiques et reproche déjà au parti au pouvoir d’avoir violé le code de conduite électoral. Il aurait dissuadé les partisans de l’opposition de s’inscrire sur les listes en les intimidant et en ne prévoyant pas une logistique suffisante.
Enfin, l’opposition fait campagne pour la réduction des inégalités économiques et sociales, dont la « fracture Nord-Sud » est un aspect important. Le Produit intérieur brut annuel par habitant est de 1 100 dollars à Maputo et de 220 dollars dans le reste du pays. En s’alliant avec les petits partis, Dhlakama multiplie les relais de diffusion, particulièrement au sud du territoire, où son mouvement compte beaucoup moins de partisans.
Le Frelimo a vivement réagi aux dernières salves de la coalition en dénonçant l’utilisation de pièces d’identité frauduleuses et les tentatives des opposants de se faire enregistrer plusieurs fois sur les listes. La tension monte et, se plaçant un cran en dessous du politiquement « correct », un membre de la Renamo a traité son homologue du Frelimo de « fille de p… » fin juin. Cette escalade fait resurgir des craintes dans la population en cas de contestation du verdict final. L’ex-mouvement rebelle conserve encore quelques milliers d’hommes armés dans les districts de Maringe et de Cheringoma, dans la région de Sofala.
La société civile et les bailleurs de fonds – qui ont consenti une aide de 790 millions de dollars en octobre dernier – tentent d’apaiser les esprits en s’impliquant pour la paix… et le développement. Avec un taux d’analphabétisme de 56 %, une place de 170e sur 175 dans le classement mondial du développement humain, et 70 % de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté, le Mozambique fait partie des pays les plus démunis de la planète, ce qui le rend très dépendant de l’aide extérieure, qui peut représenter jusqu’à 50 % du budget national.
L’économie repose essentiellement sur le secteur primaire, notamment l’agriculture, et une petite activité industrielle avec l’usine d’aluminium Mozal et l’exploitation gazière de Sasol.
Pour dynamiser l’économie, la nouvelle équipe dirigeante devra faire évoluer les mentalités dans l’administration. La bureaucratie, la corruption et la non-application de la réglementation fiscale représentent des handicaps importants qui découragent les investisseurs. Le code du commerce, d’inspiration portugaise, date de plus d’un siècle, et la législation du travail limite l’emploi de personnel étranger qualifié alors que le pays manque de cadres supérieurs. Vaste programme pour le futur président. Guebuza ou Dhlakama, la continuité ou le changement ? Les Mozambicains ont encore quelques semaines pour réfléchir.

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