Rapprochement en trompe l’oeil

La succession de visites ministérielles marocaines et espagnoles à Alger a brièvement suscité un espoir de dégel entre les deux capitales. Mais, pour l’heure, les discussions se limitent aux questions de sécurité.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 6 minutes.

La visite de travail effectuée à Alger, les 20 et 21 juillet, par le ministre marocain de l’Intérieur, Mostafa Sahel, devrait précéder celles du chef de la diplomatie du royaume, Mohamed Benaïssa, et du Premier ministre, Driss Jettou, avant la fin de l’année. Dynamique positive imposée par la Realpolitik ? Pressions sur les deux capitales par les amis communs de Washington, Paris et Madrid ? Volonté maghrébine de mettre entre parenthèses l’inconciliable différend sur l’affaire du Sahara occidental ? Rien de tout cela.
Ce 20 juillet, l’avion transportant Mostafa Sahel avait à peine quitté l’espace aérien marocain que le ministère algérien des Affaires étrangères rendait public un communiqué réaffirmant la position de son pays sur ce dossier : le problème du Sahara occidental, ce territoire désertique riche en phosphates et prometteur en potentialités pétrolières, que se disputent, depuis 1975, le Maroc et les indépendantistes du Polisario, soutenus par l’Algérie, demeure, aux yeux des diplomates algériens « une affaire de décolonisation ».
Qu’a pu motiver une telle mise au point avant même l’arrivée du responsable marocain ? Apparemment, cette déclaration, qui se voulait avant tout une réponse à des propos tenus quelques jours auparavant à Rabat par le ministre marocain de la communication Nabil Benabdallah et perçus comme « antialgériens », n’avait rien d’un tir de barrage visant à mettre dans l’embarras Mostafa Sahel dont c’était la première visite officielle à Alger. La réaction des services d’Abdelaziz Belkhadem, ministre algérien des Affaires étrangères, est le résultat d’un ballet diplomatique ayant précédé la visite du ministre de Sa Majesté. Quelques jours plus tôt, en effet, Alger avait reçu le chef de la diplomatie française Michel Barnier, puis le chef du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero. Tous deux avaient réaffirmé la nécessité d’un dialogue direct entre Alger et Rabat pour trouver une solution au problème du Sahara qui bloque l’intégration maghrébine et la normalisation des relations algéro-marocaines.
Si Paris et Jacques Chirac n’ont jamais fait mystère de leur soutien à la « marocanité » du Sahara, Madrid, ancienne puissance coloniale, avait une position plus nuancée, se montrant même favorable à la tenue d’un référendum d’autodétermination. Toutefois, les attentats de Madrid du 11 mars semblent avoir changé quelque peu la donne. Les morts d’Atocha ont fait perdre les élections à la droite espagnole, au pouvoir depuis quatorze ans et alliée traditionnelle d’Alger. L’épisode de l’îlot Leïla (Perejil, pour Madrid), quand l’armée espagnole a dépêché, en juillet 2002, des éléments de son corps d’élite pour déloger quelques gendarmes marocains qui s’étaient installés sur ce bout de rocher situé à moins de 200 mètres des côtes chérifiennes, puis les attentats du 11 mars, commis, semble-t-il, par la filière marocaine d’el-Qaïda, ont amené le nouvel homme fort d’Espagne à réviser radicalement la politique maghrébine de Madrid. Dans son discours d’investiture, en avril 2004, José Luis Rodriguez Zapatero a laissé entendre qu’il fallait « refonder les relations de l’Espagne avec le Maghreb. » Son premier voyage à l’étranger ? Rabat, où il est reçu en grande pompe.
Oubliés Leïla/Perejil et le Marocain Djamel Zougane, cerveau présumé des attentats du 11 mars. À l’issue de ce voyage, Zapatero tire un enseignement : les intérêts stratégiques de l’Espagne sont tributaires d’un Maghreb intégré constitué du trio Algérie-Maroc-Tunisie. Cette idée n’est pas une exclusivité de Madrid. Paris et Washington souhaitent un tel Maghreb. Son édification heurte cependant de plein fouet l’affaire du Sahara. Zapatero est convaincu qu’une solution est possible.
Dans ses premières confidences au lendemain de sa nomination à la tête de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos a esquissé pour J.A.I. (voir n° 2260) ce que serait une voie pour sortir de l’impasse. « Le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, disait-il, doit rester un élément de base. Mais il faut aussi encourager les efforts bilatéraux. » Le chef du gouvernement madrilène ira plus loin. Il préconise un sommet à quatre (Algérie, Espagne, France et Maroc) pour trouver une solution de remplacement au plan Baker. Ce plan, adopté par le Conseil de sécurité en juillet 2003, prévoit une période de large autonomie de cinq ans avant la tenue d’un référendum d’autodétermination. La proposition de Baker a été acceptée par les Algériens et les indépendantistes du Polisario, mais récusée par les Marocains.
À peine énoncée, l’idée de Zapatero a été rejetée par ses hôtes algériens. « Nous ne sommes pas les tuteurs du peuple sahraoui, lui a dit, en substance, le président Abdelaziz Bouteflika. Quant au développement de nos relations avec le Maroc et la relance du processus de l’Union du Maghreb arabe (UMA), ils ne sauraient être tributaires de la question du Sahara. » Au cours des longues discussions entre les deux hommes, le président algérien lui a fait un rappel historique. « L’UMA a été conçue en 1988 à Zéralda, en marge d’un sommet arabe, puis elle a pris forme, une année plus tard, à Marrakech. À cette époque, non seulement il y avait une situation de guerre (le cessez-le-feu entre Marocains et combattants du Polisario n’a été signé qu’en 1991), mais il n’y avait aucune perspective de règlement politique. À aucun moment Hassan II n’avait agité le dossier du Sahara comme une condition de l’édification de l’UMA. »
L’argument n’a pas porté, et Zapatero a insisté sur sa proposition. « Un dialogue direct entre Alger et Rabat est la solution. » Tollé dans la classe politique et la société civile espagnole qui alertent leurs troupes et organisent les premières manifestations anti-Zapatero. La mobilisation a été moyenne, mais le coup de semonce a fait mouche. Désormais, Zapatero sera plus prudent sur ce dossier. Pourquoi ce bout de désert est-il si important à Madrid ? Un diplomate espagnol explique : « C’est l’une des séquelles de l’époque franquiste que l’Espagne n’arrive pas à transcender. Si le Maroc est aujourd’hui la puissance occupante au Sahara, c’est à cause des accords de Madrid de 1975. Notre responsabilité est donc engagée. »
De son côté, la France, qui souhaite la signature rapide d’un traité d’amitié avec l’Algérie, ne désespère pas, elle non plus, d’organiser un dialogue direct entre Alger et Rabat pour régler définitivement ce dossier. En revanche, ni Madrid ni Paris ne conditionnent le développement des relations politiques et économiques avec Alger à la tenue de ce sommet à quatre et encore moins à un changement radical de la position algérienne.
La mise au point d’Abdelaziz Belkhadem avant l’arrivée de Mostafa Sahel voulait donc lever toute ambiguïté : « Le responsable marocain n’est pas venu pour préparer une rencontre durant laquelle l’Algérie aurait le rôle de l’interlocuteur de substitution, mais pour faire avancer des dossiers concrets faisant partie des préoccupations bilatérales. » Le ministre de l’Intérieur marocain a parfaitement joué le jeu. Durant les deux heures d’entretien avec le président Bouteflika et les nombreuses séances de travail qu’il a eues avec son homologue Nouredine Yazid Zerhouni, il a évoqué la lutte antiterroriste, l’immigration clandestine, le trafic de drogue et la criminalité transnationale. Par ailleurs, Algériens et Marocains ont décidé de coordonner leur réflexion avant la tenue de la réunion sur la lutte antiterroriste prévue en septembre à Paris et qui doit regrouper les ministres de la Défense et de la Sécurité des 4 + 3 (Espagne, France, Italie, Portugal, côté européen ; Algérie, Maroc, Tunisie, côté maghrébin).
La menace salafiste, confirmée par les propos du juge espagnol Baltasar Garzón, dont l’enquête sur les filières terroristes au Maghreb aurait établi qu’environ quatre cents islamistes marocains formés en Bosnie, en Tchétchénie et en Afghanistan seraient « dans la nature », impose un minimum de concertation entre Alger et Rabat. Mostafa Sahel n’a pas eu besoin de beaucoup d’efforts pour convaincre ses interlocuteurs. Un mécanisme de veille et d’alerte précoce devrait être mis en place au cours du dernier trimestre de l’année en cours. Limiers et barbouzes des deux côtés devraient reprendre langue très vite.

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